Ça se passe en 1989 et 1998. C’est une petite décennie de basket à Seattle, dans la franchise des Supersonics qui commence à ressortir des bas-fonds du classement pour redorer un peu son blason vert et jaune.
Après le long spleen des années 80 dans la Cité Emeraude, championne NBA en 1979, le premier coup de pouce du destin intervient en 1989, avec la « géniale intuition » de Bob Whitsitt de sélectionner un diamant brut de 19 ans qui n’a même pas foulé les parquets NCAA, un certain Shawn Kemp. Le GM ne s’arrête pas en si bon chemin et l’année suivante, il remet le couvert en choisissant, après un coup de pot à la loterie, Gary Payton avec le 2e choix de Draft.
La montée en puissance des Sonics suivra la trajectoire de progression de ces deux larrons au fur et à mesure des saisons, avec six ans de très haut niveau à 57 victoires de moyenne entre 1991 et 1997, dont trois campagnes de pure domination à 61 victoires de moyenne entre 1993 et 1996.
Mais, finalistes NBA en 1996 face aux Bulls de nouveau lancés vers un Three–Peat, les Sonics ne feront jamais mieux qu’une demi-finale de conférence avant l’anéantissement total d’un groupe qui n’aura donc pas eu la chance de soulever le trophée. Comme leurs voisins des Blazers après l’an 2000, les Sonics sont retombés dans le rang très rapidement après leur échec de 1996.
Dix ans avant leur tragique déménagement vers Oklahoma City, les Supersonics faisaient tout simplement partie des équipes dominantes de la conférence Ouest. Dans les années 90, Seattle était une place forte de la Grande Ligue, un conte de fées « made in NBA ».
« On a contribué à l’histoire de cette franchise », résumait bien Shawn Kemp en 2013 dans le New York Times. « On est même devenu une des franchises qui vendent le plus de produits dérivés. C’est un peu comme si les Charlotte Bobcats devenaient soudainement les Lakers. »
Pour retracer cette épopée, nous avons épluché les archives et nous sommes aussi partis à la récolte de plusieurs opinions éclairées sur le sujet, en discutant notamment avec Bob Weiss (assistant coach à Seattle de 1994 à 2006) et Mark Warkentien (scout de 1991 à 1994 pour Seattle) mais aussi avec Gary Payton, Hersey Hawkins, Eddie Johnson ou encore Frank Brickowski et Michael Cage.
1ère partie : l’arrivée de Shawn Kemp
2e partie : la Draft de Gary Payton
3e partie : George Karl, la revanche d’un pestiféré
4e partie : le Sonic Boom
5e partie : L’éducation des Sonics
Une saison pour l’éternité
Il vient de remporter le Game 3 du 1er tour des playoffs 1998 avec les Cavs, grâce à 31 points, 7 rebonds et un tir décisif pour sceller la victoire, mais Shawn Kemp ne peut s’empêcher de nous tordre le cœur une énième fois.
« Nos rookies grandissent vite, mais je peux vous dire que le Glove me manque un peu », sourit (jaune) le Reignman au micro de TNT. « Le Glove me manque. »
Pour sa première apparition en playoffs sans son éternel compère, Shawn Kemp ne passera pas le cap des Pacers… et il remue le couteau dans la plaie des fans des Supersonics. Car avant de se faire envoyer dans l’Ohio contre Vin Baker, il semblait destiné à finir sa carrière à Seattle. Surtout après avoir posé une saison pour l’éternité avec ses Sonics.
C’était en 1995-96, avec 20 points et 11 rebonds de moyenne, en route vers les Finales NBA dans un baroud d’honneur jouissif qui exorcise tout un tas de démons. Après leurs déboires répétés en playoffs, les Sonics peuvent enfin sabrer le champagne en 1996 ! Récit d’une saison pas comme les autres.
L’échange avorté de la draft 94
Le destin se joue parfois à très peu de choses… La saison historique des Sonics en 1995-96 n’aurait pour le coup jamais pu prendre forme si le vent n’avait pas tourné brusquement dans le détroit de Puget en juin 1994.
Un des moments charnières de l’histoire des Sonics intervient effectivement dans la foulée de leur élimination infamante face aux Nuggets en playoffs 1994. Le GM, Bob Whitsitt, se fait virer sur le champ et on pense alors que George Karl le suivra sans tarder au Pôle Emploi… mais le directoire de la franchise lui maintient sa confiance.
« C’était une situation très étrange, parce qu’il n’y avait pas de GM en place », se rappelle Wally Walker dans le Seattle Times. « J’étais un simple consultant à qui on avait demandé de venir temporairement. Je n’avais aucune intention de prendre la place vide mais sans GM à temps plein, il y avait une dynamique super bizarre dans la salle de Draft. »
Sans GM en place, Seattle aborde effectivement la Draft 1994 dans un état d’apathie généralisé. D’autant plus alors que les bulldozers approchent du bureau de l’entraîneur dans la Key Arena déjà en travaux de rénovation. À vrai dire, derrière le bruit des caterpillars, l’orage gronde à l’horizon de la Cité Emeraude.
De fait, alors que Jerry Krause leur passe un coup de fil impromptu, George Karl et Tim Grgurich s’interrogent. Doit-on considérer sérieusement cette offre d’échange entre Shawn Kemp et Scottie Pippen ? Sans GM, c’est Wally Walker qui doit jouer les intermédiaires entre le coaching staff et le propriétaire, Barry Ackerley. Steve Kelley, le beat writer du Seattle Times, offre un sacré souvenir de ce moment qui a fait basculer l’histoire des Sonics au printemps 1994.
« George et Tim Grgurich voulaient le faire. Mais Wally Walker avait son doigt en l’air pour sentir le vent et il a décidé que ce n’était pas une bonne chose à faire. Donc Wally a mis le holà sur l’échange. On était dans le bureau de George. Lui et Grg (Tim Grgurich) étaient désemparés mais les travaux avaient déjà commencé. On pouvait entendre les bulldozers qui se rapprochaient. Ils étaient littéralement dans le couloir qui menait au bureau de George. Il était temps de partir ! On pouvait entendre des murs qui tombaient et George disait que c’était une métaphore de l’équipe. Cette scène était incroyable et George pensait que c’était tout à fait adapté car l’équipe avait en quelque sorte scellé son destin dans le mauvais sens ce soir-là. »
Surtout, le fossé se creuse davantage au sommet de la franchise des Sonics. Le GM intérimaire, Wally Walker, ne fait clairement pas l’unanimité.
