Médaillé d’argent aux Jeux Olympiques 2000 à Sydney, de bronze aux Championnats d’Europe en 2005, Fred Weis fut un cadre de l’équipe de France de basket durant huit ans, entre 1999 et 2007. L’ancien joueur du Limoges CSP et de Malaga cumule 100 sélections à son compteur. Aujourd’hui retraité, il reste un observateur très avisé du basket français et européen. Il est notre consultant tout au long de cet Eurobasket 2015.
Tout au long de l’Euro, je ne partageais pas vraiment ton optimisme en raison des nombreuses variations de niveau de jeu affichées par l’équipe de France. C’était selon moi trop difficile d’activer notre concentration pour un match. Finalement, l’équipe de France a presque réussi à le faire mais il y a eu trois minutes de trop…
Je te rejoins, tu me l’as dit depuis le début de l’Euro. J’ai cru qu’ils allaient nous faire le coup de l’année de leur titre de champion d’Europe en 2013 : commencer un peu lentement et monter en régime dans les matchs les plus difficiles et bien, je me suis trompé, ils n’ont pas été capables de le faire sur ce coup. Donc… voilà… malheur aux vaincus, on n’est pas à la place que l’on espérait.
« On n’a pas fait une prise à deux sur Pau Gasol ! »
Vincent Collet a regretté l’arbitrage. Il y a certes eu des coups de sifflet en notre défaveur mais après tout, c’est le sport. Est-ce que c’est pour toi une explication légitime à notre défaite ?
Honnêtement, je discutais avec Mous Sonko et Makan Dioumassi pendant le match et à la mi-temps, on était tous plutôt contents de l’arbitrage. C’est vrai que cela a un peu changé par la suite mais moi, je suis surtout surpris par beaucoup d’autres choses. Je me demande notamment pourquoi l’on n’a pas tenté une prise à deux sur Pau Gasol, pourquoi sortir Mike Gelabale alors qu’il est en forme, pourquoi on laisse Nando De Colo aussi longtemps sur le banc alors qu’il est en feu ? J’ai plutôt ces interrogations là.
Sur Pau Gasol, il n’y a vraiment eu aucun ajustement défensif.
Un des mecs qui était adroit, c’était Sergio Rodriguez. Il fait certes 6/10 aux tirs mais il est à 1/2 à trois-points, les mecs ne shootent pas ! En toute logique, il y a un mec dans l’équipe qui plante 40 points, alors pourquoi ne pas tenter quelque chose, les mettre au défi sur les tirs et voir ? Je te l’accorde, cela aurait peut-être été pire mais il faut au moins tenter un coup. À un moment, le mec fait presque dix dribbles. Rudy Gobert, aussi fort soit-il défensivement, quand il a un mec qui dribble autant pour s’approcher du panier, c’est difficile à arrêter.
Pas de prise à deux sur Pau Gasol et un changement tardif sur Sergio Rodriguez. Tony Parker a souffert beaucoup trop longtemps sur lui, avant que Nicolas Batum n’intervienne. N’y aurait-il pas eu un changement tactique à faire d’entrée de jeu ?
Oui et pourquoi pas faire rentrer Charles Kahudi ? Pendant cinq minutes, Tony n’a pas touché le ballon. En attaque, Charles Kahudi s’en fout, il est là pour faire jouer l’équipe. Il se serait totalement concentré sur Sergio Rodriguez qui est l’âme de l’équipe avec Pau Gasol. Tactiquement, l’Espagne, c’est Sergio Rodriguez. Tu l’empêches de mener le jeu, de mener les systèmes où il le désire, ça peut faire changer les choses. Je ne comprends pas non plus pourquoi Charles Kahudi ne joue pas.
« Vincent Collet s’est sans doute enfermé avec ses valeurs sûres »
Pourquoi Vincent Collet se prive t-il de ses soldats alors que c’est justement sur ce match qu’ils sont attendus ?
Bah… c’est exactement la question que je me pose. Après, cela peut se comprendre, quand tu as un mec comme Tony Parker dans ton équipe, même s’il n’est pas bien, tu as tendance à te dire qu’il va prendre l’ascendant sur son adversaire. Vincent Collet s’est sûrement reposé sur ses valeurs sûres… il s’est sans doute trop enfermé là-dedans en oubliant de tenter des choses un peu plus folles.
À la décharge de l’équipe de France, prise à deux ou non, hier, Pau Gasol était monstrueux…
Il était monstrueux. Mais je ne peux pas comprendre qu’on laisse Pau Gasol isolé et dribbler autant. Parfois, on aurait cru à du playground, le mec fait ce qu’il veut quand il le veut, personne ne vient aider, personne ne vient essayer d’arrêter son dribble. Rien. Tactiquement, je trouve que c’est faible. Quand le mec est à 20, 25 points, il est peut-être temps de tenter autre chose.
