Eloigné des terrains de longs mois par une blessure au pied, l’arrière français a gardé le moral grâce au soutien indéfectible du franchise player des Mavericks.
Rodrigue Beaubois est un fan inconditionnel de Dirk Nowitzki. Il explique pourquoi.
MONDIAL BASKET : Rodrigue, tu es le partenaire de Dirk Nowitzki depuis bientôt deux ans. Ça crée des liens ?
Rodrigue BEAUBOIS : Oui, d’autant qu’on a passé un p’tit moment ensemble à l’infirmerie au mois de janvier… (Rires) Etant blessés, nous avions un programme à part. On pouvait se soutenir moralement. J’étais éloigné des terrains depuis l’été dernier. Dirk est souvent venu me voir pour me demander si je gardais le moral. Il m’a vraiment aidé pendant cette période. C’était la première fois que j’étais blessé aussi longtemps. J’ai vu la solidarité qui régnait dans l’équipe mais aussi dans l’esprit du franchise player. Ça t’aide à te battre dans ces moments un peu particuliers où tu n’es plus vraiment dans l’équipe. Tu peux facilement sombrer. Moralement, c’est une période très dure à vivre.
MB : Dirk est-il un coéquipier attentionné ?
R.B. : Absolument. C’est dans ces moments-là, où quelqu’un est en difficulté comme j’ai pu l’être, qu’on sent vraiment sa présence. Un petit mot, une tape sur l’épaule… Ce sont des gestes importants quand tu es dans le groupe sans être dans l’équipe puisque tu ne joues plus. Les médecins et les kinés du club font bien leur travail mais quand les messages de réconfort et de soutien viennent du franchise player, c’est plus fort. Il l’a fait pour moi comme il le ferait avec n’importe quel autre joueur de l’équipe. Je n’ai absolument aucun doute là-dessus. Dirk est un coéquipier en or.
MB : Tu te souviens de ta première rencontre avec lui ?
R.B. : Bien sûr. C’est le genre de moment que tu n’oublies pas quand tu débarques dans une équipe comme Dallas. Surtout avec un joueur aussi extraordinaire. C’était la veille du début du training camp, en septembre 2009. On passait la visite médicale. Dirk est venu me voir directement pour me souhaiter la bienvenue. J’étais à la limite de trembler en lui serrant la main… Pour moi, Nowitzki, c’était l’image du MVP de la NBA. C’est encore le cas aujourd’hui. Lors de cette première rencontre, j’étais franchement intimidé. Devant lui, je n’étais pas dans la peau d’un joueur des Mavericks mais plutôt dans celle d’un fan.
MB : Quand tu étais enfant en Guadeloupe ou plus tard à Cholet, Dirk Nowitzki était ton idole ou une star NBA parmi d’autres ?
R.B. : En Guadeloupe, j’étais un gamin qui regardais surtout Allen Iverson, Kobe Bryant et Kevin Garnett. Je me souviens de la finale Lakers-Pistons en 2004 (1-4). Je regardais les matches à la télé et mon cœur était partagé entre Kobe et les Pistons, que j’adorais à l’époque. Une fois à Cholet, j’ai beaucoup plus suivi les arrières parce que c’est le poste sur lequel je jouais. J’essayais de reproduire les mouvements des guards NBA après mes entraînements. Dirk Nowitzki représentait un autre monde pour moi. Un power forward capable de shooter dans toutes les positions, je trouvais cela effrayant. Jamais je n’aurais imaginé pouvoir jouer avec une star comme lui.
MB : Est-ce un joueur que tu côtoies en dehors des matches ?
R.B. : C’est un mec direct et très franc. Il m’a dit que je pouvais passer chez lui. Il n’y a aucun souci. Je n’ai pas osé le défier au tennis car il est plutôt bon. Il a un terrain dans sa propriété. Le jour où je devais faire une partie contre lui, j’ai été sauvé par les eaux : il pleuvait… On a des affinités, lui aussi joue de la guitare. Mon problème, c’est que je ne me suis pas remis à cet instrument. Là où je peux le défier, c’est aux jeux vidéo. A FIFA, il est catastrophique ! Ce n’est pas son truc, les video games… On le chambre là-dessus car ça joue pas mal dans l’équipe avec Jason (Terry), Shawn (Marion), Caron (Butler), Brendan (Haywood) et Jose (Barea).
