A l’occasion des 20 ans du titre de champion d’Europe du CSP, voici le n°1 de « LIMOGES BASKET ». Au menu de ce 56 pages 100% limougeaud, des interviews de Frédéric Forte, Richard Dacoury et Jim Bilba, le portrait de tous les héros (Franck Butter, Marc M’Bahia, Bozidar Maljkovic, Willie Redden, Jimmy Vérove, Michael Young, Jurij Zdovc…), les souvenirs de George Eddy et Jacques Monclar, ceux des supporters du CSP, ceux de « Mondial Basket » et un poster. Un numéro souvenir à ne pas louper ! Pour le commander, écrire à : redaction@starstory.fr
Voici un extrait de l’interview du président Frédéric Forte.
LIMOGES BASKET : On a tout dit de Bozidar Maljkovic et de ses entraînements. Etait-il encore plus dur et autoritaire que ce que l’on peut imaginer ?
Frédéric FORTE : Avec lui, on a tous connu des moments physiquement insupportables. On a parlé de sa science du jeu. C’est une réalité, il connaissait parfaitement le basket et pensait à tout. Tout était calé avant le match, on savait exactement ce qui allait se passer. Mais il faut bien comprendre que ça, c’était le bout de la chaîne. Avant, il y avait un travail psychologique, « Boja » rentrait dans nos têtes. Et il nous faisait mal. Ils nous obligeait à nous montrer résistants, à supporter la pression. Il répétait que les entraînements étaient plus durs que les matches et c’était vrai. Physiquement, ces entraînements étaient atroces. « Maljko » avait une telle dureté physique et verbale envers nous… La compétition à côté, c’était quasiment une partie de plaisir. J’exagère un peu, car il y avait des matches de très haut niveau, mais on était préparés à tout ça. La veille de la demi-finale et de la finale, on a fait du physique pendant 20 minutes. On courait partout, on était claqués. On se disait : « On joue demain, il ne peut pas tirer sur la corde, on doit garder du jus ». A la fin, il nous a réunis au milieu du terrain et nous a dit : « Au moins, ce soir, vous allez bien dormir, contrairement aux autres équipes ». On était tellement crevés qu’on a regagné nos chambres. On a fait une vraie nuit avant la demi-finale et avant la finale. Ce qui n’arrive jamais à personne. Habituellement, tous les compétiteurs cogitent en pensant au rendez-vous crucial du lendemain. Avec « Boja », c’était facile : on avait pioncé ! On était fatigués mais on avait bien dormi.
Maljkovic n’a jamais rien laissé au hasard…
F.F. : Quand on ne laisse rien au hasard, ça laisse parfois des traces. Il ne faut pas se leurrer, il y a eu des moments un peu difficiles, compliqués. Il nous poussait tellement loin dans nos retranchements que l’on finissait par craquer. Quand on craquait, soit on réagissait, soit on plongeait. Il mettait la barre très haut. Même quand on voulait réagir, elle restait difficile à atteindre. Là, le groupe était obligé d’aller chercher celui qui flanchait. On se disait : « Aujourd’hui, c’est lui qui flanche mais demain, ce sera peut-être moi. Si je l’abandonne aujourd’hui, il m’abandonnera demain. » Pote ou pas pote. Dans l’équipe, on n’était pas tous amis. Mais sur le terrain, on ne faisait plus qu’un. Personne n’avait le droit de s’attaquer à l’un de nos joueurs. Si l’un de nous se retrouvait en difficulté, toute l’équipe faisait corps. C’est aussi là que Maljkovic a construit notre victoire.
En tant que meneur et donc relais du coach sur le terrain, vous n’aviez pas une relation un peu plus privilégiée avec lui ?
F.F. : Elle était tellement privilégiée que Jure (Zdovc) et moi avions encore moins le droit à l’erreur ! Ce n’était pas possible puisqu’on était, justement, son relais. Il nous a dit plusieurs fois : « Untel ne peut pas comprendre. Toi, tu es meneur. Tu dois comprendre pour deux. » On n’avait aucune marge de manœuvre. Je me souviens d’un entraînement en début de saison. On commence à faire les exercices. Je perds un ballon ou deux, il arrête l’entraînement et me dit : « Quand on est meneur de jeu, on ne perd pas le ballon. Tu as le droit de perdre un autre ballon sur toute la semaine. » Tout le monde rigolait. Au deuxième ballon perdu, tout le monde a été puni. Mes coéquipiers m’ont dit : « Ce n’est pas grave ». Au bout d’un moment, après plusieurs ballons perdus, ils ont commencé à me dire : « Bon, tu arrêtes de perdre des ballons parce qu’on en a marre de courir… » (Rires) Tu as la pression du coach, tu as la pression des autres joueurs, tu apprends à faire des semaines sans perdre une balle. Et là, on parle d’entraînements avec des fautes non sifflées, où l’on se fait arracher les mains, avec le meilleur défenseur de l’équipe – Zdvoc – en face… On prend cher mais à force, l’exigence est la norme. Et le pire, c’est que ça devient une drogue. C’est là où Maljkovic a été très fort. On s’est habitués à des doses de travail exceptionnelles et à l’arrivée, on en avait besoin. La deuxième et la troisième année, il demandait des entraînements en plus. Et on était malades. « Boja » a réussi à pousser sa logique jusqu’au bout.
