Les J.O. de Rio commencent aujourd’hui et sur Basket USA, évidemment, nous suivrons plus particulièrement le tournoi de basket. Entre deux matches des Etats-Unis et de la France, sur la plage, vous avez le temps de vous plonger dans la lecture du « Dream Team » de Jack McCallum, le livre de référence sur la plus grande équipe de basket de tous les temps.
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Envie de savoir ce qui vous attend sous la plume du grand reporter de « Sports Illustrated » qui avait suivi les aventures de « MJ », Barkley, Magic, Bird and co à Barcelone en 1992 ? Voici un extrait.
Quand une fourchette devient une relique sainte
« Le matin du 7 mai 1989, je me suis rendu à un petit-déjeuner dans un hôtel de la banlieue de Cleveland, celui où résidaient les Chicago Bulls pour la série des demi-finales de la Conférence Est contre les Cleveland Cavaliers. Le Match 5 décisif avait lieu dans l’après-midi.
À ce petit-déjeuner, j’ai bavardé avec le coach, Doug Collins, et ses assistants, Johnny Bach et Tex Winter, qui ont tous deux raconté plus d’histoires que pouvait en connaître Shéhérazade, et j’ai même relevé un ou deux commentaires de Jordan. Cette sorte de réunion improvisée se rencontre rarement de nos jours où les journalistes mangent sur le pouce aux comptoirs, où on se fait ses propres sandwiches tandis que les joueurs dînent ensemble dans des pièces privées. Mais les Bulls étaient une équipe jeune dans ces années-là – Michael Jordan, Scottie Pippen, Horace Grant – et ils se faisaient leurs propres sandwiches.
Jordan était dans sa cinquième saison, attelé à cette lourde tâche qu’est la quête d’une bague de champion. Il n’avait pas d’équivalent en tant que joueur. Cependant, il était encore en butte à une certaine résistance. Etait-il un « gagneur », comme Bird et Magic ? Il était devenu le visage personnifiée de la NBA, paraissant si confortablement installé sous le feu des projecteurs que peu de personnes se souvenaient qu’il avait été un gamin complètement inhibé par la timidité et qui, en 1985, pouvait à peine articuler le texte de son premier spot publicitaire pour McDonald’s.
À ce moment-là, Jordan avait certes été cordial avec moi mais il n’avait pas semblé m’apprécier outre mesure. Environ sept semaines plus tôt, j’étais venu à Chicago pour rédiger un article sur Jordan et il m’avait invité dans sa villa de banlieue pour passer un moment avec lui et ses amis. Un des aspects touchants de la vie de Jordan était combien il était resté proche des potes de son enfance, dont Adolph Shiver, Fred Whitfield et Fred Kearns.
C’était une variation du syndrome « chef de bande » qui attire très souvent des ennuis aux athlètes stars. Certains athlètes ne peuvent pas ou ne veulent pas s’émanciper de leur passé et finissent par donner beaucoup trop d’argent et beaucoup trop de pouvoir à des gars qui ne devraient pas se trouver dans leur entourage. Mais le cercle de Jordan était constitué de bons gars et de citoyens responsables. Un peu comme dans la série TV « Entourage » mais avec un style afro-américain, sans le Cristal et la coke (Whitfield est aujourd’hui président des Charlotte Hornets, la franchise dont Jordan est propriétaire).
À la fin de l’après-midi, une jeune femme, Juanita Vanoy – qui est devenue plus tard Madame Michael Jordan puis la très riche ex-Madame Jordan après avoir touché environ 168 millions de dollars du jugement de son divorce – a descendu les escaliers, un bébé dans les bras. Ça m’a complètement déconcerté car je n’avais jamais entendu dire que Jordan était papa ; et nous avons passé la demi-heure suivante à babiller autour du bambin.
Plus tard dans la soirée, pendant le match au Chicago Stadium, Tim Hallam, le chargé de communication des Bulls, s’est approché et m’a dit : « Tu sais, Michael ne souhaite pas que tu écrives qu’il a un fils. » Tim faisait seulement son travail.
