Il est le premier surpris par son ascension irrésistible. Lorsqu’un couple de fans historiques de la franchise lui a promis un avenir de All-Star dès son année rookie, le meneur a cru à une blague. Il est entré en NBA par la petite porte avec une saison horrible l’année du lockout : 59 défaites en 66 matchs. Jamais une franchise n’avait gagné aussi peu de matchs en saison régulière, certes raccourcie. Mais à force de travail et boosté par une volonté féroce de rendre la confiance à l’organisation qui a fait de lui ce qu’il est, Kemba Walker fait aujourd’hui partie des stars, voire des superstars de la grande ligue.
Son histoire, c’est celle d’un garçon ordinaire, attachant, déterminé et dont la progression a été constante, saison après saison. À tel point qu’il en est arrivé à signer des performances dignes des plus grands meneurs, comme d’enchaîner des pointes à 60 puis à 43 points en deux matchs il y a dix jours. Aussi discret dans les médias sur les réseaux sociaux qu’impressionnant sur les parquets, retour sur l’ascension continue d’un franchise player qui ne se prenait pas pour une star.
La scène se déroule lundi dernier au Spectrum. Charlotte est déjà marqué au fer rouge par 8 défaites concédées par 5 points ou moins depuis le début de saison. Après avoir compté 25 points d’avance, Milwaukee (qui s’est déjà imposé d’un petit point en Caroline du Nord lors de l’Opening Night) revient en boulet de canon. Son meilleur relais sur le terrain, Tony Parker, vient de manquer deux lancer-francs qui pouvaient tuer le match et Giannis Antetokounmpo ramène alors les Bucks à 108-107 lorsque c’est au tour de Kemba Walker de se présenter sur la ligne.
À 7 secondes du buzzer, le meneur n’a pas le droit à l’erreur. Les premières années de sa carrière, il aurait peut-être craqué, lui aussi. Mais c’est en patron, en leader de franchise, qu’il s’est acquitté de sa tâche pour assurer la victoire à son équipe. Voilà ce qui résume peut-être le mieux l’évolution de Kemba Walker, un travailleur acharné qui apporte énormément d’attention à tous les détails du jeu. Ce soir là, avec « seulement » 21 points marqués, le meneur n’avait pas brillé par ses bombes à 3-points, ses crossovers ou ses lay-ups acrobatiques, mais grâce à ces deux lancers qui ont tiré les siens d’affaire, comme ça a souvent été le cas ces dernières saisons.
Bosser son tir, ses lancer-francs : Kemba Walker a maintenant tout d’un grand
Qu’il semble loin le temps où le champion NCAA avec UConn a débarqué en Caroline du Nord à l’entraînement pré-draft des ex-Bobcats en toute humilité, presque fragile du haut de ses 185 centimètres. « Bon sang, cette ligne est loin » avait-il glissé à Stephen Silas, alors assistant-coach de l’équipe, pointant des yeux la ligne à 3-points « made in NBA ». Le moins que l’on puisse dire, c’est que Kemba Walker n’avait pas brillé ce jour-là. «Il avait un tir penché » se souvient Stephen Silas. Charlotte a quand même misé sur sa culture de la victoire et sa personnalité attirante. « Il avait ce petit quelque chose », ajoute Rich Cho, GM de la franchise de 2011 à 2018.
Ce petit truc en plus, c’est à n’en pas douter sa capacité à travailler et sa haine de la défaite. Avec son lancer franc qu’il a bossé année après année pour en faire une arme plus fiable, la plus belle récompense de son acharnement à la salle reste pour l’heure son adresse extérieure, passée de 30 à près de 40% aujourd’hui.
Au cours de ses premières années dans la ligue, ses adversaires ne « respectaient » pas vraiment son tir extérieur, passant souvent sous les écrans ou en le défiant de prendre des tirs ouverts à rester un mètre derrière la ligne, le privant ainsi de sa capacité de drive. Aujourd’hui ? Il est l’un des joueurs les plus dangereux derrière l’arc. Avec 74 paniers à 3-points marqués depuis le début de la saison, il est au sommet de la liste, devant Justin Holiday et James Harden et pointe à la troisième place en terme de 3-points tentés par match derrière le duo Harden-Curry. Cinquième meilleur scoreur de la ligue, il a également développé une mécanique ultra-rapide, avec laquelle il peut déclencher à tout moment, même lorsqu’on le défend de très près. « Lui et Dame (Lillard) sont ceux qui se rapprochent le plus de Steph Curry », estime James Borrego sur le sujet.
