Il n’y a pas que les footballeurs qui mettent le cap sur les émirats pour empocher un dernier pactole avant de tirer leur révérence. Quelques basketteurs s’en vont eux aussi dans le Golfe persique préparer une retraite dorée.
Après onze saisons en NBA, Lamond Murray a pris son baluchon et parcouru le monde. Chine. Venezuela. Bahreïn. Basketball without boarders.
Son transfert à Toronto en 2002 fut décisif pour l’arrivée de LeBron James à Cleveland.
Vous en connaissez beaucoup, vous, des basketteurs qui aimeraient jouer pour l’une des pires équipes de l’histoire de la NBA ? Surtout pour les Los Angeles Clippers ! Tel était le choix de Lamond Maurice Murray. Un Californien qui avait l’intention de tout donner, aussi longtemps qu’il le pourrait, pour devenir une star dans la grande Ligue.
« Je suis dans le cinq de départ d’une équipe NBA et j’apprends en jouant. J’essaie de faire mon trou dans cette Ligue. Je préfère ça plutôt que de faire banquette et de regarder jouer les autres. »
En cette année 1994-95, l’ailier natif de Pasadena vient tout juste de quitter son université de California. Avec son pote Jason Kidd, il plantait à tour de bras. Ensemble, ils sont partis à la conquête du basket pro. Kidd en 2e position de la draft 1994, retenu par Dallas. Murray en 7e, choisi par les Clippers. Le premier a renoncé à sa troisième année de college. Le deuxième à sa quatrième.
« Lamond est un grand shooteur. C’est ce qui nous a plu en lui », explique Bill Fitch, le coach de Los Angeles.
Pour ses débuts en NBA, le tireur d’élite de 2,01 m et 107 kg n’est pas gâté. Les Clippers perdent leurs 16 premiers matches. Ils ne mettent pas un pied devant l’autre avant le 7 décembre. Ce soir-là, le meneur, Pooh Richardson, réussit un tir miraculeux au buzzer contre les Bucks, en prolongation. C’était la première fois que Murray débutait une rencontre dans le cinq de départ.
« Démarrer la saison par 16 défaites fut très dur. Ça l’aurait été encore plus si j’étais resté assis sur le banc à regarder les autres se faire balader. Dans cette équipe, je peux me permettre quelques erreurs. Je sais que j’aurai toujours ma place. »
Osé. Mais ne voyez là aucune forfanterie. Lamond est un garçon doux comme un agneau. Un shooteur naturel qui a réussi son premier dunk alors qu’il portait encore des couches… Dans les années 70, son père, James, était une star à UC Riverside. Il prenait souvent bébé sur ses épaules pour lui faire réussir des smashes.
« A 3 ans, Lamond avait tout le temps une balle de basket entre les mains. Il dormait même avec. Je me souviens que le ballon était plus gros que lui. Quand j’étais au college, les cheerleaders avaient installé une nurserie à côté du terrain et elles s’occupaient de lui. Le seul bruit qu’il entendait, c’était le son du ballon rebondissant sur le parquet », se souvient Murray père.
Lamond serait-il l’un de ces bébés stars ? Pas vraiment. Lui a plutôt une carrure de boss. L’année précédente, à California, c’était « The Man ». Il compila 729 points, soit une moyenne de 24.3 par rencontre. Un record dans les deux cas. Lamond quitta le campus avec un total de 1 688 points en 3 ans. Mieux que les 1 655 du recordman, le meneur des Suns Kevin Johnson. Il se classait aussi troisième meilleur scoreur (19.2 pts de moyenne), tireur à 3 points (99 paniers primés) et contreur (75 blocks) de l’histoire des Golden Bears.
Le cousin de Tracy Murray
La famille Murray est une vraie pépinière de shooting stars. L’oncle de Lamond, Robert, était meneur à Cal Lutheran. Il eut deux fils. Cameron joua lui aussi meneur mais à l’université de Southern California. L’autre est un peu plus connu du public français puisqu’il évolua dans les rangs de l’Elan Sportif Chalonnais : Tracy. Tracy est donc le cousin de Lamond.