Balancé dans le feu de l’action, cette ancienne légende locale aura finalement fait pencher la balance définitivement du côté de Shawn Kemp, soutenu par le propriétaire de la franchise (lui-même subissant la pression populaire des fans pour conserver leur ailier fort vedette).
« Wally a pris le parti de Ackerley au lieu de prendre celui de George et du staff technique », regrettera Kelley a posteriori.
Cette « trahison » laissera des traces dans la franchise des Sonics. Mais, en attendant, le deal est annulé. Le rêve fugace d’un duo Payton – Pippen, effrayant au niveau défensif, ne germera pas plus dans l’esprit de Coach Karl.
« J’étais un grand fan de Pippen mais aussi un grand fan de Shawn. À ce moment-là, on voyait que Shawn commençait à fatiguer un peu. Non pas qu’il déclinait mais la tendance n’était pas tellement à la hausse mais plutôt à la baisse. Tout s’est passé assez vite et on a commencé à s’inquiéter de ses habitudes hors parquet. Mon discours, à l’époque, était de faire l’échange, bien que ce soit évidemment un choix très difficile. J’aurais été dans le sens de la vitesse, des qualités athlétiques et de la grosse défense. Shawn était un bon défenseur, mais pas un grand défenseur. Pippen était lui un défenseur d’élite, probablement parmi les dix meilleurs défenseurs de l’histoire. »
Craignant la réaction de fans révoltés, et pas plus en confiance que cela pour négocier un échange avec les Bulls, le propriétaire des Sonics, Barry Ackerley, a finalement décidé de ne pas faire l’échange… alors même que l’agent de Shawn Kemp, Tony Dutt, pensait qu’il était déjà entériné !
« Chicago avait soi-disant fait l’échange pour Pippen. Si cet échange avait été confirmé, Shawn aurait été propulsé à un tout autre niveau, en termes de marketing », souligne Tony Dutt. « Lui et Jordan qui jouent ensemble, ça aurait été tout à fait spécial. »
Oui… mais non ! Shawn Kemp reste à Seattle et le règne du « Reignman » peut alors vraiment commencer.
Le règne du « Reignman »
Le 4 juillet 1995, alors que les autorités ont prévenu la population de rester chez elle, bien au frais, pendant une grosse vague de chaleur à venir, un fou furieux se lance tout de même dans un jogging kamikaze. Sans savoir s’il a précisément les chaussures du même nom au pied, Shawn Kemp n’a cure des conseils de madame météo. Ni de ceux de sa maman, Barbara, qui s’inquiète de le voir courir par de telles chaleurs…
Mais s’il sue à grosses gouttes dans l’étuve des plaines surchauffées de son Indiana natal, c’est tout simplement parce que l’intérieur suit un programme pour perdre du poids. Le All-Star des Sonics ne veut surtout plus jamais avoir à souffrir des critiques saignantes à son encontre.
D’abord Rain Man d’après le film éponyme, mais surtout car c’est un grand solitaire plutôt taiseux, Shawn Kemp est devenu Reignman à force de alley-oops foudroyants, envoyés irrémédiablement par Gary Payton (mais aussi par Hawkins et Schrempf).
« Shawn était une force de la nature », savourait à l’époque le meneur. « C’est un truc énorme pour un meneur. Dès qu’il disait « woo », je savais que je devais envoyer la balle en l’air. Je pouvais l’envoyer n’importe où et il allait la chercher. »
Jamais récompensé en quatre participations (1990, 1991, 1992, 1994) au concours de dunks (un vol caractérisé, notamment face à Dee Brown en 1991), Shawn Kemp s’est vengé soir après soir sur la concurrence.
« De tous les joueurs que j’ai coachés, il avait autant de talent que le meilleur », ajoute George Karl. « Il faisait 2m08, 2m10 et il pouvait courir, sauter et il était costaud. Il pouvait dribbler. Pendant un temps, on faisait même des picks & rolls avec Gary qui posait l’écran et Shawn qui portait la balle. Il n’avait pas beaucoup de lacunes. »
Se cognant la tête contre l’arceau face aux Kings lors de sa campagne rookie, une cascade involontaire qui lui a coûté cinq points de suture, Shawn Kemp était effectivement un phénomène quasiment jamais vu en NBA. Selon Bernie Bickerstaff, qui en avait pourtant vu d’autres dans sa carrière, il était le premier rookie qui « n’a pas heurté le Rookie >all ».
« Il a bien fait de venir en NBA, même si on n’aurait pas conseillé à d’autres gamins de le faire », ajoute ce bon Bernie, coach de Seattle de 1985 à 1990. « Mais une fois qu’il rentrait sur le terrain, c’était un homme. »
Outre son « exploit » contre Sacramento, Shawn Kemp a également mis Jack Sikma à la retraite, façon de parler. L’intérieur des Sonics avait annoncé à son jeune successeur qu’il se retirerait des parquets s’il commençait à mettre des dunks en partant d’un côté de l’arceau pour finir de l’autre.
Aussitôt dit, aussitôt fait (quasiment) car le jeune rookie de Seattle exécute ce dunk planant face aux Warriors, avec Rod Higgins qui se couvre le visage de stupeur sur le banc californien.
