Leo Rautins : « D’ici deux à trois ans, le Canada peut faire des vagues »

Premier joueur canadien à être drafté en NBA en 1983, passé ensuite par les Sixers et les Hawks, puis par l’Europe et la France (à Pau et à Lyon), Leo Rautins est désormais le prestigieux commentateur des Raptors sur la télévision canadienne. Véritable référence du basket à la feuille d’érable, coach de la sélection de 2005 à 2011, BasketUSA n’a pas pu s’empêcher d’aller lui tendre son micro pour lui demander ses impressions sur une année riche en émotions pour le basket canadien.

Entre la retraite de la légende Steve Nash, l’émergence d’Andrew Wiggins et l’avenir radieux du basket canadien, Rautins nous a donné son avis d’expert.

D’abord, pouvez-vous nous parler de Steve Nash qui vient malheureusement de mettre un terme à son immense carrière. J’imagine que ça vous a forcément touché…

« Je suis triste. Je suis vraiment désolé pour Steve qu’il n’ait pas pu arrêter sa carrière comme il l’aurait voulu. Son corps a fini par le lâcher mais sa carrière a été remarquable à tous points de vue. Il a été un personnage fondamental pour le Canada, à la fois en tant que joueur de basket mais également en tant qu’homme. Beaucoup de jeunes le considèrent comme un modèle et j’espère qu’il va continuer à ouvrir la voie pour le Canada avec son travail au sein de l’équipe nationale. »

Avez-vous une anecdote en particulier à nous délivrer sur Steve Nash ?

« Non, je n’ai pas particulièrement d’anecdote avec Steve, mais j’ai été profondément marqué par le fait qu’il ait gagné deux titres de MVP alors qu’il était déjà trentenaire et qu’il joue meneur. On est extrêmement vulnérable à cette position mais lui a réussi à atteindre son meilleur basket après avoir dépassé la trentaine. Et c’est vraiment fantastique. Complètement incroyable. »

Vous qui êtes une référence du basket canadien, que pensez-vous de cette fantastique génération qui arrive avec les Wiggins, Thompson, Olynyk, etc. ?

« Oui, on a une très bonne génération de jeunes joueurs qui émerge mais le problème, c’est qu’on n’a pas beaucoup de scoreurs. Si l’on regarde les autres sélections nationales, ils ont des joueurs capables de scorer. La France a des scoreurs, l’Argentine a des scoreurs… nous n’en avons pas encore. Pour le moment, on a beaucoup de joueurs NBA mais ils sont tous plus ou moins des role players. J’espère effectivement qu’Andrew Wiggins pourra être celui qui va transformer l’équipe en apportant plus de scoring et d’explosivité en attaque. Car, au niveau du talent, des qualités athlétiques et de la profondeur du banc, on arrive maintenant à être bon. La seule chose qui va manquer, c’est l’expérience du niveau international. Mais si ces jeunes arrivent à s’impliquer dans le programme, on devrait progresser. Il faut néanmoins prendre en compte que certains de ses joueurs ne seront pas forcément libres l’été pour jouer en sélection. Tony Parker, Manu Ginobili ou Luis Scola n’ont pas à jouer la ligue d’été par exemple. Et puis, chacun a sa situation contractuelle à gérer… Mais dans l’ensemble, je suis confiant pour l’avenir. C’est très enthousiasmant de voir ces jeunes arriver de plus en plus nombreux en NBA. »

Comment expliquez-vous cette arrivée massive ? Le Canada est devenu le pays avec le plus gros contingent de joueurs NBA… devant la France justement !

« C’est la NBA. Tous ces gamins ont grandi avec la NBA. Andrew Wiggins est né l’année où la NBA a débarqué à Toronto. Ils ont tous regardé la NBA pendant leur enfance. Par comparaison, j’ai grandi à Toronto et je rêvais de NBA mais je n’avais jamais vu un match en personne. C’était lointain pour moi. Maintenant, ces jeunes peuvent aller voir les matchs, sentir ce que c’est. Et puis, ce qu’il s’est passé il y a maintenant quelques années, c’est qu’on s’est tourné vers les jeunes. On a commencé à mettre en place un système de formation plus important en les impliquant dès les années cadet, junior. Et ce travail de fond commence à porter ses fruits aujourd’hui. »

Que pensez-vous du cas Anthony Bennett ? Que lui manque-t-il pour vraiment exploser en NBA ?

« Pour lui, le problème, c’est qu’il a été choisi en numéro 1 de la draft alors qu’il n’en était pas un. Avec ce statut vient beaucoup de pression. Le regard des gens change immédiatement, qu’on le veuille ou non. Même s’il joue bien, il aura toujours ce statut qui lui pèse sur les épaules. Donc, il y a clairement un blocage psychologique qu’il doit surmonter. Et puis, il faut également voir que cette saison fut sa première où il a été relativement en bonne forme physique. Il doit également définir sa position un peu plus précisément. C’est un petit 4 qui aime shooter. Il doit affiner son jeu et trouver sa véritable identité, ce qui lui permettra de s’établir sur le long-terme en NBA. »

Andrew Wiggins a dit que Toronto était en train de devenir une ville de basket. Vous confirmez ?

« Toronto est une vraie ville de basket. Le hockey et le baseball seront toujours là mais le basket a le plus de potentiel pour grandir. Toronto est une ville multi-ethnique, le Canada est multi-ethnique. Et chaque nouvel arrivant vient d’un pays qui a déjà une ligue professionnelle de basket. En France, en Italie, en Turquie, il y a des ligues pros. Donc, le basket est un sport qui leur est plus ou moins familier. Et puis, d’un point de vue économique, le basket est un sport que tout le monde peut pratiquer. Avec les Raptors ici, le basket a une grosse popularité. Par contraste, le hockey a déjà atteint un plafond. Le baseball peut encore grandir un peu mais le basket a clairement le plus de potentiel de croissance. »

Avec toute cette jeunesse, quand estimez-vous que la sélection canadienne peut commencer à avoir des résultats sur la scène internationale ?

« Si tous les joueurs commencent à jouer chaque été, je pense qu’on peut avoir des résultats d’ici deux à trois ans. Cet été va être difficile, j’espère vraiment qu’ils pourront obtenir un bon résultat [aux Pan Am Games qui se tiendront à Toronto du 10 au 26 juillet, ndlr]. »

Andrew Wiggins a déjà confirmé qu’il jouerait…

« Oui, ils veulent tous jouer pour le Canada. Mais comme je le disais, le problème va être le contrat des uns et des autres, leurs obligations vis-à-vis de leur franchise, les blessures, on ne sait jamais. C’est pour cela que les autres pays disposent d’un groupe élargi de 20 à 25 joueurs qui ont de l’expérience internationale. Comme ça, s’il y a défection d’un joueur, on peut en prendre un autre. Ce sera la clé de notre succès à l’avenir. »

Propos recueillis à Toronto