C’était un dimanche, jour de Game 7, le 20 mai 2001. Une date, un match et un duel entre Vince Carter et Allen Iverson qui sont restés gravés dans les mémoires de bien des fans de basket à travers le monde. Un duel qui a basculé à la dernière seconde en faveur de « The Answer » (88-87) et qui contribuera à bâtir la légende des deux acteurs de cette série folle : Vince Carter traînera la réputation d’un joueur incapable d’être clutch, tandis qu’Allen Iverson a posé là l’une des premières pierres à la gloire d’un joueur à l’état d’esprit de guerrier. Du « Little Big Man » dans le texte, plus petit que les autres mais aussi plus fort, fidèle à l’un de ses nombreux tatouages devenu célèbre : Only The Strong Survive (« Seuls les forts survivent »).
La NBA au début du siècle… déjà un autre monde
Au début des années 2000 et au lendemain d’un lockout dévastateur en terme d’image, la plus grande ligue du monde connaît un vent de fraîcheur avec la récente prise de pouvoir d’une flopée de jeunes arrières de talent, bien décidés à redonner tout son lustre d’antan à la NBA et à révolutionner le jeu, à leur manière. Les successeurs de Michael Jordan (qui s’offrira un ultime comeback la saison suivante) s’appellent Kobe Bryant, Tracy McGrady en passant par Vince Carter, Jerry Stackhouse (deuxième meilleur marqueur de la saison régulière cette année-là) ou encore… Allen Iverson.
Les stars montantes de cette nouvelle ère avaient réussi un joli tour de force : convaincre coachs et partenaires de leur laisser un nombre incalculable de tirs. Jusqu’à 30 tentatives par match en playoffs pour les plus gourmands d’entre eux, Allen Iverson et Kobe Bryant pour ne pas les citer. La saison 2000-2001 résume bien cette tendance puisqu’elle voit les deux meilleurs arrières de cette génération dorée, Allen Iverson (meilleur marqueur de la saison régulière avec 31.1 points par match et 25.5 tirs tentés en moyenne) et Kobe Bryant, alors encore fidèle lieutenant de Shaquille O’Neal, se retrouver en finale NBA.
Un duel qui atteint des sommets
Avant d’en arriver là, les Sixers ont dû livrer deux duels épiques conclus en sept manches. Face aux Bucks du trio Sam Cassell – Ray Allen – Glenn Robinson en finale de conférence mais aussi face aux Raptors de Vince Carter, également dans la course pour incarner le successeur de « His Airness » à l’époque, en demi-finale. Si la série face aux Bucks aux portes de la finale, autrement plus importante, n’a pas forcément marqué les esprits, les duels épiques que se sont livrés Vince Carter et Allen Iverson en demi-finale de conférence Est, sont eux restés dans toutes les mémoires.
Jusqu’à ce Game 7 de légende, les deux stars se répondent sans baisser le regard, à grands coups de performance ahurissantes. Vince Carter, qui vient de remporter la première série de playoffs de sa carrière après avoir sorti les Knicks de Latrell Spreewell dans un Game 5 décisif au Garden, se voit pousser des ailes lorsque les Raptors prennent le Game 1 et récupèrent l’avantage du terrain à Philly, premier de la conférence Est. D’autant plus lorsque « Vinsanity » plante 50 points lors du premier match de la série au Canada à 9/13 à 3-points, scellant un record à 8/9 dans l’exercice… à la mi-temps ! Les Raptors mènent alors 2-1 avec le prochain match à la maison et une bonne partie du job de fait. Mais comme on pouvait s’y attendre, Allen Iverson ne l’entend pas de cette oreille, au sens propre comme au figuré.
« The Answer » trouve la réponse… en équipe !
Son corps, malmené par les blessures à répétition le fait souffrir, mais peu importe, le « franchise player », fraîchement élu MVP de la saison régulière, est en mission. Et après avoir planté 54 points dans le Game 2, il permet à ses Sixers d’inverser la tendance avec 30 points dans une précieuse victoire à Toronto pour égaliser à 2-2 suivi d’un retour à la maison fêté par un match à 52 pions et une victoire qui place Philly à une marche de la finale NBA. Après un Game 6 remporté sans problème par Toronto, la planète basket a les yeux braqués sur ce duel entre Iverson et Carter à l’occasion de cet ultime duel décisif.
Contrairement à toute attente, ce n’est pas au scoring qu’Iverson le shooteur fou (29.7 tirs tentés en moyenne sur la série) va surprendre tout son monde. Déjà usé physiquement, « The Answer » trouve la réponse en se muant en organisateur et profite des prises à deux à répétition pour faire briller ses coéquipiers, Aaron McKie, Tyrone Hill, Eric Snow ou encore Jumaines Jones, délivrant 16 passes décisives, son record absolu dans un match de playoffs. Encore plus dingue, il termine deuxième meilleur marqueur lors de ce match décisif, à une unité de McKie (22 pts).
