Même si la NBA attend toujours de connaître sa première femme « head coach », la gent féminine s’est petit à petit imposée et on compte aujourd’hui de plus en plus de femmes en NBA, que ce soit comme assistantes, dirigeantes ou membres du staff. Ce qu’on sait moins, c’est qu’aucun règlement n’empêche une femme de jouer en NBA, et en 1969 et 1977, les San Francisco Warriors et les New Orleans Jazz avaient sélectionné respectivement Denise Long et Lucia Harris lors de la Draft. Mais ça n’avait pas été plus loin…
En 2013, on souvient aussi que Mark Cuban avait promis de drafter Brittney Griner, qui cassait tout en NCAA, mais le patron des Mavericks n’avait pas été au bout de son idée malgré l’enthousiasme de l’actuelle star du Phoenix Mercury, prête à en découdre avec des hommes.
Une des meilleure joueuses de l’histoire de la NCAA
En fait, c’est du côté d’Indianapolis qu’il faut trouver trace d’une « joueuse NBA ». Même si elle est entrée au Hall Of Fame et que c’est une personnalité marquante du basket féminin aux Etats-Unis, Ann Meyers n’est pas connue du grand public en France.
Pourtant, son maillot est au plafond de la salle de UCLA, aux côtés de celui de Kareem Abdul-Jabbar et de Bill Walton. Sous le maillot des Bruins, elle a même signé le premier quadruple-double de la NCAA, hommes et femmes confondus. En 1976, elle est membre de la première équipe olympique des Etats-Unis, et elle ramènera l’argent de Montréal. Mais au milieu des années 70, le basket féminin n’a pas d’équivalent de la WNBA, et c’est compliqué d’en faire son métier.
Sauf qu’en 1978, un entrepreneur décide de créer la Women’s Professional Basketball League (WBL). C’est l’ancêtre de la WNBA, et trois ans après avoir quitté la NCAA, Ann Meyers est sélectionnée à la première place de la Draft 1978. Trois ans plus tard, la WBL disparaît, mais Meyers est élue MVP de la première saison, et son niveau de jeu tape dans l’oeil de la NBA ! Tout du moins d’une franchise, les Pacers.
À l’époque, la franchise est jeune, arrivée en 1976 en NBA, et elle doit sa survie à un téléthon ! Coup de pub’ ou pas, les Pacers font entrer Ann Meyers dans l’histoire en lui proposant un contrat pour un essai. C’est un vrai contrat, et à 24 ans, elle touche 50 000 dollars de l’époque pour cet essai et un poste au sein de la franchise. Jouer avec les hommes, elle l’a déjà fait, et déjà à l’université, il avait été question qu’elle intègre l’équipe masculine. Elle avait alors fait marche arrière en raison des « on dit »…
« C’était sans doute un coup de pub’, et je ne le nie pas, mais je n’ai jamais été du genre à la rechercher » confia Ann Meyers, il y a quelques années. « C’était la meilleure décision prise dans ma vie. Lorsque j’étais au lycée, j’avais joué dans l’équipe masculine de Summer League entre ma première et ma dernière année de lycée. J’avais prévu de jouer dans l’équipe universitaire des garçons pendant la saison scolaire régulière, mais beaucoup de choses avaient été dites. Lorsque vous êtes au lycée, les sentiments évoluent et vous changez physiquement, alors vous vous souciez de ce que les gens disent. Donc, même si j’avais joué dans l’équipe de la ligue d’été, même si je voulais jouer dans l’équipe universitaire masculine, j’ai laissé les gens m’en dissuader. Après UCLA, tout à coup, j’ai reçu un appel de Sam Nassi, le nouveau propriétaire des Indiana Pacers, qui vivait en Californie. Il m’a dit : « Ça te dirait de faire un essai ? » À l’époque, mon frère David jouait déjà pour les Bucks. Je me suis rappelé ce qui s’était passé cinq ans auparavant et je me suis dit : « Eh bien, les gens m’ont dissuadé une fois. Je ne vais pas les laisser m’en dissuader une seconde fois ». Je pensais que c’était l’opportunité d’une vie. La décision n’a pas été facile à prendre, mais une fois la décision prise, je me suis dit que j’allais tout donner. »
Entre moqueries et machisme
Aux Etats-Unis, la nouvelle fait sourire, et la presse n’est pas tendre. Voici ce qu’un journaliste écrit dans le Washington Post : « Au cas où Ann n’y arriverait pas, les Pacers disent qu’elle restera dans l’équipe « à un certain poste », ce qui pourrait signifier, je suppose, qu’elle préparera les repas d’avant-match pour les vrais joueurs« .
Du côté des dirigeants adverses, on n’est pas plus tendre. Un exemple avec Sonny Werblin, le propriétaire des Knicks. « C’est complètement ridicule » écrit-il. « C’est une honte. Je ne pense pas que le commissionner devrait le tolérer. Je pense que c’est mauvais pour l’image du basket-ball professionnel. C’est une parodie ».