« Shawn est arrivé directement du lycée. Il était jeune et brut », nous expliquait son coéquipier (et mentor) Michael Cage lors d’une interview de 2017. « Honnêtement, il ne savait pas vraiment comment vivre seul, livré à lui-même. Je lui parlais beaucoup, je l’ai pris sous mon aile. Il est comme un petit frère pour moi. Et, en un an ou deux, je l’ai vu sortir de sa carapace. Il venait me voir pour me demander si ce qu’il faisait était bien. Il était tellement respectueux. Très timide. Très réservé. Je n’étais pas si vieux que ça mais pour lui, je l’étais, car il sortait tout juste du lycée. »
Apprenant les ficelles du métier au contact de vétérans comme Michael Cage, mais aussi Xavier McDaniel ou encore Brad Sellers, Shawn Kemp n’a pas ébloui tout le monde d’un coup d’un seul. Mais le gamin d’Elkhart a capturé pour longtemps l’imagination collective avec son potentiel sans limite…
« Regardez-le », s’exclamait justement Sellers pour le magazine Beckett d’Octobre 1993, durant un des entrainements du camp de présaison 1989. « Regardez toutes les choses qu’il peut faire. Ce que vous avez là, c’est le total package. »
Privé d’enfance alors que son paternel a quitté la maison (après un divorce) quand il était encore en culottes courtes, Shawn Kemp a dû grandir vite. D’autant plus vite que les portes des universités, où sa mère Barbara aurait voulu qu’il reste quelques années, se sont fermées devant lui à cause de ses notes catastrophiques.
Passé ensuite du lycée à la NBA, bien avant que ce soit la mode à la fin des années 1990, Shawn Kemp a d’une certaine manière vu sa vie se jouer en accéléré. Pour le comprendre, il faut donc aussi considérer sa carrière en accéléré.
Et pour cause, de 1992 à 1996, Shawn Kemp, c’est un tourbillon de dunks. Un « trou de lapin » fantastique sur la toile pour tout féru de la balle orange particulièrement branché tomahawks !
De manière chronologique, c’est un dunk félin sur Alton Lister pour son entrée fracassante dans le grand public. C’est un pétard sur la truffe d’Antoine Carr en finale de conférence 96… puis un non mois mythique dunk arrière au terme d’un mouvement grand luxe fini le short sur Dennis Rodman en Finale la même année !
Ce dont on se souvient beaucoup moins, c’est la capacité enivrante de Shawn Kemp à porter le ballon dans ses vertes années. Le jeune Sonic est alors un monstre de jeu total. Il capte le rebond, remonte le terrain en dribble et finit la tête dans le cercle, avec grigris et volte face en chemin si besoin.
« C’est ce que je disais à Sedale Threatt », a commenté Shawn Kemp pour le News Tribune de Tacoma en 2012. « Je lui disais que j’étais le meilleur dribbleur de l’équipe et que je pouvais partir en dribble après le rebond. Mais lui insistait pour que je lui fasse la passe sur la relance. Quand il a été échangé aux Lakers, je voulais lui montrer ce dont je parlais. C’était James Edwards qui était en-dessous. Lui, je lui en devais bien un après toutes ces années à prendre des points de suture quand il était à Detroit avec Laimbeer. »
À 2m08 et 104kg, Shawn Kemp était une sorte de LeBron James avant l’heure (ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le jeune LeBron a particulièrement apprécié le passage du Reignman, même en fin de cycle, du côté de Cleveland). Passé directement du lycée à la NBA comme King James après lui, il a continuellement amélioré son jeu au cours de son apprentissage accéléré en NBA.
Pendant sept saisons de suite, il a réussi à améliorer son apport au scoring, passant de 6 points, 4 rebonds en 1989-90 à plus de 19 points et 11 rebonds en 1995-96.
À 23 ans, Shawn Kemp a franchi un premier palier dans sa carrière. Nommé All-Star pour la première fois, et également signataire d’un nouveau contrat de 27 millions de dollars sur sept ans, il a activement participé au très bon début de saison des Sonics, avec 20 victoires sur leurs 28 premiers matchs.
Mais le jeune intérieur a aussi baissé de pied en fin d’exercice, sur les mois de mars et avril. Assailli de prises à deux, voire à trois, il a tout simplement été moins bien. George Karl a surtout critiqué son joueur car « il a encore trop de sucre dans son jeu ». Autrement dit, Coach Karl veut plus d’autorité et de force dans les mouvements offensifs de son joueur.
« Shawn est un joueur dominant quand il arrive à prendre le rebond », souffle George Karl dans Sports Illustrated. « Quand il est spectaculaire, cela ne rimait pas forcément avec des victoires, ce qui est le cas quand il prend les rebonds. »
Avec 11.4 prises précises lors de la saison 95-96, sa meilleure moyenne en carrière, Shawn Kemp a pour le coup répondu à son coach. Mieux, il lui a donné tort en montrant qu’il n’était pas sur la pente descendante, ainsi que le suggérait George Karl lors de l’échange raté contre Scottie Pippen.
« Il était phénoménal. Sur cette saison-là, il était le deuxième meilleur joueur de la ligue derrière Michael Jordan », a affirmé Hersey Hawkins lors de notre rencontre en 2017. « Il était vraiment énorme. Dominateur ! Et il pouvait le faire des deux côtés du terrain, offensivement et défensivement. Shawn Kemp n’a jamais été vraiment reconnu pour ses capacités défensives mais c’était quelque chose dont il était fier. Et de toutes façons, quand on joue pour George Karl, tout le monde doit se donner en défense. Shawn, il était bon en défense. Mais en attaque alors, c’était le meilleur ! On a tous vu le type de dunks qu’il pouvait réaliser. Ce qui était incroyable, c’était sa technique balle en main, sa vision du jeu pour les passes, tout un tas de qualités basket dont on ne parlait pas vraiment à son sujet. Tout le monde voyait ses dunks et ses qualités athlétiques, mais c’était un joueur intelligent. Il savait comment jouer. Il était passionné aussi. Il ne parlait pas beaucoup, il était taiseux. Il laissait son jeu parler pour lui. »
Nommé All Star pour la quatrième année consécutive en 1996, Shawn Kemp est au sommet de son art. Encore affûté et félin, il bouclera sa campagne avec 53 double doubles sur 76 apparitions, dont un match référence à 32 points, 16 rebonds et 7 passes le 15 décembre dans une victoire face à Golden State.
« Je peux jouer petit, je peux jouer grand. S’il faut attirer mon adversaire vers l’extérieur, je veux le faire. S’il faut pousser la balle, je veux le faire. Les intérieurs NBA ne sont plus tenus d’avoir une seule identité. »
Si le sucre de son jeu sera le lucre de nos yeux de fans, ce sera également la raison de sa chute précipitée après son départ de Seattle. Avec ses addictions à foison, Shawn Kemp a succombé au poison de l’éphémère célébrité NBA. Une soif de vivre jusqu’à l’excès !
