Sacramento s’active pour trouver un meneur capable de ressouder un collectif en perdition (1 victoire en 12 matches). Tyreke Evans a échoué dans ce rôle.
Attaquant-né et scoreur naturel, le Rookie de l’année 2010 n’est pas le chef d’orchestre espéré par les Kings. On en vient même à s’interroger sur son rôle dans le cinq…
A la rédac’, il est deux joueurs qui nous déçoivent beaucoup en ce début de saison. On en faisait les étoiles de demain, ils sont encore à des années-lumière (OK, on exagère) d’une sélection All-Star. Le premier, étouffé par la boulimie de Rudy Gay, vient de sortir du cinq majeur à Memphis : O.J. Mayo. Le deuxième a été élu Rookie de l’année 2010 en devenant le quatrième débutant de l’histoire à tourner à plus de 20 points, plus de 5 rebonds et plus de 5 passes : Tyreke Evans.
Pour Mayo, qui dispute sa troisième année NBA, la régression est nette (de 17.5 pts à 13.5 et de 45.8% aux tirs à 41). Celui dont on voulait faire autrefois « le nouveau LeBron James » ne parviendra vraisemblablement pas à exploser s’il demeure à Memphis. En tout cas pas aux côtés de la doublette Gay-Randolph.
Pour « T-Rex », actuellement dans son année sophomore, la tournure des événements est tout aussi préoccupante. Tyreke Evans n’a pas régressé, il stagne. En chiffres, ça donne un coup de mou au scoring (de 20.1 pts à 17.3) et une adresse en chute libre (de 45.8% à 40.1). Dans les autres catégories, le n°13 des Kings se maintient. Mais les chiffres ne disent pas tout. Ils ne disent rien du malaise créé à Sacramento par la situation du n°4 de la draft 2009.
Fin novembre, le sujet a fait l’objet d’un article très intéressant dans les colonnes du quotidien local, le « Sacramento Bee ». Aussi doué, athlétique et puissant soit-il, Tyreke Evans n’est pas et ne sera jamais le playmaker attendu par les Kings il y a un an. « T-Rex » n’est pas suffisamment leader et bon passeur pour cela. Du poste 1, il a glissé au 2. Le staff s’interroge aujourd’hui sur l’opportunité de l’installer en 3… Le GM, Geoff Petrie, s’active pour récupérer un meneur fiable qui déchargerait définitivement Evans d’une tâche trop ardue pour lui. Après le match contre les Bulls (défaite 85-96 le 27 novembre à l’ARCO Arena), il affichait une forme de lassitude :
« On aurait dit que je devais créer du jeu à chaque possession. J’ai fait de mon mieux pour aider mes coéquipiers à trouver des positions ouvertes. »
Mais on l’a compris en lisant entre les lignes : ce n’est pas son truc. L’ancien Tiger de Memphis est d’abord un scoreur naturel.
« Le rôle de manieur de balle et de playmaker ne lui convient pas. Défendre. Prendre des rebonds. Développer un shoot extérieur. Attaquer le cercle. Prendre les bonnes décisions. Créer pour lui-même et pour les autres. C’est demander beaucoup à un joueur de 21 ans qui a passé la plupart de son temps, durant sa jeunesse à Philadelphie, à dunker sur les autres », écrit le « Sacramento Bee ».