MB : Quel est le trait de caractère dominant de Dirk ?
R.B. : Je dirais qu’il est un peu foufou. C’est quelqu’un de très communicatif, expansif dans le bon sens du terme. Il adore faire des blagues, amuser les autres. Il aime travailler dans la bonne humeur, mettre de l’ambiance. On sent qu’il prend plaisir à faire son job de basketteur professionnel. Il partage sa joie de vivre.
MB : Dans un mauvais jour, comment est-il ?
R.B. : On est avertis… Il nous dit : « Pas aujourd’hui, les gars » et il reste sérieux. Mais ce n’est pas arrivé très souvent.
MB : Est-ce quelqu’un de généreux ?
R.B. : Oui. Je l’ai vu faire des cadeaux aux gens du staff, par exemple. Je crois que sa force, c’est d’impliquer tout le monde dans la vie des Mavericks. Pas seulement les joueurs. Il aime bien organiser une soirée bowling de temps à autre. C’est lui qui prend tout en charge et il fait en sorte que chacun soit heureux d’être là. On sent que partager des bons moments est quelque chose de naturel chez lui. Il s’implique bien au-delà du jeu, de façon à ce que la franchise soit à son image. Ouverte sur les autres, cool et disponible comme lui-même peut l’être.
MB : A titre personnel, t’a-t-il fait des cadeaux ?
R.B. : Un jour, il m’a dit : « Tu peux passer quand tu veux chez un tailleur, je t’offre deux costumes ». C’était le cadeau fait au rookie en 2009. Mais je n’ai pas voulu qu’il paie. J’ai réglé l’addition. Son geste était quand même sympa.
MB : Est-ce lui, le leader par la voix dans le locker room ?
R.B. : Ce n’est pas forcément Dirk qui prend la parole au vestiaire. Il y a deux joueurs qui parlent beaucoup plus au locker room. Jason Kidd prend la parole pour recadrer l’équipe tactiquement et Tyson Chandler pour motiver et encourager le groupe. Sinon, c’est Jason Terry qui lance le cri quand on sort du vestiaire avant le tip-off.
MB : Dirk est-il intervenu auprès de toi pour te donner des conseils spécifiques ou t’aider dans un domaine précis ?
R.B. : Comme je suis d’abord en relation avec les arrières, c’est surtout Jason Kidd qui intervient auprès de moi mais bien sûr, Dirk m’a déjà conseillé dans le jeu et aussi hors du terrain. Il a tout fait pour que je ne connaisse aucun problème d’intégration. Ce n’est pas toujours facile pour un rookie d’organiser sa vie autour du basket, surtout dans une Ligue où on joue quasiment tous les deux jours. Dirk m’a fait profiter de son expérience. J’évite de me prendre la tête. Dès le départ, il a fait en sorte que je ne connaisse pas trop de soucis. Ça m’a aidé à réaliser une bonne saison rookie. Si j’ai réussi jusqu’ici, c’est grâce à lui.
MB : T’a-t-il déjà engueulé ?
R.B. : Je n’en ai pas le souvenir. Et puis ce n’est pas dans son tempérament de hurler sur quelqu’un. Quand il élève le ton, c’est pour encourager un gars, pas pour lui crier dessus. Je ne l’ai jamais vu en rage. Ce n’est pas sa nature.
MB : Si tu devais piquer un aspect de son jeu, lequel prendrais-tu ?
R.B. : Sans hésitation son shoot. Il est impressionnant. La défense est très difficile sur ce type de tir. Il monte très haut et surtout, il possède une rapidité qui fait que personne ne peut le contrer. En le regardant jouer, j’imagine le travail qu’il a dû réaliser pour mettre en place un shoot comme celui-là.
