NBA Finals – À quelques heures de la parade des Warriors, retour sur l’ambiance et les différences entre San Francisco et Boston avec notre envoyé spécial sur place, Melvin Karsenti.
Il est 5h45 du matin sur Causeway Street, la rue qui donne sur l’entrée principale du TD Garden. Après une courte nuit, j’attends mon Uber pour aller à l’aéroport et rentrer à San Francisco. La marée verte et blanche des fans des Celtics, et les vendeurs de t-shirt avec les slogans « Ayesha can’t cook » (Ayesha Curry, la femme de Stephen, écrit des livres et présente des émissions de cuisine) ou « Draymond Sucks » ont laissé place à un silence étrange. La veille, Stephen Curry vient de relancer la série, marquant 43 points lors d’un Game 4 historique, climatisant au passage un TD Garden bouillant et souvent hostile.
À peine entré dans la voiture que le chauffeur, Herbert, annonce tout de suite la couleur. « Vous avez regardé le match hier ? » Il ne me laisse pas le temps de répondre et enchaine : « Il nous a fait la misère. Il est allé chercher le match et il n’y avait rien à faire. »
Je lui demande alors s’il arrive tout de même à apprécier les performances de Stephen Curry malgré son souhait de voir les Celtics, l’équipe qu’il supporte depuis toujours, accrocher la 18ème bannière de champion de leur histoire.
« Absolument ! Je ne veux pas le voir gagner ce titre mais c’est un privilège de le voir jouer. Il a complètement changé la façon dont la NBA joue. D’ailleurs, je dois confesser que c’est mon joueur préféré et les Warriors sont ma deuxième équipe préférée ! » me dit-il en rigolant.
Cet échange résume bien l’ambivalence des deux équipes, des deux villes et de leurs fans pendant ces Finals. Si leur rivalité est intense et visible, le respect entre les deux camps est très présent.
Le cas Draymond Green en est l’exemple parfait. Sa grande gueule, son style de jeu et son agressivité parfois limite en font l’ennemi public numéro un partout où il joue. Il est facile de détester Draymond Green. Je l’ai vu se faire conspuer à Toronto, et entretenir une relation détestable avec les fans de Cleveland. Mais même au plus fort de la rivalité entre Warriors et Cavs, jamais les fans de Cleveland n’étaient allés aussi loin que ceux des Celtics.
Il n’est pas rare de voir des fans insulter des joueurs mais ça l’est de voir toute une salle reprendre « Fuck you, Draymond » à plusieurs reprises pendant deux matchs. Certains fans des Celtics étaient surpris par tant d’animosité, mais derrière cette haine de l’homme à tout faire des Warriors se cache une marque de respect.
« On connait le basket ici, on sait que Draymond est un pion central de leur équipe. Ce sont Steph et Draymond, Klay est moins dangereux qu’avant, et si on peut aider les Celtics en rentrant dans la tête de Draymond, pourquoi pas ? » m’expliquait Cody, co-fondateur de l’agence de marketing pour laquelle je travaille et fan des Celtics, avant d’ajouter : « Si Draymond jouait pour Boston, ce serait le chouchou du public, comme Marcus Smart ! »
Deux salles, deux ambiances
Les fans des Celtics sont précédés par leur réputation mais la logistique des NBA Finals leur permet également d’arriver au match chauffés à blanc. Les Finals représentent l’apex de la saison NBA et tout est fait pour satisfaire les partenaires audiovisuels de la ligue qui déboursent des milliards pour avoir les droits de la saison. C’est la raison pour laquelle les matchs commencent tôt sur la côte Ouest (17h le dimanche, 18h en semaine) et tard à l’Est à cause du décalage horaire de trois heures qui existe entre les deux côtes (20h le dimanche, 21h en semaine), afin de maximiser les chiffres d’audience.
À San Francisco, à l’exception du Game 2, les fans finissaient leur journée de travail et arrivaient au Chase Center juste avant le début du match. La salle paraissait d’ailleurs plus qu’à moitié vide à 20 minutes du début des Game 1 et 5.