Chez ses coéquipiers, il fait l’unanimité
Selon toute vraisemblance, l’association Tyreke Evans-Kevin Martin (échangé contre Carl Landry en février dernier) aurait fini par brider « T-Rex » qui a besoin d’avoir la balle dans les mains et d’aller faire la différence seul, en force, quelle que soit la défense proposée. La situation actuelle, avec une mène défaillante, ne lui convient guère plus. Au locker room, le joueur fait l’unanimité. Ses coéquipiers apprécient l’homme et comprennent ses difficultés. Aussi, Paul Westphal cristallise les critiques pour son incapacité à tirer le meilleur d’un tel joyau…
« Tyreke est à coup sûr un type d’attaquant très différent de Steve Nash. Ils n’ont pas le même gabarit ni les mêmes capacités », commente le coach des Kings. « La chose importante pour Tyreke comme pour tous nos jeunes joueurs est de savoir répondre à cette question : « Quelle est la meilleure action possible ? Quel est le système que réclame telle situation ? » Notre jeu ne doit pas devenir trop prévisible. Je pense que parfois, l’exécution n’est pas assez rapide. Tyreke essaie d’accélérer mais ce n’est pas encore une habitude chez lui. Il est important de changer ça. »
Changer, c’est réussir à incorporer un joueur un tantinet individualiste dans un projet collectif. Ce qu’on ne changera pas, c’est l’essence même du jeu d’Evans qui se nourrit de l’opposition directe, de l’attaque frontale.
« Il croit qu’il peut faire la différence contre n’importe qui et durant une majeure partie de la saison écoulée, ce fut vrai. Une campagne à 20-5-5 a malheureusement renforcé cette idée. « Malheureusement » car si les Kings ont aidé Tyreke à remporter le titre de Rookie de l’année, ils ont perdu un an. Regardez les chiffres. Sacramento était à un respectable 13-15 avant que Westphal n’encourage son rookie à jouer le un contre un face à LeBron et Kobe soir après soir. Psychologiquement, cela a envoyé un message fatal. Les Kings ne s’en sont pas remis. Ils n’ont plus jamais été une équipe », poursuit Ailene Voisin du « Sacramento Bee ».
Sacramento avait achevé l’année 2009-10 avec un bilan de 25 victoires-57 défaites (14e à l’Ouest). Aujourd’hui, l’équipe s’affiche à 4-12 (13e). Et avec une série de 11 revers en 12 matches depuis le 3 novembre, Paul Westphal est bien contraint d’admettre que l’absence de collectif digne de ce nom est l’un des principaux maux du groupe. Quelle place pour « T-Rex » dans ce schéma ?
Un point guard dans l’œil du cyclone
Evans est un joueur qui parle avec son basket, son physique et surtout son cœur. En dépit de la hype qui s’était abattue sur lui durant ses années lycée et même si une vingtaine de facs lui avaient fait les yeux doux, il n’était pas forcément considéré comme une valeur sûre au moment de s’inscrire à la draft 2009, après une petite année chez les Tigers. Les Grizzlies voisins se passèrent de ses services, lui préférant le pivot tanzanien Hasheem Thabeet (2.7 pts et 3.2 rbds en carrière…) en 2e position. Son propre coach en college, l’illustre John Calipari, ne l’avait pas lui-même catalogué comme un véritable point guard.
« J’aurais dû être viré », sourit celui qui changea Evans de poste après trois défaites en neuf matches.
John Calipari tiendrait-il les mêmes propos aujourd’hui en voyant son poulain peiner à le diriger le jeu chez les pros ?
