L’an passé, lors de la Sloan Sports Conference dédiée à l’impact croissant de l’analyse dans le sport, des chercheurs avaient présenté « Bhostgusters », un réseau neuronal capable de prévoir la position des défenseurs en temps réel, en fonction de l’historique défensive des équipes, lorsqu’on dessinait un schéma offensif sur une plaquette.
L’idée est le fruit d’une évolution de plusieurs années, puisque dès 2013, les Raptors avaient créé un algorithme qui comparait la position effective de leurs joueurs en phase défensive, par rapport à la position optimale.
Créer un environnement qui colle à la réalité
C’était alors un programme assez artisanal, qui demandait de rentrer beaucoup de données à la main, et donc chronophage et fastidieux. L’enjeu pour « Bhostgusters » était, via le « deep learning » (l’apprentissage profond) d’automatiser l’ensemble afin de produire un outil beaucoup plus simple à utiliser. Mais ce n’est qu’une première étape et comme on pouvait s’y attendre, le domaine est en plein développement, un peu partout dans le monde.
À Taïwan, Chieh-Yu Chen, Hsin-Ying Hsieh, Yu-Shuen Wang et Jung-Hong Chuang viennent ainsi de publier un article sur leur propre réseau neuronal, destiné lui aussi à prédire la réaction défensive d’une équipe de basket par rapport à un schéma offensif.
Repérée par le prestigieux magazine Science, la publication explique comment les chercheurs de l’Université Nationale Chiao Tung (surnommée « le MIT de l’Orient ») se sont ainsi servis des données publiques de STATS SportVU, qui enregistre les déplacements des joueurs en continu sur le terrain, pour entraîner leur réseau neuronal grâce à environ 120 000 possessions. Mais là où ils sont allés plus loin, c’est qu’ils ont tenté de modéliser des mouvements réalistes, pour les basketteurs mais aussi pour le ballon.
« Le problème » nous explique ainsi Jung-Hong Chuang « c’est qu’on travaille sur des données lissées, c’est-à-dire que ce sont en fait des moyennes. Les déplacements des joueurs et les mouvements du ballon sont donc toujours les mêmes ». Leur vitesse est ainsi constante, les accélérations ou ralentissements n’existent pas, tout comme les changements de direction lorsque le défenseur se retrouve sur le chemin. Pour tenter de créer environnement plus réaliste, les quatre chercheurs ont donc introduit des « fonctions objectif » pour coller au maximum au réel.
Celles-ci servent à prédire la faisabilité d’un système, à mesurer la distance entre le dribbleur et le ballon, à punir un défenseur qui s’éloignerait trop de son joueur, à s’assurer que les passes soient droites ou encore à contrôler l’accélération des attaquants, pour éviter des joueurs trop agressifs et donc des comportements absurdes.
« Le but est vraiment de créer un environnement cohérent, qui colle à la réalité » confirme Hsin-Ying Hsieh.
Pour tester la validité de leur méthode, les quatre chercheurs ont d’ailleurs fait appel à un panel, composé de 6 basketteurs professionnels, de 22 fans NBA et de 22 personnes « ordinaires » pas tellement intéressées par le basket. Ils leur ont alors montré les systèmes dessinés grâce à BasketballGAN, leur réseau neuronal, et des possessions réelles.
Les fans NBA et les personnes « ordinaires » ont alors eu beaucoup de mal à faire la différence, les basketteurs professionnels voyant eux encore les incohérences de la simulation informatique.
Deux systèmes qui s’affrontent pour trouver des approches inédites
Le travail de l’équipe est donc un nouveau pas en avant, même si les chercheurs admettent les limites de leur système. « Comme nos données ne sont pas spécifiques, les profils des attaquants et des défenseurs sont communs » nous explique Chieh-Yu Chen. « Il faudrait pouvoir avoir accès à plus de data pour pouvoir créer des profils différents selon les joueurs, mais c’est un de nos objectifs ». Pourquoi ne pas alors tenter d’implémenter leur système dans un jeu comme NBA 2K, qui attribue justement des spécificités techniques aux basketteurs, ce qui pourrait permettre de générer des attitudes uniques, en fonction des joueurs réellement sur le parquet ?
« C’est encore une question d’accès » continue Chieh-Yu Chen. « Pour l’instant, nous avons monté ce projet de façon indépendante mais nous espérons qu’en faisant connaître notre travail, des équipes NBA ou des entreprises comme NBA 2K puissent être intéressées. Sans doute qu’avec leurs moyens, notre système progresserait beaucoup plus vite, d’autant qu’à terme, la 3D est une piste qu’on voudrait explorer ». Mais ça prendra sûrement « encore des années », prévient-il.
Mais à l’Université Nationale Chiao Tung, on travaille déjà sur d’autres pistes. L’équipe de Yu-Shuen Wang entraîne actuellement deux réseaux neuronaux, l’un offensif et l’autre défensif, qui ont ingurgité les données NBA et jouent continuellement l’un contre l’autre. Pour l’instant, les chercheurs n’ont encore rien publié car les « résultats sont moyens », explique Jung-Hong Chuang, « cela donne des résultats cohérents mais rien de vraiment nouveau ».
À terme, l’équipe espère que les deux systèmes seront de plus en plus réalistes, et proposeront des approches offensives et défensives « jamais vues ». Peut-être que le prochain Don Nelson viendra donc de Taïwan…
Merci à Maxime Maillot pour son aide technique