Les héros de 1993 vus par le président
Richard DACOURY
« On s’est fréquenté sept ans, en équipe de France et à Limoges. On faisait chambre commune. Les anecdotes avec Richard, j’en ai des centaines. C’était un garçon charmant, charismatique. Il pouvait porter une équipe, c’était un vrai capitaine. Les mecs comme lui, ça n’existe plus dans le sport. Ce n’était pas qu’un joueur, c’était une personnalité. Il rentrait dans une salle et la calmait par sa seule présence. J’ai rarement vu ça. Il savait très bien masquer ses lacunes et il était toujours là. Sans lui, on ne passe pas contre Madrid. Je suis le parrain de l’une de ses filles. J’ai une histoire très particulière avec Richard, presque une histoire d’amour. »
Michael YOUNG
« Un attaquant hors pair. Les joueurs d’exception ont très souvent un caractère d’exception. Pas forcément pour le meilleur… Je n’ai jamais vu un joueur comme Michael. Sur le terrain, c’était un tueur. En dehors, on ne pouvait pas trouver un garçon plus gentil, agréable et sain que lui. C’était un démon sur le parquet et un ange en dehors. On ne le reconnaissait plus. Cette ambivalence était assez ahurissante. On l’appelait « L’assassin silencieux », ce n’était pas pour rien. Il ne refusait pas les shoots difficiles et il n’avait peur de personne. Je l’ai contacté pour les 20 ans du titre, ça faisait 4-5 ans que je ne l’avais pas eu. Je lui ai demandé s’il pouvait venir, il a tout de suite sauté au plafond. « Ne t’inquiète pas, je pose mes vacances, il est hors de question que je loupe ça ! » C’est tout Michael, ça. »
Jurij ZDVOC
« J’ai dû me le coltiner un an tous les jours à l’entraînement… Toni Kukoc disait que dans l’équipe de Yougoslavie, ils pouvaient se passer de tout le monde sauf de Jure. Et dans cette équipe, il y avait Dino Radja, Zarko Paspalj, etc. A Limoges, c’était pareil, on pouvait se passer de tout le monde sauf de Jure. Pierre angulaire, clé de voûte du système. Un défenseur hors pair. Quand vous l’avez tous les jours sur le dos, c’est compliqué ! Un mec droit, sérieux, bosseur, avec une exigence élevée. Ce qu’il savait, il avait envie de le transmettre et de le partager, il n’avait pas envie de le garder pour lui. Ça, c’est l’école yougoslave. C’était la même chose avec le coach. Quand je l’ai vu arriver à 23 ans, je me suis dit : « Wow, ça va être chaud pour toi »… Tu es le meneur de l’équipe de France et tu vois débouler le meilleur meneur d’Europe, l’un des cinq meilleurs du monde. Il m’a aidé à grandir. En un an, j’ai appris comme jamais. »
Willie REDDEN
« Un grand joueur par la taille et le talent. Il choisissait ses matches – il était bon un match sur deux – mais il était toujours bon sur les grands. Les rencontres faciles, ça ne l’intéressait pas… Quand on affrontait le dernier du championnat, il ne fallait pas compter sur Willie. On pouvait le laisser 40 minutes sur le parquet, tout le monde lui dunkait dessus, tout le monde courait plus vite que lui, tout le monde faisait trois tours en dribble autour de lui… Ça ne le réveillait pas, il n’avait pas envie. Mais pour tous les matches importants sans exception, il répondait présent. Pour réussir ça, il faut quand même maîtriser son art ! En demi-finales, il a arrêté Arvydas Sabonis. Il l’avait déjà dominé avec l’ASVEL en 1985 en Coupe des Coupes, alors que Sabonis jouait à Kaunas. »
Jim BILBA
« Un parcours étonnant. Quand on le voit arriver en début de saison, c’est le jeune qui monte avec un potentiel énorme, malgré son 1,98 m et encore. Aux lancers francs, il touchait à peine le cercle. A la fin de la saison, c’était l’un des meilleurs shooteurs à 3 points… Une grosse force de travail, un défenseur hors pair, un jumpeur, un timing fabuleux, un gars super gentil et charismatique dans le vestiaire. Sur le terrain, il comprenait tout. On lui montrait une chose une fois, ça suffisait. Il a compris, en arrivant, que son jeu devait évoluer. Il avait rejoint le CSP grâce à son niveau de l’époque mais ça ne pouvait pas suffire pour franchir les étapes suivantes. Il a su évoluer jusqu’au dernier jour de sa carrière. Sur cette année-là, il a formidablement progressé. Il a commencé par avoir un shoot extérieur puis un shoot à 3 points, etc. C’était un guerrier hors normes. Avec des gars comme Marc M’Bahia et lui, on pouvait partir à la guerre. On n’avait pas besoin de se retourner pour savoir s’ils étaient là. Mais le groupe avait été construit comme ça. C’était facile. On sentait cette présence rassurante. »