« Mais Tim, je l’ai vu, ce bébé, lui répondis-je. On a parlé de couches et de trucs comme ça. Il ne m’a rien dit sur le fait de ne pas en parler.
– Eh bien, il m’a dit de te dire ça. Plusieurs autres gars le savent et n’ont rien écrit là-dessus. »
Pour moi, c’était un dilemme journalistique, pas un cas de conscience. La liste des êtres humains qui ont eu des enfants hors mariage est assez longue et comporte des amis et des parents. Quelle importance ? Je ne voyais pas pourquoi je devais cacher le fait que Jordan avait un bébé – qu’est-ce qu’il allait faire ? Enfermer Jeffrey Michael dans un placard ? -, donc j’en ai parlé dans mon article de la semaine, au dernier paragraphe.
J’ai été critiqué à Chicago, à la fois pour l’avoir caché et pour l’avoir écrit. Et Jordan fit savoir qu’il était furieux. Mais c’était une autre époque, où la détente entre le journaliste et le sujet était possible, et il a laissé tombé.
Quoi qu’il en soit, au petit-déjeuner ce matin-là à Cleveland, après le départ des Bulls, un adolescent s’est approché furtivement de la table et s’est emparé d’un couvert.
« Regarde ! cria-t-il. La fourchette de Michael Jordan ! Michael Jordan a mangé avec cette fourchette ! » Il la fourra dans sa poche et sortit du restaurant.
Je repense à cette fourchette de temps en temps. Est-ce qu’il l’a toujours, dans une collection, quelque part ? Est-elle en vente sur eBay ? Dans un cadre en verre dans le cabinet de son avocat ?
Quand vous étiez dans l’entourage de Jordan, votre article s’écrivait de lui-même la plupart du temps. Lors d’une visite à Chicago un an plus tôt, j’attendais Jordan après l’entraînement. Il m’a demandé de sauter dans sa voiture car il voulait esquiver les chasseurs d’autographes.
Alors que nous roulions sur le parking d’un centre commercial dans sa Porsche 911 Turbo, deux voitures lui ont coupé la route, le forçant à freiner. Un homme a sauté d’une des voitures en tenant un survêtement sur lequel il avait fixé le logo Air Jordan, tandis que deux demandeurs d’autographe se sont extraits de l’autre. Jordan a apposé docilement son nom sur les articles qu’on lui tendait et a pris la carte du gars avec le survêtement. Tout ce remue-ménage était du pain béni pour un journaliste.
Quant à la fourchette, eh bien, c’est devenu un collector après que Jordan en eut planté une métaphorique chez les Cavaliers. C’était le jour où il réussit un tir impossible à double détente (ses 43e et 44e points du match), avec le défenseur des Cavaliers Craig Ehlo, qui mesurait 2,00 m, accroché à ses basques. Ce panier donna aux Bulls une victoire spectaculaire 101-100 qui clôtura la série en leur faveur. Le moment que je préfère dans cette action, que vous avez vue des milliers de fois, c’est quand Ehlo envoie ses mains en l’air en désespoir de cause, comme pour dire : « C’est pas juste ! » Et ça ne l’était pas.
Avant que les Bulls quittent leur regroupement tactique, Jordan avait glissé à son coéquipier Craig Hodges : « Je m’en charge. » Les Bulls utilisaient souvent ce que Bach appelait « l’attaque de l’archange », définie par l’assistant comme « donner la balle à Michael et dire : “Sauve-nous, Michael.” » Après le match, Doug Collins, qui avait l’air plus épuisé que Jordan, dit ceci à propos de cette action : « C’était “On donne la balle à Michael et tout le monde fout le camp de là.” »
Jordan éclata de rire mais il eut l’air embarrassé que Collins ait utilisé le mot « foutre ». En fait, à l’époque, dans la conversation courante, Jordan disait des choses comme « Va te faire… » et « Ce c.o.n. ». Il portait en lui une certaine innocence et j’ai toujours pensé qu’il ne pourrait jamais se sentir mieux qu’en cet instant à Cleveland, quand sa gloire se dessinait, son avenir brillait sans nuages et ses couverts étaient des objets sacrés. »
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