« Shawn, c’était avant tout un gars qui prenait du plaisir », nous a confié Brian Grant dans une interview fleuve de décembre 2016. « Je me souviens une fois, je dunke sur un de ses coéquipiers. Et lui il se ramène vers moi et me tape sur les fesses et me dit : ‘C’était un bon dunk que tu viens de placer là ! J’aime ça !’ Il avait cette attitude, cette fraîcheur. Les gars dans la ligue l’appréciaient car il était naturel. Il était sur le terrain comme il était hors terrain. »
Tim Grgurich, le druide des Sonics
Tout comme Bob Kloppenburg a été l’éminence grise défensive des Sonics, c’est le druide très discret, Tim Grgurich, qui a été le mystérieux formateur au cœur de l’ascension fulgurante de Seattle.
Recruté par George Karl, comme lui originaire de Pittsburgh, il est alors un coach universitaire qui découvre la Grande Ligue. Il a été le head coach de son alma mater de Pitt de 1975 à 1980, puis a passé 12 saisons à UNLV en tant qu’assistant coach – en même temps que notre interlocuteur, Mark Warkentien.
« Ces deux gars vous le diraient », nous soutient mordicus ce dernier. « C’est l’arrivée de Tim Grgurich à Seattle, un des meilleurs entraineurs en termes de développement individuel des joueurs, il les a pris sous son aile et il a dit qu’il allait les faire progresser. Je peux vous dire que leur succès a beaucoup à voir avec le boulot de Tim. C’était un peu la potion magique. »
Content de vivre dans l’ombre car uniquement motivé par le travail à l’entraînement, Tim Grgurich a été le grand pionnier du « player development » en NBA. Et ce sont les Sonics qui en ont profité !
« Il était un des premiers entraineurs assistants en NBA, ici à Seattle, à venir faire échauffer les joueurs avant les matchs », se souvient Dwane Casey dans The Athletic. « Le développement des joueurs était son truc. Il est l’un des meilleurs dans le monde, sans aucun doute. Je vous garantis qu’un paquet de coachs lui ont piqué des trucs. »
Egalement membre du staff des Sonics à l’époque, Terry Stotts confirme l’importance de Tim Grgurich dans le processus de professionnalisation de la Ligue en son entier. C’est lui qui a initié l’organisation actuelle du planning des équipes NBA.
« C’était ma première année dans la Ligue donc je ne voyais pas de différence, mais ça a considérablement bousculé la dynamique d’avant match. Le premier, le deuxième bus, les échauffements, les assistants en costard, toute cette routine s’est mise en place après lui. L’échauffement d’avant match, la prépa avec les joueurs en été, ce qui est désormais très normal, ça a commencé avec lui. »
Assez rentre-dedans avec ses joueurs, Tim Grgurich a pour le coup réussi à modeler Shawn Kemp et Gary Payton au fur et à mesure des saisons. En 95-96, le projet Kemp arrive à maturité à 21 points et 11 rebonds. Mais le dossier Payton avance aussi à son rythme avec 19 points, 7 passes, 4 rebonds et 3 interceptions par match !
« Quand on était à la fac, on savait que Larry Johnson allait être pro et allait même être une star… mais personne ne disait ça pour Stacey Augmon ou moi », explique Greg Anthony, le meneur reconverti consultant, qui a connu Grg à Vegas. « Grgurich nous a pris en main. Il a été directement responsable de notre progression. Et au niveau pro, vous pouvez demander à Gary Payton. C’est un Hall of Famer maintenant, mais avant que Grg arrive, il galérait. On se demandait même s’il méritait d’être un n°2 de la Draft. Gary sera le premier à vous dire que ce sont ses étés avec Grg qui l’ont aidé à devenir le joueur qu’il est devenu. Et il y a un paquet de gars qui pourraient vous raconter la même histoire. »
Drafté n°2 en 1990, Gary Payton a effectivement passé un cap avec l’arrivée de Tim Grgurich dans le staff de Seattle. Il est devenu de plus en plus gestionnaire à la mène, et de moins en moins apte à sortir de son match mentalement.
Statistiquement, ça se voit avec le meneur qui démarre à 7 points, 6 passes en rookie à 21 points, 7 passes quatre saisons plus tard – dont trois avec Grg. Mais le joueur lui-même l’avoue tout de go : « En 1996, j’ai marqué les esprits, tout allait bien dans ma vie ! »
« La réputation de Gary était qu’il est talentueux mais tellement intense qu’il pouvait perdre son sang froid et on pouvait le faire déjouer », commentera Paul Westphal, son coach à Seattle de 1998 à 2000. « Il a encore ce tranchant mais il est désormais capable de le contrôler. »
Comme tout apprentissage, les Sonics ont connu le schéma classique des hauts et des bas. Lancés directement dans un haut dès leur première saison 1992-93 terminée contre toute attente en finale de conférence, les Sonics ont ensuite touché le fond. Mais les bas contentieux de 1994 et 1995 laissent place à une saison 95-96 où tout semble se mettre enfin en place à Seattle.
La saison 95-96 : la dernière danse ?
La deuxième élimination au premier tour, face aux Lakers en 1995, a donné son lot de réflexion au directoire de la franchise. « Sleepless in Seattle » aurait pu pour le coup être le titre du film consacré à la vie George Karl à l’été 95 (ce que le principal intéressé confirme : « Je pensais qu’ils allaient me virer, je ne le nie pas »).
Mais, nommé GM à plein temps, Wally Walker tranche pour la continuité alors même que coach Karl ne lui cache pas son inimitié.
« Barry Ackerley est venu me voir après la saison [1994-95] et il m’a dit de prendre la décision que j’estimais juste pour le coach », se rappelle Wally Walker dans le Seattle Times. « Il y avait beaucoup de discussions, au niveau national comme local, qu’on devait faire exploser notre effectif, surtout les jeunes stars, et changer radicalement de direction. Mais ça ne me semblait pas juste. On n’était pas loin du but. Il nous fallait simplement une meilleure alchimie et plus de shoot extérieur. »
À l’intersaison 1995, les Sonics opèrent deux échanges qui stabilisent leur effectif. Le 27 juin, ils renvoient Kendall Gill à Charlotte (comme une punition car le joueur s’était déjà enfui) contre Hersey Hawkins et David Wingate. Et le 18 septembre, ils se débarrassent d’un autre mécontent, Sarunas Marciulionis, plus Byron Houston pour récupérer Frank Brickowski (qui sort d’une saison blanche, blessé à l’épaule).
