320 personnes interrogées, parmi lesquelles 200 employés actuels des Suns et 12 propriétaires minoritaires. Pendant près d’un an, le cabinet d’avocats new-yorkais Wachtell, Lipton, Rosen & Katz, missionné par la NBA, a amassé quantité de témoignages sur les comportements du propriétaire des Suns, Robert Sarver. Des comportements largement décrits dans un premier article publié par ESPN début novembre 2021.
Avec à la clé un rapport de 43 pages rendu public sur lequel Adam Silver s’est basé pour décider d’une suspension d’un an en plus d’une amende de 10 millions de dollars.
Que dit ce rapport ? Que reproche-t-on précisément au dirigeant des Suns ? De nombreux actes et paroles problématiques étalés sur une importante période de temps, dans de nombreux cas, il y a bien plus d’une décennie. Cet espacement dans le temps a représenté « un défi important » pour les enquêteurs selon qui la majorité des interrogés avaient lu l’article d’ESPN. Cette lecture avait d’ailleurs rafraîchi les souvenirs de certains.
Le premier grief sur lequel s’arrête le rapport est l’utilisation, au moins à cinq reprises, du terme « nègre » en diverses circonstances. Il est notamment question d’un match entre Suns et Warriors, en octobre 2016, à l’issue duquel il s’était plaint auprès de son coach de l’époque, Earl Watson, du fait qu’un joueur adverse (Draymond Green d’après ESPN) ne soit pas sanctionné d’une faute technique pour avoir prononcé le terme.
« Tu ne peux pas dire ça putain »
Citant Draymond Green, Robert Sarver avait employé le terme à plusieurs reprises et à haute voix dans le vestiaire. « Tu ne peux pas dire ça, putain », s’était agacé le coach en réaction. « Je ne peux pas dire « nègre », « nègre », « nègre » ? », avait continué de provoquer le propriétaire de l’équipe.
Autre exemple, au cours de la saison 2012/13, lors d’un exercice de cohésion d’équipe où chaque joueur devait complimenter son voisin. Un joueur de couleur de l’équipe avait alors lancé, selon un témoin, à un coéquipier, blanc, que ce dernier avait « quelque chose que les Afro-Américains appellent « nègre » en lui ». Une fois l’exercice terminé, le dirigeant avait cité le joueur en question et donc réutilisé le terme malgré la réprobation de certains.
Malgré ces quelques situations détaillées dans le rapport sur le volet racial, « l’enquête ne permet pas de conclure que Robert Sarver a utilisé ce langage raciste dans l’intention de rabaisser ou de dénigrer » puisqu’il cite toujours quelqu’un lorsqu’il utilise le terme et qu’il le fait globalement pour se demander pourquoi les personnes noires peuvent l’employer sans conséquence, mais pas lui. Ça ressemble donc surtout à de la provocation, et le rapport ne conclut pas non plus que son comportement, « dans aucun de ces cas, était motivé par une animosité raciale ».
Une employée enceinte en pleurs
Les enquêteurs reviennent ensuite sur son comportement avec les femmes. En 2008, il avait dit à une employée enceinte qu’elle ne pouvait plus être la coordinatrice d’un événement en raison de l’imminence de son accouchement. Selon lui, elle ne pouvait pas accomplir sa tâche parce qu’elle allaitait et que « son bébé avait besoin de sa mère, pas de son père ». Ses remarques avaient bouleversé l’employée qui, après l’intervention d’un tiers, avait tout de même gardé sa mission.
Trois ans plus tard, Robert Sarver s’en était pris à une femme, lui criant dessus, après la préparation d’une vidéo destinée à un dirigeant. En larmes, l’employée avait alors exprimé son désir de quitter l’organisation. Une semaine plus tard, le propriétaire était revenu à sa rencontre pour évoquer l’incident vidéo. « Qu’est-ce qui ne va pas chez toi ? », avait-il envoyé, provoquant de nouveaux pleurs. « Pourquoi toutes les femmes ici pleurent-elles autant ? »
Le rapport évoque ensuite quantité de commentaires et comportements « sexuels, grossiers et vulgaires » sur le lieu de travail. 19 témoins se souviennent l’avoir entendu évoquer l’utilisation d’un certain type de préservatif. Ou raconter, au cœur d’une réunion d’affaires, qu’il avait appris ce qu’était une fellation lorsqu’il était enfant…
La photo de sa femme… en bikini
Sans oublier l’envoi à certains employés de contenu pornographique ou le fait de faire circuler, en réunion marketing pour un partenariat avec un fabricant de maillots, une photo de sa femme… portant un bikini aux couleurs des Suns. Un geste reconnu par l’intéressé qui a expliqué avoir simplement cherché à convaincre l’équipe marketing et fait remarquer que sa femme ne posait pas dans une position sexuelle.