Personnellement, j’ai été choqué que, sur la dernière action du temps réglementaire, on laisse de nouveau Pau Gasol seul face à Rudy Gobert à quatre fautes, alors qu’au regard de sa réussite, les probabilités d’un panier ou d’un coup de sifflet sont importantes…
C’est clair et finalement, Rudy Gobert nous sauve sur ce coup mais cela ne fait que repousser l’échéance. Encore une fois, comme tu le dis, il n’y a eu aucune aide alors que le mec nous avait massacré durant tout le match. On le laisse encore tranquillement en un-contre-un contre un pivot à quatre fautes… Je suis désolé, je ne peux pas… je ne peux pas comprendre. Certains diront que je n’y connais rien en basket, je n’en ai rien à foutre, je ne peux pas comprendre qu’on laisse un joueur comme ça, isolé et le laisser mettre 40 points. Ce n’est pas possible !
« C’est réducteur de parler d’une défaite du coaching »
C’est une défaite du coaching, selon toi ?
Non, non, nos cadres n’ont pas forcément été géniaux non plus. Ce serait réducteur de dire que c’est une défaite du coaching. Mais les 40 points de Pau Gasol… je pense qu’il y avait moyen de faire autrement. Rudy Gobert fait son boulot, hein ! Mais Pau Gasol, complètement en isolation, Pau Gasol, le meilleur pivot d’Europe, voire du monde ! Je dois être bête mais ce n’est pas possible, je ne comprends pas… T’as vu ? Ça me chauffe encore…
Je crois qu’on est tous très déçus. Parlons justement des cadres : Boris Diaw est aussi passé totalement à côté de son match.
Honnêtement, ils l’ont vraiment bien défendu. Normalement, quand il fait ses feintes, il se retrouve à avoir un avantage et cette fois, il se retrouve tout le temps avec un autre joueur devant lui. Est-ce qu’il était un peu tendu et gêné pour faire le pas supplémentaire ? C’est vrai que ça m’a surpris de sa part. Selon moi, Boris, c’est le joueur le plus technique de l’histoire du basket français, donc soit ils ont très bien étudié son jeu, soit il était un peu en dedans… Quant à Nicolas Batum, sérieux, s’il ne met pas son trois-points inespéré, on ne va pas en prolongation. Le match ne s’est pas joué sur ses derniers lancers-francs, Boris en a aussi manqué deux avant. Ce match s’est joué plus tôt.
Passons à Tony. On en a beaucoup parlé ensemble. J’aurais préféré me tromper mais depuis le début de l’Euro, je ne l’ai pas senti en jambes et c’était pour moi justifié par sa blessure aux ischio-jambiers cette saison en NBA. Cela nécessite du temps et même si la saison des Spurs s’est terminée prématurément, on sait que Tony ne prend jamais vraiment de temps. Ceci, conjugué à la pression qu’il s’est mise, et celle des médias, principalement cristallisée sur lui, cela faisait sans doute beaucoup à gérer, non ?
Oui, je suis complètement d’accord avec toi, c’était beaucoup à gérer. Après, ce n’est pas que je ne partageais pas ton avis sur sa condition mais Tony est un tel grand joueur que je pensais que c’était en quelque sorte sa manière de se préparer. Je pensais que s’il ne se donnait pas totalement à fond, c’était pour sortir le grand jeu dans les phases plus compliquées. Lors de son gros match face à la Lettonie, je me suis dit qu’il était revenu comme il était. Mais c’est vrai qu’il a énormément souffert contre l’Espagne. Surtout sur son premier pas. C’est sa principale qualité : grâce à son premier pas, il peut mettre tout le monde dans le vent. Il n’a presque jamais réussi à le faire sur cet Euro. Il a pris énormément de tirs extérieurs et c’est vrai qu’il a progressé dans ce domaine, il en a mis quelques-uns mais ce n’est pas sa marque de fabrique. La sienne, c’est de passer son joueur en un-contre-un et il n’y est pas arrivé face à l’Espagne.
« La participation de Tony au TQO ? C’est un peu compliqué… »
Est-ce que ce n’est pas simplement la conclusion logique de sa saison, avec des problèmes physiques un peu trop compliqués à dépasser à 33 ans pour un meneur de jeu ?
D’autant plus pour un meneur de jeu qui joue énormément sur son physique. Il y a des meneurs plus gestionnaires qui peuvent peut-être gérer ça plus facilement. Personnellement, après la médaille de bronze, je lui souhaite d’avoir un peu de temps maintenant pour se reposer, soigner ses blessures et repartir. Il n’y aura pas de problème, il va nous aider à nous qualifier pour les Jeux Olympiques de Rio et tout ira bien.