La presse locale est loin d’être emballée par ce recrutement vétéran tout en sobriété. Mais en interne, les Sonics gardent la foi.
« Hawk est arrivé et il a été cette présence apaisante. Il aimait être la 3e ou 4e option. Et je pense qu’il a vraiment contribué à calmer notre vestiaire », commentait George Kal avant d’ajouter. « On a échangé un joueur plus athlétique et plus talentueux pour Hersey Hawkins, qui remplit nos besoins. On a besoin d’un gars qui n’a pas besoin d’être pouponné, d’un gars qui fera ce que l’équipe demande. Kendall essayait toujours de prendre une plus grande part de tarte alors qu’Hersey est simplement content de jouer pour une équipe qui gagne. »
Dans sa huitième saison sur le circuit, dont une cape All Star – souvent oubliée – en 1991, Hersey Hawkins apportait aussi sa sérénité dans le tir, et un sens du partage contagieux et bienvenu chez des Sonics ayant parfois tendance à forcer la solution individualiste.
« Je ne savais pas qu’un gars qui pouvait aussi bien shooter que ça pouvait aussi être si altruiste », apprécie Shawn Kemp.
Après avoir organisé une retraite du côté du lac Chelan en septembre 1995, George Karl et son staff se préparent pour une nouvelle campagne. La question demeure : qui sera le leader de cette équipe qui carbure plein pot en saison mais vient de faire deux fois de suite le coup de la cale sèche en playoffs ?
« Je me posais des questions sur notre leadership », confie George Karl dans son bouquin Furious George. « Gary ne voulait pas assumer, c’était évident. Les leaders émergent aux entraînements et Gary agissait comme s’il aurait préféré être ailleurs. Sam était trop discret, Detlef trop arrogant. Nate était parfois notre leader mais il s’effaçait devant les responsabilités trop souvent. Shawn ? Non. Il n’était pas vraiment solitaire, mais indépendant. Etre le relais du coach n’était pas dans son ADN. »
Le camp d’entraînement sera en tout cas l’occasion idéale de briser la glace et d’offrir la base d’une alchimie durable. La rencontre entre Detlef Schrempf et Frank Brickowski est explosive d’emblée…
« Le premier jour du camp d’entraînement, je me souviens que Detlef et Frank Brickowski se sont retrouvés dans une baston et on a dû les séparer », narre Dwane Casey. « C’était comme si ces deux gars voulaient marquer leur territoire. »
« Interdits aux moins de 18 ans » selon Vincent Askew qui avait pour tâche de rentrer dans le lard de Gary Payton et Shawn Kemp, l’un pour l’énerver, l’autre pour le calmer, les entrainements des Sonics étaient intenses et le langage fleuri à souhait. Exactement ce que George Karl recherchait.
« J’essaie de me souvenir de cette bagarre, j’ai été dans tellement de bastons pendant les camps », sourit Brick. « Je me souviens avoir pris un coup et en avoir placé deux sur lui. Mais Detlef est un bon coéquipier, quand on se bat avec un bon coéquipier, ce n’est pas très important. »
Et pour cause, c’est ce même Frank Brickowski qui sera l’organisateur de sorties paintball en cours de saison pour resserrer les liens. Les Sonics sont un groupe qui vit désormais bien. Avec l’apport de Hersey Hawkins et Frank Brickowski, mais aussi le noyau dur en place, les Sonics ont tout simplement grandi.
Deux éliminations sèches et tout ce que cela signifie de nuits blanches et de maux de têtes et de gros titres cassants dans la presse, ça vous fait grandir une équipe. Même si cette dernière reste encore fondamentalement timbrée. Ce qui fait aussi son charme, n’est-ce pas ?
« On s’appréciait tous les uns les autres. Vraiment », insiste Frank Brickowski. « Il y avait des têtes à claques bien sûr, mais Nate McMillan jouait un rôle important dans notre équilibre. Il était notre boussole et gardait Gary sous contrôle. Une fois, George est venu me voir en se plaignant que Shawn était sous influence avant un entrainement ou un match. Je lui ai répondu qu’il ne devrait pas se plaindre, vu comment il jouait sous ladite influence. Mieux vaut ne pas le voir jouer sobre. Il m’a regardé avec des grands yeux et il est reparti. »
Si le début de saison n’est pas folichon à 6 victoires et 5 défaites, la suite est bien plus convaincante. Tel le diesel, Seattle trouve bientôt son rythme de croisière avec 16 victoires et 3 défaites sur les mois de novembre et décembre. Et même 14 victoires de suite entre février et mars 1996, la plus longue série d’invincibilité de l’histoire de la franchise.
Deuxième meilleure attaque de la Ligue (104 points par match) et deuxième meilleur ratio défensif de la ligue (102 points par match), Seattle carbure à plein régime. Avec Gary Payton en pointe d’une défense au diapason, les Sonics continuent de développer un jeu rapide et spectaculaire qui démarre par leur pression défensive.
Le vétéran, Hersey Hawkins, s’en sent tout ravigoté. Lui qui brille par sa sobriété se sent rajeuni dans une équipe à fort caractère.
« Ça s’est très bien passé [rires] ! Quand on arrive dans une équipe et qu’on va jusqu’en finale NBA, je pense qu’on peut dire que c’est un succès ! », nous assurait le Hawk. « On était vraiment très talentueux, avec Gary et Shawn. Et Detlef et Sam Perkins. On avait un groupe de vétérans. C’était une équipe dans laquelle les gars savaient ce qu’il fallait pour gagner, qui savaient comment jouer ensemble. Et puis, on est tombé face à la plus grande équipe de l’histoire… à l’époque, puisque Golden State les a battus depuis. Ils avaient gagné 72 matchs cette saison-là. On savait qu’on n’était pas favori mais on savait aussi qu’on avait le talent nécessaire pour battre cette équipe. Mais la simple scène des finales, tout le battage médiatique autour et tout ce qui l’accompagne, [les Bulls] l’ont mieux maîtrisé que nous. Quand on s’y est enfin habitué, qu’on savait comment gérer tout ça et bloquer les bruits extérieurs, on était déjà dans un trou, à 0-3 et on n’a pas pu s’en sortir. »
Exorciser les fantômes des playoffs
Forts de leur bilan de 64 victoires pour 18 défaites, le deuxième meilleur de la saison derrière le record des Bulls à 72 mais le meilleur de l’histoire de la franchise, les Sonics arrivent cependant en playoffs sur la pointe des pieds. Favorite dans la conférence Ouest, Seattle se fait peur dès le premier tour face à Sacramento.