À Boston en revanche, avec un début de match à 21h, les fans prennent la direction du TD Garden assez tôt mais, contrairement au Chase Center et à de nombreuses autres salles NBA, ils ne possèdent pas d’esplanade publique où les gens peuvent se retrouver avant et après le match. Ils s’amassent du coup dans les bars et restaurants de Causeway Street et des alentours pour faire leur « échauffement ».
Cette configuration n’est d’ailleurs pas la seule différence entre les deux salles. Le TD Garden a été construit en 1995 pour remplacer le légendaire Boston Garden (1928-1998). La salle est construite au-dessus de North Station, l’une des principales stations ferroviaires de la ville, et fait son âge. C’est une salle compacte, aux allées étroites, et avec une acoustique assourdissante, similaire à l’ancienne Oracle Arena d’Oakland.
Les Warriors ont déménagé à San Francisco vers le Chase Center en septembre 2019. C’est là une salle flambant neuve, moderne et dernier cri, beaucoup plus aéré que le TD Garden. L’acoustique est bonne mais n’est pas comparable à celles des anciennes salles. Le Chase Center a souffert de la comparaison injuste avec le « Roaracle » mais est tout de même monté en puissance au cours des playoffs, terminant avec des fameux chants « Waaaaarrrriors » qui n’avaient pas à rougir de l’ambiance du TD Garden.
Vieille NBA vs Nouvelle NBA
Ces deux salles sont à l’image des deux franchises. Entrer dans le TD Garden, c’est comme dépoussiérer un livre d’histoire. Partout, on vous rappelle la légende des Celtics. De Bill Russell à Paul Pierce en passant par Larry Bird, avant de découvrir les 17 bannières de champions qui trônent au-dessus du parquet. Vous pouvez ressentir le poids de cette histoire et de la fierté qui en découle.
Le Chase Center représente les entrepreneurs qui ont chamboulé la NBA. Modernité et innovation y sont rois sur et en dehors du parquet, comme un symbole de Stephen Curry, des Warriors, qui ont récemment rejoint les Celtics dans le cercle très fermé des dynasties NBA aux côtés des Lakers et des Bulls, et de la Silicon Valley.
Cet aspect-là joue aussi dans l’animosité entre les deux villes. Boston se considère comme une ville de cols bleus, de travailleurs et voit San Francisco comme une bulle élitiste ultra libérale qui regarde les autres de haut.
« Il existe un dédain pour San Francisco et la Silicon Valley, » me confirmait Cody. « Les gens aiment détester la Bay Area, le milieu de la tech, des startups et ce que ça véhicule même si les diplômés de Harvard et du MIT se ruent vers les grandes boites de la Silicon Valley. »
Boston, qui est un des bastions de l’innovation aux Etats-Unis, notamment à l’intersection des domaines médicales et technologiques, cherche tant bien que mal à garder une identité qui colle à l’image des Celtics d’antan. Physiques, rugueux, agressifs. C’est surement pour ça que les fans aux TD Garden sont plus agressifs et abrasifs qu’ailleurs.
Les fans de Golden State, du moins au Chase Center, ont l’air plus policés. Ils ont aussi été gâtés par une équipe au sommet de la NBA entre 2015 et 2019, et de retour en 2022. Boston a été sevré de titres des Celtics depuis 2008. Et dans une ville surnommée « Title Town », en référence au succès des Bruins en NHL, des Red Sox en MLB et évidemment de Tom Brady et des Patriots en NFL, cette disette commence à faire tache.
Les Celtics et leurs fans étaient tout près de renouer avec le succès cette saison mais les Warriors en ont décidé autrement. À l’image de l’échange entre Draymond Green et Jayson Tatum après le buzzer du Game 6 et d’autres déclarations dans les deux camps, les tensions ont laissé place à un respect mutuel… jusqu’à la saison prochaine.
Propos recueillis à Boston.
Melvin Karsenti a couvert les NBA Finals sur place pour Basket USA. Il vit à San Francisco depuis dix ans et s’est déplacé à Boston pour les Game 3, 4, et 6.