Le 29 octobre dernier nous vous parlions du livre de Tim Donaghy, Blowing the Whistle – The Culture of Fraud in the NBA (rebaptisé Personal Foul) et de ses révélations fracassantes.
Donaghy, ancien arbitre NBA banni le 9 juillet 2007, est sous le coup d’une enquête policière menée par le FBI qui cherche à prouver que Donaghy a parié sur des matchs dont il aurait cherché à influencer l’issue par ses coups de sifflet.
Tim Donaghy, pour sa part, reconnait avoir été particulièrement sévère avec certains joueurs de son choix, mais réfute le fait d’avoir truqué des matchs. La distinction est pour le moins subtile :
« C’était de la manipulation mais ce n’était pas des matchs arrangés », explique l’intéressé. « Je n’ai pas inventé les coups de sifflets, ils pouvaient être sifflés. C’est là que la subjectivité entre en jeu ».
Son livre (qui lui permettra de payer ses dettes…) doit faire frissonner la direction de la ligue, car si les allégations de Donaghy se révélaient être fondées, la crédibilité déjà entachée des arbitres se trouverait certainement réduite à peau de chagrin. D’ailleurs, certaines des affirmations de Donaghy trouvent une résonance chez ceux qui critiquent (et ils sont nombreux) l’arbitrage NBA depuis de nombreuses années, et ce bien que la NBA ait constamment tenté de décridibilisé ce « filou » de Donaghy.
Malgré cela le doute existe, grandit, et pourrait bien menacer la vision que nous avons du jeu. A la manière du cyclisme, ne risque-t-on pas d’arriver à un point où chaque victoire sera remise en question ? Sera-t-il possible d’affirmer pour chaque coup de sifflet litigieux qu’il découle d’un jugement impartial ? Le ver est dans le fruit et il est capital de trouver des réponses. C’est ce que cherche Henry Abbott d’ESPN, qui s’est attelé à la tâche de valider ou d’infirmer ce qu’avance Tim Donaghy dans son livre, avant de confronter le fruit de ses recherches avec l’intéressé lui-même. Le tout est détaillé dans un très bon article (pour les anglophones) que nous vous recommandons vivement et dont nous allons retracer les grandes idées ici.
Un livre en forme de plaidoirie
Pour bien comprendre ce qu’avance Tim Donaghy dans son livre, il faut garder à l’esprit que celui-ci est un moyen de défense, dont la mission première est d’affirmer qu’il a gagné ses paris en raison de sa connaissance du milieu NBA et non parce qu’il a truqué les matchs.
« J’ai commencé à parier car je me suis dit que les matchs étaient prévisibles. Que c’était de l’argent facile si on regarde les fautes techniques, les actions litigieuses qui peuvent être sifflées ou non contre une équipe. J’ai commencé à parier sur des matchs de NBA quand j’ai eu des informations sur lesquelles je pouvais me baser pour parier. »
L’accusé assure avoir été capable de gagner avec un taux de réussite alarmant juste en se basant sur l’observation des relations entre les joueurs, les coachs, la ligue et les arbitres :
« C’est comme ça que j’ai fait. J’ai écouté les directives de la NBA, j’ai pris en considération les vendettas et les reproches des arbitres envers certains joueurs ou coachs, et je me suis concentré sur les relations particulières qui influencent continuellement l’action sur le terrain. Ajoutez quelques caprices et tendances prévisibles d’arbitres vétérans et la recette est complète. Tout ce que j’avais à faire, c’était de parier et de laisser la probabilité agir. Pendant la saison régulière, j’avais raison 7 fois sur 10. J’ai même réussi une série où je ne pouvais plus me tromper, gagnant mes paris pour 15 matchs sur 16. Personne sur la planète ne pourrait être aussi chanceux. »
Donaghy cherche à prouver qu’il ne gagnait pas que sur les matchs qu’il arbitrait, mais sur d’autres également avec un taux de réussite à faire pâlir n’importe quel bookmaker. Il estime ses gains sur les matchs NBA à 100,000 $ environ.
Les joueurs ont-ils la décision entre leurs mains ?