Sans Shawn Kemp suspendu, les Sonics font du petit bois des Kings de Mitch Richmond au Game 1. Mais ils commettent encore le péché d’orgueil au Game 2 avec l’intérieur de retour. Une défaite et les fantômes du passé qui resurgissent…
Lors du Game 3, Seattle tient bon la barre, mais il s’en faut de peu. Il faudra en l’occurrence un shoot à 3-points opportun de Frank Brickowski en dernier quart (ou cet autre en 3e quart) pour guider cette troupe déconcertante vers la victoire.
« Sur la possession suivante, Perkins rentre aussi un 3-points et Hersey Hawkins en ajoute un troisième, juste en face de là où j’étais assis », se remémore Wally Walker. « On passe de -8 à +1 en moins d’une minute. On gagne ce Game 3 et on gagne le Game 4 facilement. Mais ce tir de Brick était le plus gros tir de notre saison. On ne serait peut-être jamais sorti du premier tour… encore une fois ! »
Finalement, Seatte démontre, sur le terrain, que l’équipe a grandi. Contraints de courir après le score en deuxième mi-temps, sans paniquer, les Sonics sont revenus au score et ont même placé un 17-3 sur quatre minutes dans le money time, dont un panier plus la faute pour Shawn Kemp qui lâche un peu de frustration… et qui, sur la possession suivante, contre Billy Owens par derrière malgré ses cinq fautes !
« On s’est tous regroupés, je n’oublierai jamais ce moment », se remémore Vincent Askew. « Il y avait moi, Gary, Kemp, Detlef et Nate. On a échangé quelques mots seulement et on a fini par gagner ce match. Je vais le dire comme ça : Gary et moi, on a dit à certaines personnes qu’ils ne jouaient pas aussi virilement qu’ils devraient. Ça s’est amélioré après ça. »
Seattle remportera les deux rencontres à l’Arco Arena de Sacramento. Gary Payton et Shawn Kemp terminent même sur une grosse dynamique avec respectivement 29 points, 6 passes, 5 rebonds et 23 points, 8 rebonds, 6 interceptions et 3 contres dans la victoire du Game 4 qui boucle la série. Ce sera Houston au deuxième tour. Pour continuer d’effacer les erreurs du passé…
« On était des enfants gâtés à l’époque », souffle Detlef Schrempf dans Sports Illustrated. « Maintenant on est des adultes. »
Contre les champions en titre, Seattle a de fait un défi de taille à relever. Dans le même temps, les Sonics (et leurs stars en particulier) ont dominé la série en saison régulière, 4 victoires étriquées mais 4 victoires tout de même (104-103 en prolongation, 99-94, 118-103 et 112-106). Et Payton et Kemp qui se régalent statistiquement face à Olajuwon et Drexler qui sont vieillissants.
La demi-finale de 1996 confirmera la tendance avec un coup de balai autoritaire. Les Sonics font exploser les Rockets en 3e quart lors du Game 1, avec un 23-4 sans équivoque ! Mais, comme au 1er tour, Seattle se fait une jolie frayeur lors du dernier match, rattrapée en dernier quart avec notamment un 13-1 sauvage des Rockets qui jouent leur va-tout.
Robert Horry réussit des tirs à 3-points dans tous les coins et c’est Sam Cassell qui égalise à 4 secondes de la fin, complétant un retour de -20. Shawn Kemp a la balle de match mais rate son layup. Le Reignman se rattrapera en prolongation, avec 5 des 13 points de Seattle qui passe un 9-0 pour clore la série… et démontrer à nouveau qu’ils ne sont plus une équipe de chokers !
« Oubliez ces équipes », envoie Gary Payton dans Sports Illustrated. « Cette équipe est différente, elle est heureuse. On ne râle plus les uns sur les autres. »
De nouveau en finale de conférence, trois ans après leur apparition surprise en 1993, les Sonics y retrouvent le Jazz pour une confrontation tout aussi symbolique que fatidique.
« Stockton et Malone ont établi le standard pour le jeu entre un meneur et un ailier fort, et Gary et Shawn sont un duo qui évolue vers ça », affirme Sam Perkins. « Stockton et Malone sont plus classiques tandis que Gary et Shawn aiment faire les choses avec plus de flair, qui est la mode en NBA ces derniers temps. Difficile de dire si l’un est meilleur que l’autre, c’est simplement différent. »
Remportant les deux premiers matchs à la maison, et même un troisième à l’extérieur dans la cuvette du Delta Center, la troupe de George Karl revient à la maison pour clore la série au Game 5. À 3 victoires à 1, Seattle a mis le Jazz dos au mur et n’a plus qu’à conclure…
Mais on ne se refait pas ! Utah s’impose en prolongation à Seattle pour le match 5, et voilà que les Sonics se font découper en rondelles à Salt Lake City dans une 6e manche à sens unique : +35 pour Utah ! C’est donc un Game 7 interdit aux cardiaques qui se profile.
« C’était la meilleure série de playoffs que j’ai coachées », commentera Karl bien plus tard. « On était pour ainsi dire à égalité pendant 6 matchs et 45 minutes. »
À domicile, les Sonics font la course en tête. Mais, comme le dira plus tard George Karl, les Dieux du basket ne pouvaient pas laisser ce match 7 se finir sur un gros écart, et le Jazz revient inexorablement au score en dernier quart.
