Composée à la fois d’amateurs et de professionnels, la Drew League anime chaque été l’intersaison avec ses joutes verbales, ses gros cartons et la venue de superstars de la grande ligue : James Harden, Chris Paul, DeMar DeRozan ou Rudy Gay. Un terrain de jeu dont Franklin Session est le roi incontesté, et où cet inconnu du grand public met régulièrement en difficulté les joueurs NBA de passage.
Il y porte son « nom de scène », Frank Nitty, du nom d’un célèbre gangster ami et homme de main d’Al Capone – interprété notamment par Billy Drago au cinéma dans le film « Les Incorruptibles ». « Si vous avez déjà vu mes highlights, je parle beaucoup et je suis un ‘exécuteur’ sur le terrain (‘enforcer’ en anglais, le surnom du ‘vrai’ Nitti, ndlr). Je ne laisse personne faire sa loi. Frank Nitti était un gangster américain et des gars de L.A. m’ont donné ce surnom en grandissant. Il collait parfaitement à ma façon de jouer, donc je l’ai gardé. »
Concrètement, le meneur de jeu est une peste sur le terrain, énervant au possible car il ne cesse de parler et qu’il assume ce trashtalking en enchaînant les paniers avec un talent certain. L’archétype du joueur de streetball auquel le basket professionnel est allergique.
« La plupart des gens veulent des basketteurs qui se taisent et jouent, mais d’où je viens, les gens font du trashtalking, ça fait partie du jeu » souligne-t-il. « Et ça m’aide à mieux jouer. Mais parfois j’aurais dû baisser d’un ton et être plus professionnel. »
Coéquipier de Damian Lillard
Quelques années après s’être mis sérieusement au basket – grâce à un entraîneur qui avait remarqué son potentiel physique en le voyant faire du skateboard – le gamin de Watts avait quand même réussi à intégrer le circuit universitaire, faisant équipe avec Damian Lillard à Weber State. Une expérience qui fut écourtée à cause de problèmes de comportement.
« Frank a toujours été un vrai basketteur » souligne son entraîneur de l’époque Randy Rahe dans les colonnes du Deseret News. « Il avait un passé compliqué, donc on a essayé de l’aider au niveau de la discipline et des responsabilités, mais il a eu du mal à s’ajuster à ça » résume-t-il sans vouloir entrer dans les détails de son exclusion, après une saison pourtant réussie sur le plan statistique (10.2 points et 5.8 rebonds). « Il était bon, il était très, très talentueux et quand il ne fallait que jouer, sans réfléchir, il était dur à défendre. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche en NCAA, donc l’expérience n’a duré qu’un an. »
Le principal intéressé ne le contredira pas : « J’ai tout adoré, je voulais continuer mais mon état d’esprit n’était pas le bon à ce moment-là » avoue-t-il. « J’étais jeune et immature. Je ne crois pas que j’étais prêt à assumer un vrai rôle de basketteur. »
Damian Lillard estime encore qu’il est le meilleur joueur n’évoluant pas en NBA avec qui il ait fait équipe. Mais Franklin Session est alors transféré, puis drafté en G-League en 2011, où il ne joue que deux matchs à cause d’une blessure à la main. Il choisit alors de passer dans le civil et devient gérant d’une boutique de téléphonie mobile pour subvenir aux besoins de sa petite famille.
Des téléphones à la BIG3 en passant par le Canada et le Qatar
Il continue tout de même d’écumer les terrains, notamment ceux de la Drew League, chez lui dans le sud de Los Angeles. « Quand j’ai appris qu’il débarquait en Drew League, je me suis dit que c’était vraiment sa place » se souvient son coach de fac, qui le classe encore parmi les dix meilleurs joueurs passés sous ses ordres.
Co-MVP de la compétition en 2016, il tape dans l’oeil du rappeur « The Game », qui construit une équipe autour de lui l’année suivante. « Il a vu quelque chose en moi que je ne connaissais pas moi-même » confiait Nitty chez The Undefeated l’an passé. « Je n’ai jamais pensé être le genre de joueur autour de qui on monte une équipe. Mais il m’a dit : ‘Si tu es dans mon équipe, je gagnerai tous les matchs’. »
La formation remporte effectivement la ligue et il est de nouveau élu MVP. De quoi recevoir quelques offres, et laisser tomber le magasin de chaussures pour lequel il travaille désormais afin d’aller jouer un an au fin fond du Canada. Avant de revenir en Drew League remporter une troisième fois le trophée de MVP en 2018, en ridiculisant au passage le pauvre Denzel Valentine. Nitty s’est déjà payé Ron Artest, Nate Robinson ou Gilbert Arenas, mais cette performance face au joueur des Bulls fut l’une des plus « Nittiesque » : du trashtalking, un Denzel Valentine qui répond, mais qui finalement en prend 44 sur le nez en marquant seulement 9 points.
Parti jouer au Qatar l’an passé – dans une équipe où a joué l’ancien NBAer Marcus Banks – il a eu la bonne surprise de recevoir un coup de fil de Stephen Jackson cet hiver, lui proposant de participer à la BIG3. Encore un autre type de basket, mais toujours les mêmes qualités de scoreur : 12 points marqués pour son premier match, puis 17, mais aussi une sortie à 2 points.
Sauf qu’entre deux matchs, il retrouve sa Drew League, et continue d’y enchaîner les feux d’artifices : il y a quelques jours, il a planté 60 points, avant d’en marquer 41 contre une équipe composée notamment de Brandon Jennings, Stanley Johnson et Shareef O’Neal. Encore quelque lignes de plus sur un CV qui ne ressemble à aucun autre, mais qui fait de lui un héros angeleno.
Crédit photo : franknittyy/Instagram