Formé chez les Bruins et choisi en 18e position de la draft 1992 par les Spurs, Tracy écuma les franchises NBA (Portland, Houston, Toronto, Washington, Denver, L.A. Lakers) avant de traverser l’Atlantique et de faire un peu de tourisme, en Grèce puis en France. Il remporta le concours à 3 points du All-Star Game français en 2006. Inclus dans l’échange entre Portland et Houston pour le transfert de Clyde Drexler, il ne participa pas à la campagne de playoffs 1995 des Rockets – celle du back-to-back – et fut donc privé de bague. Ses titres de gloire ? Le bronze lors des Jeux panaméricains de 1991 et une première place au classement des shooteurs à 3 points les plus adroits de NBA en 1994, sous le maillot des Trail Blazers (45.9%).
Dans le clan Murray, Lamond et son papa James représentent le Nord de la Californie. La famille de l’ailier des Clippers avait quitté Los Angeles pour Fremont, dans la banlieue d’Oakland, quand il avait 8 ans. Tracy et Cameron devinrent deux des plus gros marqueurs de l’histoire des high schools. Lamond, lui, ne figurait même pas parmi les meilleurs joueurs dans sa tranche d’âge.
« On n’a effectivement jamais prêté attention à moi jusqu’à ma dernière saison au lycée John F. Kennedy à Fremont. »
Les choses n’allaient pas s’arranger avec son coach à California, Lou Campanelli. Campanelli est un entraîneur de la vieille école. Un homme qui croit aux vertus d’un basket très structuré, avec des combinaisons offensives coordonnées et de la discipline. Et qui n’hésite pas à hausser le ton quand il est en colère. Les gens s’imaginent rapidement que Murray est immature. Tout s’arrange le jour où… Campanelli se fait virer pour avoir insulté trop violemment ses joueurs dans le vestiaire après un match. Todd Bozeman, son assistant, est promu entraîneur principal. C’est lui qui avait fait venir Kidd et Murray. Le moins que l’on puisse dire est qu’il eut le nez fin. Sur le parquet, il décide de leur donner quartier libre.
Avec Kidd à la baguette et Murray à la finition, les Golden Bears pètent le feu. Cette saison-là, la fac est extrêmement brillante. Au printemps 1993, elle sort Duke (82-77), qui défendait ses deux couronnes NCAA, au terme d’un match fabuleux comptant pour le second tour de la « March Madness ». Murray compile 28 points et 10 rebonds face aux Blue Devils.
« Je crois que le mot « Nervosité » ne fait pas partie du vocabulaire de Lamond », explique Jason Kidd.
« Lamond n’a jamais réalisé à quel point il pouvait être fort », surenchérit Todd Bozeman. « Même aujourd’hui, en NBA, je ne suis pas sûr qu’il s’en rend compte. Parfois, à l’entraînement, quand il tentait quelque chose d’extraordinaire, on se regardait tous en se disant : « Comment a-t-il réussi ça ? » Je peux vous affirmer qu’il ne sera pas un simple joueur pro, il sera All-Star. Son jeu n’a pas de limites. »
Son surnom ? « The Mute » (le Muet). Explications sonores :
« Je ne peux pas être comme les autres gars qui parlent, insultent et restent malgré tout concentrés sur le jeu. Ma façon de me concentrer, c’est d’être le plus calme possible et donc de rester silencieux. Je ne me prends pas la tête avec ce qui va se passer durant le match ni ce que je dois faire. »
Murray s’est bien adapté à la NBA. Il a participé à la deuxième édition du Rookie Game, en février 1995 à Phoenix. Temps de jeu (19 minutes) rentabilisé au maximum : 15 points, 9 rebonds, 5 passes, 1 contre et 1 interception. En overtime, c’est lui qui a planté le shoot victorieux pour la White Team, coachée par Cotton Fitzsimmons (R.I.P.).
Un garçon trop discret
Certains soirs, il lui arrive d’être chaud comme la braise. Le 23 novembre 1994, il plante 30 points à la défense des Suns. Le 7 décembre, il fête donc sa première titularisation à Milwaukee (19 pts). Lamond s’efforce de mettre de l’intensité dans son jeu. Sa façon de s’échauffer est définitivement originale. Avant chaque match, il passe tout son temps à travailler son shoot.