Coupable d’avoir déjà raté des lancers cruciaux par le passé, face à Denver notamment en 1994, Shawn Kemp se retrouve aux lancers dans le méga money time, après deux fautes coup sur coup du vétéran (à lunettes) Antoine Carr. Mais cette fois-ci, pas de tremblotements ! 4/4 pour Kemp qui finira à 26 points et 14 rebonds, dont un très propre 10/11 aux lancers.
À l’inverse, Karl Malone fait 0/2 sur la possession suivante (pour 22 points et 5 rebonds, et 8/22 aux tirs) et la ville Emeraude peut enfin exulter : ses Sonics sont champions de la conférence Ouest ! Direction les finales NBA !
« On s’est mis sur le dos de Shawn aujourd’hui », reconnaissait bien volontiers Hersey Hawkins dans le Washington Post. « Il n’obtient pas assez de crédit pour sa dureté. Il est émotif et parfois il a des problèmes de fautes. Il a parfois des matchs difficiles et c’est ce dont tout le monde parle, mais pourquoi ne pas parler des 70 autres matchs où il fait gagner son équipe ? »
Le rendez-vous manqué des Finales NBA
En perdant les matchs 5 et 6, Seattle s’est compliquée la tâche en finale de conférence Ouest mais l’essentiel est bien là : les Sonics ont enfin réussi à passer le cap. Ils sont sortis vainqueurs de la conférence Ouest et tous les fantômes des playoffs précédents se volatilisent enfin. Tout comme certaines des questions lancinantes des journalistes.
« On est là, personne ne peut plus rien nous dire », clame ainsi Nate McMillan dans Sports Illustrated. « Ça a été très difficile d’entendre nos critiques nous appeler chokers pendant deux ans et de rentrer chez nous pour nous voir demander : qu’est vous est-il arrivé les gars ? Cette défaite nous aurait hanté pour toujours. Mais on est encore en vie. Et on est heureux de ne plus avoir à jamais endurer ça. »
Bien qu’outsider dans cette Finale NBA, les Sonics s’en contrefichent. Ils ont réussi à maîtriser leurs nerfs et à faire taire leurs (très) nombreux critiques.
« Quand on regarde d’où on vient et tout ce qu’on a dû endurer, j’aurais aimé que ça nous arrive il y a trois ans », souffle Detlef Schrempf dans le Los Angeles Times. « Mais en même temps, c’est bien car on a tellement progressé. »
Le souci, c’est que les Supersonics ne sont plus si super que ça après une telle débauche d’énergie. À vrai dire, le soulagement de cette victoire fait que les hommes de Coach Karl décompressent avant même de devoir affronter l’équipe qui vient tout juste de remporter un record de 72 victoires en une saison.
« Cette victoire est thérapeutique », confirme George Karl. « On a traversé un tel enfer ensemble, entendu tant de merdes. C’était limite de la torture. Avec cette victoire, on a fermé beaucoup de clapets. »
Mais, derrière, les Sonics arrivent bien trop guillerets face à Chicago et sa bande de tueurs au sang-froid. Les Bulls de Michael Jordan n’en demandaient pas tant, eux qui prennent rapidement l’ascendant avec trois victoires de suite dans la série !
Alors que Nate McMillan n’a pu disputer que 6 minutes de jeu lors du Game 1, et a dû rester en civil pour les deux autres levées, les Sonics ont perdu leur « âme », ainsi que le décrivait le consultant maison, Marques Johnson. Surtout, les Sonics auraient bien besoin de tous leurs atouts pour ralentir Son Altesse et Scottie Pippen.
« Notre plus gros obstacle était le Jazz. On a laissé tellement d’énergie dans cette série pour arriver en Finale. C’était un tel soulagement. On était content d’être là plutôt que d’être prêt à s’imposer à ce niveau-là », expliquera McMillan a posteriori, avant d’ajouter : « On pensait avoir ce qu’il faut pour les battre mais en même temps, je me souviens qu’un de nos gars a sorti sa caméra pour filmer l’escorte policière. Je me suis alors demandé si on était vraiment prêt pour ça… »
À 27 points, 7 rebonds et 7 passes au Game 1, ou 36 pions et 5 passes au Game 3, Michael Jordan semblerait presque déçu de n’avoir pas plus de résistance face à lui pour sa première Finale NBA depuis son escapade (peu concluante) sur les terrains de baseball. Les Sonics ont en effet été plus touristes qu’athlètes sur les deux premiers matchs à Chicago.
La défaite du Game 3 (sur un lourd débours de 22 points) reste, encore à ce jour, en travers de la gorge de Terry Stotts. C’était sans aucun doute une énorme déconvenue que de s’incliner à la maison, sans même avoir l’impression d’être proche. Pris à la gorge dès le 1er quart (34-16), les Sonics tenteront bien un retour en 3e quart mais sans réussite…
« Le match 3 des Finales a été très décevant pour nous, parce qu’on a joué deux matchs compétitifs à Chicago aux matchs 1 et 2. Mais au match 3, ils sont venus chez nous et ils ont défoncé nos portes ! »
Par la grâce du format en 2-3-2 désormais disparu, les Sonics ont eu droit à deux autres séances de rattrapage à domicile. Dos au mur, George Karl se décide enfin à ne plus économiser Gary Payton (qui souffrait d’un petit pépin à la cuisse) et place son « The Glove » sur Michael Jordan en défense.
Comme Shawn Kemp est toujours sur son nuage (il signe une prestation à 25 points et 11 rebonds au Game 4), Seattle se refait la cerise. Après leur défaite honteuse de -22, ils rendent la monnaie de leur pièce aux Bulls qui en prennent 21 dans les gencives (107-86).
« C’était fou, dingue, stressant », nous a confié Frank Brickowski en avril dernier. « Personne n’arrivait à dormir. »
Vite retombés de leur petit nuage au Jazz entrainant, les Sonics retrouvent tout de même leur peps pour s’imposer deux fois de suite. De 3-0, la série passe à 3-2 avant un dernier voyage à Chicago. Le changement défensif de Seattle apporte ses dividendes.