Pour bien comprendre la suite, il faut savoir que Tim Donaghy ne pariait pas seulement sur la victoire ou la défaite d’une équipe mais aussi sur le dépassement ou non d’un écart de point final. Par exemple, il pouvait parier que les Lakers battraient les Celtics de moins de 7 points. Cela rend le pari encore plus difficile à gagner et son taux de réussite encore plus incroyable. Si les affirmations de Donaghy sont justes, ceux qui détiennent une copie du livre sont assis sur une vraie mine d’or. Mais sont-elles justes ? Henry Abbott dissèque certains critères quantifiables, d’autres étant invérifiables :
1er critère : Dick Bavetta aime les matchs serrés
« Depuis que je travaille avec Dick Bavetta, j’ai appris qu’il aime les matchs serrés. »
Donaghy affirme que Bavetta aurait tendance à aider les équipes à la traine à remonter leur retard en sifflant plus facilement pour elles. Pour un parieur, il n’y aurait plus qu’à parier que l’équipe favorite ne battra pas son adversaire par un gros écart.
Malheureusement pour ceux qui tenteront leur chance, cette théorie est loin de s’être démontrée dans la réalité. Sur l’ensemble des matchs de ce type (entre deux équipes au niveau très différent) arbitrés par Dick Bavetta, parier sur un écart faible vous aurait fait perdre 11,8 % de votre investissement de départ.
2eme critère : Steve Javie déteste Allen Iverson alors que Joe Crawford l’adore
« Si Javie arbitrait quand Iverson jouait, je pariais habituellement sur la victoire de l’autre équipe ».
Ainsi Javie aurait tendance à ne pas envoyer Iverson aux lancers-francs à l’inverse d’un Joe Crawford qui serait beaucoup plus magnanime si l’on en croit Donaghy :
« Allen Iverson est l’idole du petit-fils de Joe Crawford. Une fois, j’ai vu Crawford amener le garçon sur le terrain pendant l’échauffement pour rencontrer la superstar. Iverson et le petit-fils de Crawford se tenaient là, se serrant la main, souriant, parlant de tout et de rien. Si Joe Crawford était sur le terrain, j’étais presque sûr que l’équipe d’Iverson gagnerait ou tout du moins, perdrait avec un petit écart ».
Une fois de plus ces deux “règles” ne sont pas démontrées par les chiffres. Iverson n’est pas le seul joueur qui, selon Donaghy, est prit en grippe par certains arbitres. Il évoque notamment Rasheed Wallace qui aurait été la cible de concours du type « le premier arbitre qui lui met une technique gagne » ou Chauncey Billups dont l’attitude sur le terrain ( ?) déplairait à certains arbitres.
3eme critère : Joe Forte et Mike Fratello sont amis
Donaghy avance que l’arbitre Joe Forte et l’ex-entraineur Mike Fratello étaient bons amis et qu’en conséquence, Forte aurait eu de mal à rester impartial. Une fois de plus, Abbott prouve par les chiffres qu’aucune corrélation évidente n’est possible.
Comme on le voit, rien ne vient appuyer ce qu’avance Donaghy, mais comment faire alors pour expliquer la chance insolente de celui-ci au jeu ? Autant demandé à l’intéressé lui-même :
« Ce sont certains des critères que j’utilisais. Je ne dis pas que je pariais sur l’ensemble des matchs. Vous pouvez regarder les stats dans le sens que vous voulez. Il y avait d’autres facteurs que je prenais en compte : des informations en interne à propos de blessures, match à domicile où à l’extérieur, le public etc. Il y avait beaucoup de paramètres à prendre en compte. J’affirme avoir réussi 15 paris sur 16, et j’affirme également que tous les faits dans ce livre sont vrai, et c’est pourquoi je choisissais les matchs sur lesquels parier ».
Il semble difficile de démêler le vrai du faux dans cette histoire, et il sera également difficile de prouver que tout ce qu’avance Donaghy n’est que mensonge. David Stern et ses partenaires ont beau chercher à en faire un unique cas de malhonnêteté chez les arbitres, le problème pourrait être plus difficile à régler qu’avec une simple exclusion du coupable :
« Il (ndlr. David Stern) doit arrêter de faire l’autruche. Si la ligue ne met pas l’accent sur l’éducation des arbitres, cela pourrait se reproduire de nouveau. C’est facile de me pointer du doigt et de faire de mois le bouc-émissaire en espérant que cela fasse disparaitre le problème. Si d’autres arbitres étaient accusés des mêmes pratiques, cela remettrait en cause toute la crédibilité de la NBA., alors c’est plus facile de faire de moi la pomme pourrie du lot et de me jeter aussi loin que possible. »
Sur ce point, nous sommes d’accord avec Donaghy. La ligue doit agir et son action ne pourra pas être seulement cosmétique. Eduquer, former, recruter des arbitres est devenu indispensable, mais pour l’instant, on ne voit rien venir.