MB : Tu peux expliquer ?
R.B. : On sait que tous les grands shooteurs en NBA travaillent beaucoup. Ils passent des heures à prendre des tirs supplémentaires, après ou avant l’entraînement. Nowitzki a développé une méthode de travail avec son coach allemand très particulière. J’ai fait quelques séances avec lui et jamais je n’avais vu cela auparavant. Il travaille en même temps le mouvement des pieds, le dribble, le placement, l’extension, la mécanique de tir. Tous les fondamentaux du shooteur sont associés pour obtenir la combinaison parfaite. Il lance la balle devant lui, par exemple, exécute un tour sur lui-même sur un pied pour récupérer le ballon. La position l’entraîne dans ce qui peut paraître un déséquilibre mais pour lui, c’est une situation de jeu normale, une phase où il sera pressé par une défense. Et là, il prend le tir. C’est un travail incroyable ! Il effectue un paquet d’exercices très différents dans le même but : améliorer son pourcentage de réussite. Comme par magie, 24 heures après avoir suivi son entraînement spécifique, je réalisais un 4/5 à 3 points. Je devrais prendre des cours avec Dirk ! (Rires)
MB : Tu envies son quotidien de franchise player ?
R.B. : Pas spécialement même si chez lui, ça n’a pas l’air d’être une corvée ni une épreuve surhumaine. Il le fait parce qu’il prend du plaisir à donner aux autres. Ça ne me dérange pas de faire les NBA Cares, par exemple. On doit donner de notre temps aux autres, c’est normal.
MB : Nowitzki a-t-il une pression particulière à Dallas ?
R.B. : L’attente est importante, c’est évident. Il fait son job de franchise player. On a tous une confiance absolue en lui. C’est Dirk qui débloque les situations de jeu. Je crois que la saison dernière, c’était l’un des joueurs les plus prolifiques lors des quatrièmes quart-temps, là ou la majorité des matches se jouent*. La balle va naturellement dans ses mains dans les moments chauds. Il a une telle confiance en lui…
MB : T’a-t-il déjà bluffé ou dérouté ?
R.B. : J’ai presque envie de dire à chaque shoot qu’il prend tellement ça peut être écœurant… L’an dernier, je l’ai vu mettre 28 points dans un dernier quart-temps contre Utah alors qu’il n’était pas bien du tout dans le match. Il n’arrêtait pas de se parler à lui-même et il a rentré tous ses tirs à la fin. Contre San Antonio en début de saison, il avait planté 41 points. Quand tu connais la valeur de la défense des Spurs, tu te dis qu’il faut être sacrément costaud pour réaliser ce type de performance. En plus, c’est toujours des gros tirs où il y a prise à deux sur lui. Et il recommence à chaque fois… C’est une vraie machine !
MB : Quel est son plus grand défaut ?
R.B. : Dans le jeu, on dira la défense mais il le sait. Il fait des aides, il essaie de s’appliquer à défendre mais ça reste sa plus grosse lacune. Dans la vie, je ne vois pas trop. C’est quelqu’un qui mange beaucoup à table mais il n’y a aucune gourmandise là-dedans. Il fait d’ailleurs attention à ce qu’il mange. Il prend des repas équilibrés avec beaucoup de légumes. Pas de bière pendant la saison… Pour un Allemand, c’est terrible, non ? (Il rigole)
MB : Si tu devais changer une chose chez Dirk, ce serait quoi ?
R.B. : Son dressing room. En entier ! Mais il le sait. Pour un franchise player, ça ne le fait pas… Toute l’équipe le charrie là-dessus. Je crois qu’il s’en fout. Ça démontre aussi que ce n’est pas quelqu’un de superficiel.
* 8 points de moyenne dans les quatrièmes quart-temps en 2009-10 pour le n°1, LeBron James ; 6.9 pour Dirk Nowitzki, n°2. Il shootait à 45.1% dans les 12 dernières minutes.
Article paru dans le Mondial Basket numéro 202 (propos recueillis par Armel Le Bescon)