Il est aussi question de comportements physiques « inappropriés » (sous-vêtement baissé inutilement lors d’un contrôle de condition physique, une danse « collé-serré » lors d’une fête, short d’un autre employé baissé lors d’un Ice Bucket Challenge…). Autant de comportements réalisés, selon les enquêteurs, « non pas avec l’intention de faire des avances sexuelles à qui que ce soit, mais avec l’intention d’être provocateur et/ou de faire de l’humour ».
En écho au « lieu de travail toxique et parfois hostile » décrit par ESPN, le rapport ne s’arrête pas à la seule personne de Robert Sarver et fait état de dysfonctionnements collectifs au sein de la franchise.
« De nombreux témoins ont néanmoins exprimé l’opinion que Sarver était responsable du comportement problématique d’autres employés et des défauts du département des ressources humaines en raison du ‘ton au sommet’ qu’il a donné par sa propre conduite. Cette hypothèse est difficile à vérifier, mais elle mérite d’être mentionnée », ont écrit les enquêteurs.
La question de l’exemplarité
À la lecture de l’ensemble de ces éléments, la ligue pouvait/devait-elle aller plus loin dans sa sanction ? Huit ans après le précédent Donald Sterling, Robert Sarver aurait-il lui aussi dû être poussé définitivement vers la sortie ? Ces questions mettent la ligue face au toujours délicat enjeu de l’exemplarité de ses acteurs. Une exemplarité qui peut être mise à mal à différents degrés selon le contexte.
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Adam Silver note d’ailleurs aujourd’hui que les deux affaires « étaient dramatiquement différentes. Je pense que nous avons vu dans le cas de Donald Sterling que c’était un comportement raciste délibéré dirigé vers un groupe de personnes précis. Bien qu’il soit difficile de savoir ce qu’il y a dans le cœur ou dans la tête de quelqu’un, nous avons entendu ces mots et ensuite il y a eu un suivi du bureau de la ligue et c’est devenu public puisque M. Sterling s’est exprimé sur ses gestes. Dans le cas de Robert Sarver, nous avons examiné l’ensemble des circonstances sur une période de 18 ans pendant laquelle il a été propriétaire de ces équipes. Au final, j’ai jugé que vu les circonstances dans lesquelles il avait utilisé ce langage et fait montre de ce comportement, certes indéfendable, ce n’était pas aussi fort. »
La façon dont ont éclaté les scandales respectifs a sans doute aussi eu un impact sur la réponse de la ligue. En avril 2014, alors que les playoffs venaient de démarrer, TMZ s’était procuré un enregistrement audio édifiant dans lequel le propriétaire des Clippers à l’époque réprimandait sa compagne d’avoir posé avec Magic Johnson : « Tu n’as pas à t’afficher sur Instagram avec des noirs, donc ne met pas de photos avec Magic. Et ne l’amène pas aux matches non plus. Tu peux coucher avec des noirs, faire ce que tu veux, mais ne le montre pas. Et ne les amène pas à nos matches. Ce sont des ennemis et ça ne te rapporte rien de faire tout ça. »
Pas le même contexte
Le grand patron de la ligue, qui avait remplacé David Stern quelques semaines plus tôt seulement, y voit aujourd’hui « un réalisme qui existe lorsque vous avez un enregistrement audio de quelque chose qui mettait tout le monde dans la même position que moi. Nous avions tous le même enregistrement. » Là où l’affaire Robert Sarver se base sur des témoignages, forcément moins puissants auprès de l’opinion publique.
En 2014, quelques semaines après l’annonce du bannissement à vie du dirigeant, Adam Silver avait estimé qu’il était « temps pour Donald Sterling de passer à autre chose », poussant ainsi à la revente de la franchise californienne. Une revente, à Steve Ballmer, officialisée quelques semaines plus tard à l’issue d’un intense contentieux juridique.
Aujourd’hui face à cette nouvelle crise, son discours est autre : « Je n’ai pas le droit de lui retirer son équipe. Je ne veux pas me reposer sur ce point juridique parce que, bien sûr, il est possible de retirer l’équipe à quelqu’un (ndlr : avec l’accord de 22 des 29 autres propriétaires). Mais c’est très compliqué, et j’ai finalement décidé que cela n’atteignait pas ce niveau de sanction. Mais, pour moi, les conséquences sont graves pour M. Sarver. »
Mais pas assez aux yeux de certains qui espéraient sans doute que le cas Donald Sterling fasse jurisprudence…