Le premier surpris
Son humilité et sa discrétion sur la scène médiatique sont aussi sa marque de fabrique. Le fait d’avoir « grandi » dans ce qu’on appelle un « petit marché » en NBA l’ont préservé ? Non, le garçon est comme ça. L’homme est aussi discret que le joueur est déconcertant. À tel point que son arrivée au sommet, depuis une grosse année, surprend. « Jamais je n’ai pensé qu’il ferait un jour ce qu’il fait aujourd’hui. Mais alors vraiment pas », affirme Stephen Silas lorsqu’il repense à la saison rookie de Kemba Walker. Son niveau a également dépassé les attentes de l’intéressé.
« Je ne me suis jamais vu jouer à ce niveau, shooter de cette façon. Je crois que je pourrais même dire que ça me surprend. Je ne me vois pas comme ça (comme un All-Star), c’est bizarre » confie-t-il à Zach Lowe sur ESPN. « Il y a eu des fois où je me suis demandé si j’allais rester en NBA. Tous les joueurs sont tellement bons à ce niveau. Plus grands, plus forts, plus rapides… Il y avait tellement de gars qui pouvaient faire ce que je faisais. Je ne savais vraiment pas ».
Il y a dix jours, après avoir collé 60 points dans une défaite à Philly, il enchaîne par une victoire contre les Celtics avec une nouvelle grosse performance : 43 points et la victoire 117-112. Il paraît alors presque gêné lorsqu’on lui demande de réagir à ce double coup de chaud. Avec un grand sourire, il semble chercher ses mots…
« Je ne sais pas. Je joue juste au basket et ma foi en Dieu m’a bien sûr aidé pour jouer comme je le fais. Mais pour la majeure partie, je dirais que j’ai juste travaillé mon jeu. Je viens chaque soir pour bosser dessus et montrer que je me tiens aussi prêt que possible pour ce genre de moment », finit-il modestement par rétorquer.
La haine de la défaite et la naissance d’un leader
Sa haine de la défaite révélée au grand jour dès sa première saison 2011-2012 (avec Boris Diaw et… Bismack Biyombo) lui a aussi servi de moteur. Alors que la plupart des vétérans avaient « intégré » cette triste routine, lui dénote et finit par fondre en larmes, à exhorter ses coéquipiers de montrer un meilleur visage.
« Il y avait des gars du genre : « Bien, on a perdu un match de plus, qu’est-ce qu’on fait ce soir ? ». Et il y avait Kemba en pleurs. Je me suis dit, « Merde, il prend vraiment ces soucis à cœur ». Ce gars est préoccupé par l’équipe », se rappelle Gerald Henderson, joueur avec qui Kemba Walker est resté très proche.
Le changement de statut des Bobcats a été scellé une fois l’arrivée d’Al Jefferson, en 2013, là-aussi le fruit d’une frustration naissante de Kemba Walker qui a alors personnellement sollicité son agent Jeff Schwartz pour faire bouger les choses. Ce dernier, qui avait un certain « Big Al » de disponible sur le marché dans son portefeuille, a mis les deux joueurs en contact. Al Jefferson a d’abord pensé à « une blague » lorsque Kemba Walker lui a dévoilé son plan pour viser les playoffs. Pourtant, Charlotte est passé de 21 à 43 victoires, héritant de la 7e place à l’Est avant de se faire sweeper face au Heat de LeBron James (Al Jefferson sera absent dès le deuxième match de la série, touché au pied). De quoi gagner en crédibilité pour le meneur encore en devenir.
L’été suivant a été le second tournant de la carrière de Kemba Walker, lorsque Steve Clifford a embauché Steve Hetzel comme assistant. Ce dernier l’a aidé a franchir un cap en donnant au meneur les clés pour devenir une star. En bossant principalement sur son jeu de pick&roll et sa mise en place, l’utilisation de feintes pour bluffer, de changements de trajectoires, de rythme, pour mieux surprendre et tromper ses adversaires, le tout en améliorant un « handle » déjà digne des meilleures manieurs de ballons.
Au fil du temps, il a enfin appris à être un leader. Par la voix, mais aussi par l’exemple, en se donnant toujours à fond à l’entraînement et à ne plus montrer ses états d’âme à ses coéquipiers.