« Beaucoup de gens se trompent à son sujet à cause de sa discrétion », commente joliment Bill Fitch. « Lamond ne vit que pour réussir. »
L’intention est louable. Mais réussir chez les Clippers, est-ce concevable ? Murray essaie, évidemment. Il boucle sa première année chez les pros avec une moyenne de 14.1 points et 4.4 rebonds sur plus de 31 minutes. Son pourcentage de réussite dans le champ est indigne d’un joueur présenté comme une gâchette (40.2%). Deuxième meilleur scoreur de l’équipe derrière Loy Vaught, Lamond (21 ans) est oublié dans le tableau d’honneur de fin d’année. Il est vrai que la saison des Clippers (17-65) n’était pas la meilleure des publicités…
Pendant deux ans, Murray mange son pain noir (1 seule titularisation dans sa troisième année NBA). En 1997-98, il réapparaît sur les radars : 65 matches démarrés dans le cinq, 15.4 points, 6.1 rebonds et 1.49 steal en moyenne, avec le pourcentage aux tirs le plus flamboyant de sa carrière : 48.1. Vaught blessé (10 matches), c’est le meilleur marqueur d’une franchise qui fait toujours tache dans le paysage NBA (17-65).
Au cours de la saison écourtée par le lock-out, elle n’atteint même pas la barre des 10 succès (9-41)… Doublé par Maurice Taylor au scoring (16.8 pts contre 12.2), Lamond est à des années-lumière d’une sélection All-Star. Elle ne viendra d’ailleurs jamais. Murray possède une panoplie assez étoffée pour son poste, une bonne mécanique de tir mais c’est un leader définitivement trop discret. Complet – gros scoreur, bon rebondeur, physique – mais effacé et donc sous-estimé. Rien dans le personnage ne peut changer cela. Pas assez de charisme. Pas assez d’implication en défense. Pas toujours au top de sa motivation… Trop dilettante. Trop smooth. Quand il n’est pas catalogué comme « fumiste ». Le talent est là, pas l’envie de se faire mal. Encore moins celle de laisser une trace indélébile. La sanction, c’est un aller simple pour Cleveland dans le cadre d’un échange un peu humiliant. Le 4 août 1999, Murray est cédé aux Cavaliers contre Derek Anderson et Johnny Newman.
Spécialiste du missile longue distance
Placé sur l’injured list pour les sept premiers matches de la saison régulière en raison d’une douleur au genou gauche, il va se refaire un peu la cerise aux côtés d’Andre Miller, Bob Sura et Shawn Kemp (15.9 pts, 5.7 rbds). Au poste 3, son gabarit et sa force physique lui donnent souvent un avantage décisif. Et puis son jump shot est toujours aussi efficace. Quand il ne plante pas de loin, il passe en force pour atteindre le cercle et écrabouiller l’orange. Sur huit matches entre le 9 et le 29 février 2000, Murray tourne à 22.6 points, 7.6 rebonds et 89.7% aux lancers francs. A l’arrivée, cela ne donne que 32 victoires pour les protégés de Randy Wittman et un départ précipité en vacances, le cinquième de la carrière de Lamond en six années de basket pro. Les Cavs sont à peine plus sexy qu’aujourd’hui. Disons qu’avec un joueur comme Murray, la franchise de l’Ohio aligne un cinq un peu plus présentable…
En 2001-02, à 28 ans, il se retrouve à nouveau meilleur marqueur d’une équipe NBA (16.6 pts, meilleure production en carrière). A son crédit : 25 matches à plus de 20 points, 3 à plus de 30 et 1 à plus de 40 contre les Warriors (évidemment !) le 2 janvier. Après seulement 36 mois sur les bords du lac Erié, l’ailier californien se classe 6e de l’histoire de la franchise pour le pourcentage de réussite à 3 points en carrière et 8e pour le nombre de paniers primés réussis et tentés.
