Son joueur favori a beau ne plus faire partie de l’équipe, Sebastian, 22 ans, n’a pu s’empêcher d’enfiler le n°10 de DeMar DeRozan sur les épaules. L’émotion liée au transfert de l’été dernier – « la meilleure chose qui soit arrivée à la franchise » selon lui – est passée depuis un moment : le fan des Raptors est prêt à donner de la voix pour la nouvelle figure de l’équipe, Kawhi Leonard. Il n’est pas le seul. Autour de lui, ils sont près de deux mille, ce dimanche après-midi, à attendre le début de la quatrième manche face aux 76ers.
Pour avoir une idée de l’engouement basket au Canada et à Toronto, c’est ici qu’il faut se rendre : « Jurassic Park ». La place en question, officiellement baptisée « Maple Leaf Square » en référence à l’équipe de hockey (NHL), est cadrée par les nombreux buildings au cœur de la ville canadienne. Elle jouxte surtout la Scotiabank Arena, antre des Raptors et des Leafs. La place a hérité ces dernières années de ce surnom avec la présence des fans des Raptors qui, comme ceux de l’équipe de l’hockey, se donnent rendez-vous ici pour assister aux matchs à domicile ou à l’extérieur de leurs favoris.
Le match va démarrer dans une demi-heure quand la première bonne nouvelle de l’après-midi tombe. « On vient de l’apprendre sur Twitter : Spicy P (Pascal Siakam) va jouer ! », annonce en trombe le speaker devant une foule qui s’éveille, sans doute soulagée de voir la cote des Raptors remonter soudainement.
En attendant l’entre-deux, on s’assure de chauffer au maximum la foule. Concours de danse, concert à base de percussions, musique qui grimpe dans les décibels… Sans oublier le classique lancer de t-shirts qui, après la victoire des Raptors, est visiblement le moment le plus attendu par les fans (on exagère à peine…). On voit même une petite fille qui peine à retenir ses larmes lorsqu’on finit par lui apporter en main propre le t-shirt qu’elle ne parvenait pas à obtenir.
Alors que la température continue de monter, Brad et Megan, posés sur un banc, profitent de la vue depuis la seule terrasse de la place. Fans des Raptors, pas les plus fervents, ils disent venir pour la première dans « Jurassic Park ». « Le public est vraiment cool ici. Et il faut dire qu’avec le beau temps, ça aide ! » La réflexion n’est pas aussi anecdotique qu’elle n’y paraît au pays des hivers glacés.
Ce dimanche, le thermomètre a passé le cap des 10°C. La semaine précédente, pour le Game 2, c’était plutôt 2° avec la dose de vent et un soupçon de pluie. Pas de quoi décourager ces fans qui avaient alors sorti le K-way pour suivre la rencontre malgré les conditions (si ces dernières sont trop mauvaises, la retransmission peut être annulée). C’est dire l’engouement pour les Raptors.
« Il n’y a pas mieux qu’ici niveau basket », s’enthousiasme Sebastian. « Tout le pays est derrière cette équipe. Quelle autre équipe peut se targuer d’avoir un pays tout entier derrière elle ? Aucune ! »
À propos de cette fameuse place en extérieur, l’étudiant ajoute : « L’atmosphère est incroyable ici. Les vrais fans sont là, pas à l’intérieur où c’est une histoire de business. » L’habitué de « Jurassic Park » admet aussi ne pas avoir les moyens de s’offrir un précieux ticket pour suivre le match dans la salle. En particulier pour les playoffs où les prix grimpent : il faut débourser près d’une centaine d’euros pour se contenter du dernier rang, à deux doigts du plafond de l’arène.
Le match démarre. Les centaines de paires d’yeux sont désormais scotchées à l’écran géant (24 mètres sur 15 !) qui borde l’une des façades de la Scotiabank Arena. Les fans ont droit aux commentateurs de la télévision locale. En fermant les yeux, on se croirait parfois à la salle. Sur ses lancers-francs, Kawhi Leonard a droit aux mêmes chants de « MVP ! », et Pascal Siakam à ses « MIP ! ». Sur certains lancers, on demande aussi à la foule de faire silence : un « chuuuuut ! » collectif pour ne pas perturber le joueur pourtant à des centaines de kilomètres de là. Amusant.
Malgré le bon départ des Raptors dans cette partie, la frustration s’accumule. En cause l’invraisemblable maladresse de la troupe canadienne derrière l’arc, malgré des tirs laissés ouverts par les 76ers. « Mais qu’est-ce que tu fous, mec ? », s’agace un fan en tapant du pied après un nouvel échec de Danny Green. Même désillusion pour les manqués de Serge Ibaka.
À la pause, les Raptors sont pourtant bien au rendez-vous. Pour le plus grand plaisir de Rosie et Alex, venus à Toronto pour le week-end depuis Thunder Bay (au nord du Lac-Supérieur)… à 16 heures de route de là ! « On pensait que ce match-ci serait à Toronto, pas à Philadelphie… Mais c’est génial d’être ici, il y a une super énergie ! » Pragmatique, Rosie ajoute : « C’est difficile de savoir qui va remporter cette série. On en saura plus après ce match. Si on l’emporte, la série est pour nous. Si on le perd, c’est terminé. »
Plus loin, on trouve Andy, un quinquagénaire qui affiche fièrement un panneau où il a mentionné avoir couru un semi-marathon… quelques heures avant le match. « Je ne rate jamais un match ici », assure-t-il tout en invitant à observer le « melting pot » de Toronto qui s’incarne en « Jurassic Parc ». Difficile de lui donner tort. La mixité qui se dégage de cette foule est évidente. On croise toutes les origines dans ce public majoritairement jeune, parsemé de quelques familles.
Le match se poursuit et la tension monte d’un cran car les Sixers semblent reprendre la main sur le match. C’est sans compter sur un Kawhi Leonard encore des grands soirs. L’ailier fait vibrer son public à distance et les Raptors repassent devant avant une fin de match qui s’annonce épique. Jusqu’à ce panier ultra décisif à une minute du terme qui fait exploser « Jurassic Park ». Son tir vient faire taire le rare, sans doute le seul, fan des 76ers, déjà présent au Game 3, qui n’hésitait pas jusqu’ici à provoquer gentiment ses homologues.
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Les Raptors l’emportent finalement et ses fans peuvent souffler. « C’était un gros match ! », jubilent Joey, Tony et Arthur, la vingtaine tous les trois, qui prévoient d’aller fêter la victoire. « On a joué avec beaucoup d’énergie en défense. On est excités que la série revienne à Toronto. » L’un d’eux, qui voit la série se terminer en sept matches, termine : « L’atmosphère est tellement géniale ici. Pourquoi dépenser de l’argent alors que tu passes toujours un super moment ici ? C’est 100% mieux qu’à l’intérieur. Si tu viens à Toronto, il faut venir ici. »
Quelques minutes après la victoire, la foule s’est déjà éclipsée. Pour mieux revenir mardi prochain pour le Game 5.
À Toronto.