Vous connaissez la suite de l’histoire. Avec une fin de match à couper le souffle, à 88-87, deux petites secondes sur l’horloge et la possession pour Toronto. Dell Curry, alors papa d’un jeune adolescent prénommé Steph, parvient à trouver Vince Carter à l’aile. Mais la tentative de ce dernier, après une jolie feinte de tir sur Tyrone Hill, ne trouve que l’arceau.
À l’issue de ce duel aussi intense pour les muscles que pour les nerfs, Allen Iverson avait déjà tout gagné. En mettant hors course l’équipe d’un autre prétendant du trône, et en remotivant par la même occasion tout un groupe, de nouveau prêt à partir à la guerre pour son leader. Soulagé d’avoir mis ses coéquipiers en lumière et que ces derniers aient répondu comme il l’imaginait, AI lâchera après le match : « Nous sommes une équipe. Pour la première fois de ma vie, je suis dans une équipe ».
« Role player » du bout du banc, le poste 5 Todd McCulloch (6 minutes en moyenne sur les playoffs 2001) se rappelle : « Même s’il n’était pas toujours un grand passeur, nous savions où était son cœur. Nous savions à quel point il voulait gagner. Il l’a fait de la meilleure façon, et c’était assez efficace. Je n’ai jamais joué avec un autre joueur capable de maintenir un tel effort sur 48 minutes et tout donner sur le terrain. »
Le « Graduation Gate »
Du côté des Raptors, cet échec à la dernière seconde hantera pendant longtemps Vince Carter, longtemps vu comme un joueur doté de beaucoup de talent certes, mais pas de ce vice de la gagne à tout prix que peuvent cultiver ses homologues Kobe Bryant et Allen Iverson. Ce constat, pas toujours vérifié sur le terrain, tombe en tout cas sous le sens lorsque l’on retrace la journée de ce 20 mai 2001 du n°15 canadien, conclu par un Game 7 globalement raté au vu de sa série (20 points à 6/18).
Une des raisons est toute trouvée : ce jour-là a coïncidé avec celui de la remise des diplômes à l’université de North Carolina où Vince Carter, sensible à ce que représente ce « Graduation Day », s’est rendu dans le jet privé de Larry Tanenbaum, l’un des propriétaires de la franchise canadienne. Au grand dam de pas mal de ses coéquipiers qui, même s’ils ne l’avoueront qu’à demi-mots, ont été choqués de voir leur leader se rendre à une remise de diplômes, aussi importante soit-elle, à un moment aussi crucial de leurs carrières.
L’ailier shooteur Tracy Murray, champion NBA avec les Rockets six ans plus tôt, sait les sacrifices qu’il faut pour décrocher le Graal et garde ce déplacement impromptu en travers de la gorge.
« C’était louable pour lui d’obtenir son diplôme. Mais vous avez 12 gars qui dépendent de vous. C’était une pilule difficile à avaler pour les gars. Tout le monde était un peu contrarié à ce sujet. Nous avons compris à quel point l’obtention du diplôme était importante, mais en même temps, nous nous battions pour notre survie en playoffs. J’aime Vince, et c’est honorable ce qu’il a fait, mais je pensais que ça nous a fait un peu mal. »
https://www.youtube.com/watch?v=IPNzd_2ifKE
Le remake victorieux pour Vince Carter, 13 ans plus tard
Pour consoler les nombreux fans d’Air Canada, même s’il a encore failli en tant que leader avec Orlando en 2010 à l’occasion de sa seule et unique finale de conférence (défaite 4-2 face à Boston, 13.7 points à 36% au tir sur la série), Vince Carter a par la suite montré à ses détracteurs sa capacité à être clutch sur certaines fins de match. Comme ce soir de playoffs 2014 face aux Spurs (Game 3 du premier tour), sous le maillot de Dallas, où l’arrière à l’extraordinaire longévité a inscrit un buzzer beater quasi-identique à celui manqué 13 ans plus tôt. Avec Jose Calderon dans le rôle de Dell Curry, et Manu Ginobili dans celui du voltigeur, pris par la même feinte que Vince Carter avait réussi sur Tyrone Hill.
Pour terminer, ces deux icônes d’une génération ont en commun la particularité de n’avoir jamais gagné un titre NBA, ce qui paraissait inimaginable à l’époque tant Vince Carter et Allen Iverson semblaient avoir la vie devant eux. « The Answer » n’a connu qu’une finale NBA (en 2001 donc), tandis que Vince Carter traîne toujours ses shorts dans toutes les salles du pays avec l’espoir d’en disputer une, à plus de 40 ans.
De leur côté, les Raptors et les Sixers ont bien changé, et c’est dans un contexte totalement différent que s’ouvre cette demi-finale de conférence entre Kawhi Leonard et sa bande, face à Joel Embiid, Ben Simmons et compagnie.
Pour revoir le Game 7 complet :
Sixers : Allen Iverson, Aaron McKie, Jumaine Jones, Tyrone Hill et Dikembe Mutombo
Raptors : Alvin Williams, Mo Peterson, Vince Carter, Charles Oakley et Antonio Davis
https://www.youtube.com/watch?v=yOQBtcbxMc4