Jimmy VEROVE
« C’était le chien fou. Il courait partout, tout le temps… C’était insupportable ! A l’entraînement, en préparation, on n’en pouvait plus, on était rincés, le coach nous avait pliés et lui, il était frais, il n’avait même pas une goutte de sueur. Il nous regardait et nous disait : « On fait encore un tour ? » Sur le terrain, il était là pour épuiser les meilleurs joueurs adverses. Offensivement, il était un peu en retrait par rapport aux autres mais en défense, il donnait 100% de ce qu’il avait. Il commençait tous les matches dans le cinq majeur et il prenait le meilleur joueur d’en face. Les Sasha Danilovic et compagnie, il les marquait à la culotte. Il les énervait. Les mecs couraient partout, se servaient des écrans et quand ils se retournaient, Jimmy était toujours là, à leurs trousses. C’était comme leur ombre. Pour eux, ça devenait insupportable. Jimmy avait parfaitement sa place dans cette équipe, il a été déterminant sur certains matches. Un poumon extraordinaire. »
Franck BUTTER
« Il a été très important durant le Final Four, sur la demi-finale et surtout sur la finale. A la base, il avait un rôle un peu plus discret, il arrivait comme quatrième intérieur. Mais la force de cette équipe, c’est que le quatrième intérieur pouvait rentrer et se montrer déterminant, comme le troisième ailier ou le deuxième meneur. Il y avait un cinq majeur incontournable mais les remplaçants ont presque fait gagner plus de matches que les titulaires. La finale, on la joue quasiment sans Richard (Dacoury). Il a des fautes et il est sur le banc. Jouer ce match sans lui, c’était juste inconcevable. Tout le monde était important dans ce groupe. »
Marc M’BAHIA
« Comme Jim, il est arrivé et il ne pouvait pas shooter. Sauf que lui, il ne pouvait toujours pas shooter un an, deux ans ou 10 ans après… (Rires) Il s’est spécialisé dans le registre du role player avec de la défense, du rebond, de la dureté. Il défendait sur trois joueurs à la fois. On a besoin de gars comme ça, on ne peut pas avoir que des Michael Young dans une équipe. Il faut des role players spécifiques, des garçons qui n’ont pas la prétention de vouloir autre chose que ce pour quoi ils ont été choisis. Marc avait cette humilité et il pouvait jouer dans n’importe quelle équipe au monde. Prenez Dennis Rodman. Il ne pouvait pas shooter à 1,50 m du cercle, il ne pouvait pas dribbler mais tout le monde le voulait pour sa science du rebond. Il savait faire une chose et il se cantonnait dans ce registre. Ça, c’était exactement Marc. »
Jean-Marc DUPRAZ et Christophe BOTTON
« Christophe aurait dû être le dixième homme de la finale. Il y a eu un incident dans le vestiaire avec le kiné une dizaine de jours avant. Le coach lui a dit : « Si tu ne veux pas te mettre au service de l’équipe, c’est le 11e qui va devenir 10e ». Voilà comment Dupraz se retrouve champion d’Europe alors qu’il était en balance pour le Final Four. Il faut apprendre l’humilité, même quand tu joues dans la meilleure équipe d’Europe. « Boja » nous disait toujours : « A Split, Kukoc était le plus jeune. Donc, il portait les sacs, même si c’était le meilleur joueur de l’équipe. » Ça fait partie de l’éducation qu’on doit avoir. Si tu ne comprends pas ça, tu ne mérites pas de faire partie de l’équipe. Ça, aujourd’hui, on n’est plus capable de le faire alors que c’est la base même de la réussite d’un groupe. »