« Il a toujours été un bosseur, mais il est devenu un grand bosseur uniquement après l’arrivée de coach Clifford », ajoute Stephen Silas pendant que Patrick Ewing, assistant-coach des Hornets de 2013 à 2017, rapporte également les traits d’un petit caractère. « Il lui arrivait d’être de mauvaise humeur », lâche la légende des Knicks.
En tant que leader, vous devez élever vos coéquipiers, les pousser à donner le meilleur, toujours être le premier à montrer l’exemple. Ce comportement devenu irréprochable au fil des années et devant des responsabilités grandissantes, a fini par rejaillir sur le groupe, comme le raconte Michael Kidd-Gilchrist au moment de prolonger en 2015, expliquant que Kemba Walker avait été la première personne qu’il a remerciée. « Pas ma mère, pas ma sœur, pas mon frère…. C’était Kemba. Parce qu’il m’a inspiré ».
Même s’il pousse ses coéquipiers au maximum, Kemba Walker est aussi exigeant avec lui même, voire plus. Avec la victoire pour unique but commun au sein du groupe comme lors de son récent match à 60 points contre Philadelphie. MKG a ainsi vu son meneur « dégoûté, parce qu’on avait perdu ». Aussi simple que ça…
« Je veux sortir Charlotte de l’ombre »
Jusqu’à présent, Kemba Walker a vécu plus de déceptions que de joies au sein de sa franchise de cœur, malgré sa volonté affichée de jouer les playoffs chaque année depuis plusieurs saisons. Or Charlotte n’a disputé qu’une série en postseason sur les quatre dernières saisons, perdue 4-3 face au Heat en 2015-2016 après avoir mené 3-2. L’impact d’Al Jefferson a diminué au fil des saisons, celui de Michael Kidd-Gilchrist, prolongé pour 52 millions de dollars en 2015, n’a jamais atteint le statut de joueur majeur en plus d’avoir été embêté par les blessures.
La venue de Dwight Howard a été un véritable fiasco. Restent Nicolas Batum et Marvin Williams, sur lesquels la franchise s’est engagée sur le long terme (en y mettant le prix) à l’issue de leur bel exercice 2015-2016 pour un rendement plus que décevant jusqu’à présent, sur cette saison 2018-2019 qui paraissait enfin porteuse d’espoir pour un leader ambitieux. Par dessus tout, Kemba Walker a brièvement été mis sur la liste des transferts en janvier dernier. Michael Jordan s’était dit « à l’écoute des offres » et New York et Cleveland étaient des destinations envisageables jusqu’à ce que le GM Mitch Kupchak et le joueur lui-même ne réitèrent leur attachement commun.
Au vu de ces péripéties à répétition, beaucoup de joueurs de son calibre auraient déjà fait leurs valises vers d’autres horizons. Mais le natif du Bronx a les reins solides et la tête sur les épaules. Son avenir, c’est à Charlotte qu’il le voit. Il lui reste maintenant deux étapes à accomplir, et pas des moindres, pour marquer un peu plus l’histoire. Deux passages obligatoires qui se feront (peut-être) dans cet ordre : signer un gros contrat et ramener Charlotte de façon durable dans le haut du tableau.
Plus de 100 joueurs gagnent plus que lui en NBA…
Si Kemba Walker poursuit sur sa lancée jusqu’à la fin de la saison, qu’il est encore All Star et que son équipe retrouve les playoffs, il sera logiquement éligible à un contrat maximum. Sur cinq ans, Charlotte pourra alors mettre une offre à 189 millions de dollars sur la table. Pour l’aider dans sa mission, le meneur sait que sa franchise aura besoin de cash pour faire venir un autre joueur capable de le seconder de façon fiable, comme Al Jefferson a pu le faire au début de leur collaboration.
C’est aussi là que se jouera l’avenir des deux parties. Les grands joueurs ont prouvé ces dernières années qu’ils étaient prêts à faire une croix sur quelques millions à condition de jouer dans une équipe qui gagne. Ce qui est sûr, c’est que Michael Jordan fera tout pour conserver Kemba Walker. Ce sera donc ce dernier qui fixera les règles du jeu. Et à en croire ses dires, son attachement pour la franchise est tel qu’on voit mal le n°15 des Hornets quitter le navire cet été.
« Ces gars-là ont cru en moi. Je me moque des grands marchés. Ce n’est pas ce que je suis. Je veux faire de cet endroit un lieu important. Je veux participer aux playoffs chaque année. Je veux sortir Charlotte de l’ombre ».
Des déclarations qui laissent penser que Kemba Walker marchera encore avec les Hornets dans les années à venir.