Le renvoi de Randy Wittman, remplacé par John Lucas, l’échange Andre Miller-Darius Miles – qui met Lamond hors de lui – et la signature de Ricky Davis ne redonnent pas le sourire au locker room des Cavaliers en 2002 (29-53). Aussi, Cleveland veut se donner toutes les chances de récupérer le futur n°1 de la draft, LeBron James. Le 25 septembre 2002, Murray est cédé à Toronto contre Michael Stewart et un premier tour de draft 2007.
Lamond ignore bien sûr que le meilleur est derrière lui. Jusque-là, il avait évité les gros pépins (fracture du maxillaire en janvier 2001, nez cassé en janvier 2002, d’où le port d’un masque qui marqua tous les esprits). Une déchirure d’un ligament au pied droit le force à louper la totalité de l’exercice 2002-03. Les deux années suivantes, il ne sera plus qu’un pion dans la rotation des Raptors (6 pts en 15-16 mn). Une équipe qui le suspend pour la venue des Kings en raison « d’un comportement dommageable envers l’équipe ». Ajoutez-y 61 DNP, 5 malheureuses titularisations, des douleurs au dos et vous comprendrez que son séjour au Canada ne fut pas inoubliable, en dépit d’un 500e tir primé en carrière réussi un soir de mars 2005, contre Boston.
Coupé le 2 septembre, il trouve refuge à New Jersey. A 32 ans, le n°31 (anciennement 7 chez les Clippers, 30 chez les Cavaliers et 21 chez les Raptors) semble un basketteur usé. Il ramasse les miettes (3.4 pts en 10.1 mn). Sa carrière NBA s’achève sur une deuxième campagne de playoffs et une élimination en finale de Conférence face au futur champion, Miami (4-1). En 1997 avec les Clippers, il avait été balayé par le Jazz au premier tour. « S’achève » car si Lamond décroche un contrat dans la franchise de ses débuts, en octobre 2006, il est coupé deux semaines plus tard… En quatre matches de pré-saison, il avait péniblement rapporté 4.5 points et 3.5 rebonds.
Trois séjours en Chine
Ayant une famille à nourrir (deux enfants, Lamond Jr et Ashley, de son mariage avec Carmen), l’ailier de Pasadena s’exile en Chine. Il revient au pays, fait un passage en ABA, pas loin de chez lui (Long Beach Breakers), avant de repartir en Chine… puis de revenir à Los Angeles (L.A. Lightning en IBL). En 2008-09, troisième séjour chez les Tigres de Guangdong, suivi d’une pige au Venezuela. Murray n’est plus à une expérience exotique près. Alors, pourquoi pas Bahreïn ? En octobre 2009, il s’engage à Al-Muharraq, une équipe championne du royaume en 2008.
Avec son épouse, Lamond Murray avait créé sa boîte de production, Title 9 Music Productions. En mars dernier, on apprenait qu’il avait vendu sa maison de Manhattan Beach (Californie), de style méditerranéen, pour 2,5 millions de dollars. Bâtie en 2005, elle comprenait un ascenseur, huit chambres, quatre salles de bains et des portes géantes.
A l’époque de son transfert à Toronto, il déclarait ceci :
« Il y a une idée reçue qui veut que je sois juste un shooteur. Je veux montrer que je suis un basketteur all-around. C’est une chose à laquelle j’ai toujours accordé beaucoup d’importance, même à Cleveland. Quand bien même tout le monde me considérait comme un attaquant unidimensionnel à cause de ma réputation de scoreur. Il est évident que si les Cavs m’ont tradé, c’est pour réaliser une saison moins bonne et se donner toutes les chances de récupérer le premier choix de la draft 2003. Je suis simplement heureux de ne plus être dans un processus de reconstruction. Cette situation où je me retrouve assis au bout du banc et où je regarde l’équipe perdre. »
Stats
11 ans
736 matches (364 fois starter)
11.3 pts, 4.1 rbds, 1.3 pd, 0.9 int, 0.4 ct
43% aux tirs, 36% à 3 points, 75.9% aux lancers francs
Records
40 points contre Golden State le 2.01.02
17 rebonds contre Minnesota le 13.04.98
7 passes (quatre fois)
6 interceptions (deux fois)
5 contres à Orlando le 29.12.95
Gains
43,5 M$