Beaucoup se demandent si Boris et lui n’arrêteront pas après cet Euro. Cela paraît moins probable pour Boris, mais qu’en penses-tu pour Tony ? D’autant que le tournoi de qualification sera très relevé.
Honnêtement, je ne peux pas te cacher que j’y ai un peu pensé aussi (à la retraite internationale de Tony). C’est un peu compliqué là… S’il y avait eu les J.O obtenus directement, il serait venu, c’est une évidence mais là, malheureusement, c’est très relevé et on ne sait pas si on va passer. On le souhaite tous et on y croit tous bien évidemment mais on ne sait pas. Je ne pense pas que Tony aimerait s’arrêter sur un tournoi qualificatif pour les J.O. Je pense qu’il va se poser la question mais il a toujours été là pour le basket français et on aura besoin de lui pour se qualifier. À mon avis, avec le recul, je me dis qu’il sera là. Après, j’aimerais quand même passer un coup de gueule car j’en ai plein le cul des gens qui critiquent Tony maintenant alors qu’ils l’encensaient la veille. Je n’en peux plus. Il a toujours été là, il nous a ramené plein de médailles, il a totalement changé le basket français. Il n’a pas été bon à cet Euro ? C’est le premier à le reconnaitre et il aura toujours mon respect.
On oublie vite que Tony a commencé en N1 à 15 ans, en Pro A à 17, en NBA à 19. Il a aujourd’hui 33 ans. Cela commence à faire beaucoup de kilomètres à son compteur.
C’est clair. Hier, je ne pouvais pas dormir. Même quand on ne joue plus, on dort pas après les matchs. Je regardais un peu les commentaires des mecs, j’avais envie de venir sur le plateau pour leur mettre des claques. Vous savez de qui vous parlez ? Tony Parker, le mec qui a sauvé le basket français. Qui peut se permettre de balancer des choses comme ça ? Un jour, je vais aller sur un des plateaux pour distribuer des baffes. Comme toi, j’ai entendu Marc Libbra (ex-joueur de football, désormais consultant TV) dire que c’était à Vincent Collet de décider si Tony pouvait revenir en équipe de France. Marc Libbra, je peux lui mettre une claque, aussi. Ça, c’est très français. Quand le mec est bon, c’est le meilleur et d’un seul coup, tu perds… Attends, il faut quand même se souvenir de ce que le mec a fait avant. Ça ne change pas tout ce que Tony a fait.
Qu’en est-il de Vincent Collet ? Il a dit avoir besoin de temps. Penses-tu qu’il continuera jusqu’au TQO ?
Je pense qu’il va aller jusqu’au TQO et je le souhaite car c’est un cycle et il faut aller au bout. Il a eu énormément de résultats et il faut finir le travail. Ce serait bien, en tout cas.
« Il y avait la place pour quelque chose d’énorme »
En tant que joueur, tu as souffert du manque de médiatisation, notamment après votre médaille d’argent à Sydney. Est-ce que cette défaite n’est pas surtout douloureuse dans cette optique ? Une victoire en France aurait sans doute permis de susciter beaucoup d’engouement. La déception n’est-elle pas avant tout celle-ci ?
On s’est tous dit que l’on avait raté quelque chose. Depuis longtemps, on pense que le basket a le potentiel pour exploser en France et tous les basketteurs, tous les anciens, les spectateurs, nous comptions un peu sur cette médaille d’or pour passer ce cap. On est tous déçus de ce point de vue là. Il y avait la place pour faire quelque chose d’énorme. Tu te rends compte : 27 000 personnes, France 2 qui achète la finale pour six millions de téléspectateurs potentiels. C’est certain que c’est très décevant. Après, il y a une médaille de bronze, il ne faut pas cracher dessus, il faut continuer à se battre. On ne fait pas un si mauvais Euro que ça. C’est justement là où il ne faut pas ressembler à l’ancienne équipe de France : il faut continuer à y croire malgré la déception et aller chercher la médaille de bronze. Pour que cela reste un bon Euro, une satisfaction, il faut le bronze.
On ne va pas refaire virtuellement l’Euro mais tu croyais à la médaille d’or. Sincèrement, si la Serbie va en finale, penses-tu, avec toutes les lacunes dont on a parlées, que la France avait ses chances face à l’équipe la plus constante et talentueuse que l’on ait vue depuis… sans doute l’Espagne en 2011 ?
Sur une finale à domicile, oui. Sur une demi-finale, cela aurait été probablement un peu plus compliqué mais en finale, avec l’engouement populaire et la pression des J.O évacuée, on aurait eu nos chances, oui. Je ne dis pas que l’on aurait gagné mais on aurait pu faire un très bon match. J’y croyais vraiment.
Propos recueillis par Jérémy Le Bescont