Evans naquit à Chester, Pennsylvanie, en septembre 1989. On le surnommait parfois « Hugo » car il vit le jour durant le passage d’un ouragan. Tyreke fut élevé dans le ghetto par ses frères aînés. Papa, routier, était souvent absent de la maison. « Reke » a toujours grandi avec des plus vieux. Il se trouva mêlé à une fusillade lors d’une fête avec son cousin. Et prit également du plomb dans la tête. Dans le bon sens du terme. « T-Rex », nickname dérivé de ce prénom si peu commun, se souvient :
« Quand je jouais avec des garçons de mon âge au lycée, à l’American Christian High School d’Aston (ndlr : en Pennsylvanie), les gens pensaient que j’étais plus vieux. J’ai toujours été plus balèze que ceux nés la même année que moi. Les critiques me passaient au-dessus de la tête. Avec les anciens, je bafouillais un peu mais à force de me mesurer à eux, je suis vite devenu meilleur. Au lycée, à mon poste, il y avait un joueur plus fort que moi. Il me poussait sans arrêt et la jouait physique. J’ai compris qu’il fallait que je me renforce. J’ai pris un entraîneur personnel pour la musculation. Je savais que je devais soulever de la fonte mais je ne savais pas comment m’y prendre. Je voulais être meilleur que tout le monde. Le meilleur. »
L’investissement fut payant. Au bahut, Evans se balade. Il boucle son cursus avec plus de 32 points par match. Invité au McDonald’s All-American, il est désigné MVP du show avec 21 points, 10 rebonds et 4 passes. La presse s’empare du phénomène. Les distinctions tombent. Point guard, combo guard, slasher ? L’arrière à tout faire brouille les pistes. Même John Calipari, celui qui a permis à Derrick Rose de se hisser à la 1ère position de la draft, s’y perd.
Le LeBron James des meneurs
Derrick Rose, parlons-en. Les deux hommes s’étaient affrontés en high school dans un duel mémorable. Evans succéda au futur meneur des Bulls chez les Tigers. Aujourd’hui, en NBA, les confrontations tournent généralement à l’avantage du n°1 de la draft 2008 qui s’est définitivement imposé comme le meilleur à son poste. Dans cette Ligue, la roue tourne vite… Voici ce que disait par exemple Nate McMillan, le coach des Trail Blazers, au sortir d’une victoire contre les Kings l’an dernier :
« Je déteste comparer les joueurs mais je pense qu’il y a du Magic Johnson en Tyreke. C’est un grand arrière qui lit très bien le jeu. Il n’est pas personnel, il va au cercle, il utilise très bien son corps… Il est bon dans le jeu de transition, il peut prendre des rebonds et pousser la balle. Aucun arrière, qu’il soit small ou big, n’arrive à le déconcerter. »
Evans, qui culmine à 1,98 m, a pris la (mauvaise ?) habitude d’utiliser sa taille et sa puissance pour écraser ses vis-à-vis. Son envergure est à peine plus petite que celle de LeBron James et il pèse 100 kg. Les comparaisons en firent très vite « le Lebron des point guards » puisqu’il dominait athlétiquement tous ses rivaux. Malheureusement pour lui, il n’a pas le sens du collectif du double MVP de la Ligue. Et s’il abuse du un contre un, c’est aussi parce que son shoot extérieur n’est pas fiable (24.6% à 3 pts en carrière). Evans a beaucoup bossé avec Pete Carril, assistant coach des Kings, pour améliorer son tir dans le périmètre. Et corriger ce qui demeure son talon d’Achille.
« Son mouvement est correct mais il a tendance à tenir la balle trop loin derrière sa tête », expliquait le GM de Sacramento, Geoff Petrie. Qui n’aimait pas trop les comparaisons avec LeBron : « Son truc à lui, c’est une grosse accélération avec la balle. Il est comme un running back en football américain : quand un trou se crée, il le voit immédiatement et s’y engouffre. C’est l’un de ces joueurs qui vont plus vite lorsqu’ils ont la balle que lorsqu’ils ne l’ont pas. Ça, c’est parce qu’il a toujours eu le ballon. Il est très à l’aise avec. »
Aussi athlétique soit-il, Evans n’a pas une détente extraordinaire. Il a plus tendance à exploser vers le cercle qu’à survoler la mêlée. Il possède une sacrée panoplie de feintes pour embarquer son adversaire direct à gauche ou à droite. Il aime s’infiltrer dans le trafic et finir ses actions tout en toucher. Défensivement aussi, c’est un client. Une sangsue au jeu de jambes diabolique et à l’anticipation aiguisée. Reste à trouver le meilleur écrin possible pour un tel diamant. Celui dont Dwyane Wade affirmait l’an passé qu’il possédait « le jeu le plus complet des rookies »…