« C’était très difficile pour le coach, parce qu’il venait d’une génération où les femmes étaient à la maison pour élever une famille et non sur le terrain de basket avec une bande de garçons »
Même son de cloche chez Mike Bantom, interrogé par le New York Times au moment de l’annonce. À l’époque, il fait partie de l’effectif des Pacers, et il ne comprend pas la décision du propriétaire. « Tout cela a été fait à Los Angeles par notre propriétaire, et je ne vois pas comment cela pouvait nous être utile. Je pense que lorsque vous essayez de construire une équipe pour gagner, ce n’est pas une façon de convaincre nos fans que nous sommes sérieux dans nos objectifs ».
En 1979, le coach des Pacers est Slick Leonard, décédé en avril dernier, et c’est lui qui mène les entraînements avec cette invitée surprise au milieu de ses joueurs. « C’était très difficile pour Slick Leonard, le coach, parce qu’il venait d’une génération où les femmes étaient à la maison pour élever une famille et non sur le terrain de basket avec une bande de garçons » se souvient Ann Meyers. « Je suis sûr qu’il a été mis dans une position très difficile. Mais j’avais 24 ans et j’étais concentrée sur moi et rien d’autre, j’essayais de faire du mieux que je pouvais. »
La voilà pour trois jours sur le campus de Butler où les Pacers organisaient leur camp. Elle a trois jours pour convaincre avec deux entraînements par jour. Les premières séances sont compliquées à cause… des joueurs. Ils refusent de jouer physique, et un dirigeant réunit tous les joueurs et il leur demande de se comporter normalement, et de ne pas chercher à l’épargner. Elle ne fait pas partie du premier groupe de joueurs coupés, et elle y croit encore davantage. Mais la deuxième coupe lui sera fatale.
Pas seulement un coup marketing
« Ai-je eu droit à un traitement équitable ? » se demandait-elle il y a quelques années. « J’aurais aimé passer au tour suivant du camp des rookies free agents. J’ai suivi le processus de trois jours avec deux entraînements par jour. Nous avons donc eu six entraînements, puis on m’a laissé partir, même s’il s’agissait d’un contrat pour travailler au sein de la franchise. Quand Slick m’a dit : « Hé, tu as été super. Nous avons aimé que tu viennes ici, mais nous allons passer à autre chose », je n’étais pas heureuse. J’étais blessée, j’étais brisée. Je pensais que j’avais assez bien joué pour passer au niveau supérieur. Mais cela m’a ouvert tellement de portes, m’a donné l’occasion de rencontrer mon futur mari Don (Drysdale) et ma vie a changé. »
Coupée par les Pacers, Ann Meyers retourne en WBL dont elle était la meilleure joueuse, et elle reste aux Pacers pour commenter les matches. Star du basket féminin, elle dispute des rencontres amicales avec Magic Johnson, Wilt Chamberlain ou encore Julius Erving. Du haut de ses 1m77, elle prouve que son essai n’était pas qu’un coup marketing, et les plus grands joueurs la respectent et jouent avec elle. On la croise même dans une publicité avec toujours Magic Johnson.
« Je vais vous dire une chose : on avait invité une flopée de joueurs, et elle était meilleure que beaucoup d’entre eux » avait raconté Slick Leonard, l’ancien coach des Pacers, à l’origine de la fin de son rêve. « Je l’ai coupée comme n’importe quel autre joueur. Je n’étais pas bien à l’idée d’en couper. Je n’aimais pas ce moment. Mais elle avait fait du super boulot, et j’étais fier d’elle. »
Quarante ans plus tard, que reste-t-il de cette expérience ? Le sentiment d’avoir été une pionnière. « Lors de mes essais, je me souviens qu’un journaliste m’avait : ‘Vous êtes la Jackie Robinson du sport féminin' » dit-elle. « À l’époque, Billie Jean King (légende du tennis qui avait affronté des hommes) était encore là, et une telle comparaison était très flatteuse, mais je me disais la chose suivante : ‘Impossible que je sois Jackie Robinson !' »
« Quand les gens vous donnent une chance, pourquoi ne pas la saisir ? »
Quelques années plus tard, Ann Meyers se mariera à une star du baseball, ancien coéquipier de… Jackie Robinson, et elle sera bien plus qu’une pionnière.
Cette année-là, en 1979, elle devient la première femme à commenter des matches NBA. Consultante TV, elle était encore au micro en 2016 pour cette rencontre Pacers – Suns, la première commentée par deux femmes.
Comme dirigeante, elle a aussi montré la voie, et elle est encore aujourd’hui vice-présidente du Phoenix Mercury, après en avoir été GM. À 66 ans, elle espère avoir changé les mentalités et ouvert des portes. « Même si ça n’a pas tourné comme je l’aurais souhaité, faire partie des Pacers m’a ouvert tellement de portes », écrit-elle dans son autobiographie parue en 2012. « J’ai simplement eu une vie privilégiée grâce à une décision avec laquelle beaucoup de gens n’étaient pas d’accord, et qu’ils ne comprenaient pas. Quand les gens vous donnent une chance, pourquoi ne pas la saisir ? Cela peut ne pas marcher pour eux, ils peuvent penser que c’est mal, mais quelqu’un croit en vous, et c’est pour cette raison que je dis qu’il ne faut pas regarder en arrière dans sa vie et se dire ‘Et si ?' ».
Le mot de la fin pour Bill Russell, le légendaire pivot des Celtics. « Pour moi, Ann est l’un des plus grands basketteurs de l’histoire. Sans distinction d’homme ou femme ».
Article initialement publié en 2021