« Je lui mettais beaucoup de pression », commentait Gary Payton. « Je lui rentrais dedans, j’essayais de l’empêcher de recevoir la balle et je voulais le faire travailler sur chaque action. Mon objectif était de le fatiguer et ça a marché aux matchs 4 et 5. Il fatiguait. »
Mais, de retour au United Center, les Bulls vont ressortir la boîte à gifles. Tenus à 75 points, les Sonics ont subi la loi de Chicago, parfaitement au diapason, à l’image de son trident de Hall of Famers : Michael Jordan (22 points, 9 rebonds, 7 passes), Scottie Pippen (17 points, 8 rebonds, 5 passes, 4 interceptions) et Dennis Rodman (9 points, 19 rebonds, 5 passes, 3 interceptions).
Pris plusieurs fois par la patrouille dans son duel fantasque face à « Dennis la Malice », Frank Brickowski a été le dindon de la farce. A l’image de son équipe un peu trop naïve et inexpérimentée, Brick s’est fait piéger.
« Joey Crawford est l’arbitre qui m’a mis dehors lors de ce Game 1 », évoquait encore Brick au printemps dernier, dans le podcast de John Canzano. « J’avais du pain sur la planche avec Dennis Rodman, probablement le meilleur rebondeur de l’histoire. Surtout si on parle au « pound for pound ». J’avais déjà du boulot pour l’écarter du panier mais en plus, il floppe… et les arbitres tombent dans le panneau ! Je me suis fait expulser, mais je n’ai pas pris d’amende. On m’a sifflé une autre faute flagrante et là non plus, aucune amende. Car c’est encore Dennis qui a réussi à tromper les arbitres. Et mon autre expulsion, c’est parce que je dis à Jack Haley de se rasseoir et de fermer son clapet sur le banc. Il n’était même pas en uniforme et je l’ai appelé « babysitter ». Il était dans cet effectif du simple fait qu’il était pote avec Rodman et qu’il arrivait à peu près à le contrôler… »
Les Bulls de 96, c’est en effet bien l’expérience de plusieurs titres avec Jordan, Pippen et Rodman, mais c’est encore plus un sacré savoir-faire de la gagne, qui s’entretient en interne avec Phil Jackson qui joue le gourou.
« C’est le genre de souvenirs auxquels on ne peut s’empêcher de repenser », nous expliquait Hawkins, qui a pourtant pris sa retraite il y a déjà plus de 15 ans. « Je sais que je me pose encore des questions sur certains tirs que j’ai ratés, vingt ans après. Si j’avais réussi ce tir, le match aurait été différent. On fait tous la même chose à se demander ce qui aurait pu se passer différemment… Mais c’est comme ça. C’est pour ça que c’était les Bulls ! »
Malgré un Shawn Kemp qui finira à 23 points, 10 rebonds, 2 passes et 2 contres de moyenne, les Sonics auront donc dû s’avouer vaincus en Finale NBA.
« Mon meilleur souvenir est évidemment de battre Utah en 1996 pour aller défier Chicago en Finale », s’est souvenu Bob Weiss lors de notre rencontre au cours des derniers playoffs (Portland contre Denver). « En finale par contre, les Bulls avaient clairement une meilleure équipe que nous. On avait nous-mêmes une bonne équipe, bien équilibrée et un effectif profond. Mais eux avaient Jordan, Pippen et Rodman. Donc ça a suffi ! »
Bien mieux équilibrés, avec un banc plus performant et plus solide mentalement, les Bulls ont logiquement remporté ce titre 1996, le premier d’un (second) triplé historique. Et la conclusion logique de leur saison historique à 72 victoires. Comme le T-shirt confectionné par Ron Harper le prédisait : « 72-10 don’t mean a thing without the ring » (72 victoires pour 10 défaites ne veulent rien dire sans le titre).
« On a fait les finales en 1996 avec Gary, Shawn, et aussi Detlef, il ne faut pas l’oublier », rappelait Dwane Casey dans le Woj Pod du 17 février 2018. « Ils avaient une alchimie, une cohésion et un style de jeu qui étaient en avance sur leur temps. On changeait sur les pick & rolls à l’époque et on avait renversé le jeu avec un intérieur, Sam Perkins, qui shootait à 3-points quand Gary jouait lui au poste bas. C’était révolutionnaire. Tout ce groupe a eu un impact immense. »
Vaincus en finale au bout de leur course folle, les Sonics n’ont clairement pas à rougir de leur saison. Mais trop naïfs, trop fatigués et tout simplement trop courts (surtout sur le banc) face aux Bulls, les Supersonics ont tout de même vécu leur nirvana.
« C’est difficile de décrire ce qu’est un buzz, mais il y avait définitivement un buzz dans la ville à ce moment-là », se souvient Shawn Kemp, « quelque chose que je n’ai jamais vécu par ailleurs. »
Enfin solidaires dans le jeu, les Sonics ont renoué avec leur histoire. Celle d’une équipe prometteuse qui s’était égarée en chemin. Ils se sont réconciliés avec les leurs en faisant amende honorable de leurs erreurs passées. Tant et si bien qu’ils sont, plus encore que l’effectif champion de 1979, l’équipe la plus chérie par des fans de Seattle orphelins de leur franchise de cœur.
« Nous voir tous tirer dans le même sens, croire les uns en les autres et faire les sacrifices nécessaires pour que l’équipe soit la meilleure possible, et d’arriver en Finale, c’était vraiment une sensation merveilleuse », conclut le Capitaine Courage de l’équipe, Nate McMillan. « C’était fantastique d’en arriver là sachant qu’on savait qu’on y arriverait si on faisait les efforts nécessaires. Et c’est ce qu’on a fait. »
La saison 95-96 en chiffres
104,5 : Points par match, 2e en NBA
96,7 : Points autorisés en défense, 8e en NBA
92,7 : Pourcentage de victoires à domicile (38 victoires pour 3 défaites)
64 : Victoires en saison régulière, 2e meilleur résultat derrière les Bulls et leurs 72 succès (record)
19,6 : Moyenne de points de Shawn Kemp, meilleur de l’équipe
14e : Classement à l’affluence (sur 29) avec 17 007 spectateurs en moyenne à la KeyArena
11,4 : Moyenne de rebonds de Shawn Kemp, meilleur de l’équipe
7,5 : Moyenne de passes de Gary Payton, meilleur de l’équipe
2 : Shawn Kemp et Gary Payton seront nommés dans la All-NBA Second Team
Prochain épisode : Une apothéose sans lendemain