Kobe Bryant a enfin gagné seul. Sans Shaquille O’Neal qui lui avait fait de l’ombre en 2000, 2001 et 2002. LeBron James a peut-être été le boss de la saison régulière 2008-09, « KB24 » est bien le maître absolu de la Ligue. « Black Mamba » a tout donné depuis 2004 pour ramener Los Angeles au sommet de la pyramide. Cette quatrième bague de champion fut celle de la maturité. Même si le personnage conservera toujours une part d’ombre…
Shaquille O’Neal est un grand fan de Twitter. Bon prince, le « Diesel » a laissé un petit message de félicitations à Kobe Bryant, l’ennemi juré d’hier, après l’obtention du titre NBA 2009 par les Lakers. Le nouveau pivot de Cleveland avait d’ailleurs fait savoir que « Black Mamba » avait ses faveurs.
« Félicitations, Kobe, tu le mérites. Tu as très bien joué. Profite, mec, profite. Et je sais ce que tu te dis en ce moment : « Shaq, quel goût a mon c… ? » »
Cinq ans après le départ du « Big Aristotle », sept ans après leur dernier sacre, les Lakers ont retrouvé le sommet de l’Olympe. Et personne ne peut contester qu’il s’agit d’une victoire personnelle pour M. Kobe Bean Bryant. Pas même Paul Pierce qui préférait ironiser sur l’opposition, sur Twitter toujours :
« Lakers contre Orlando, ça ressemblait à un berger allemand contre un caniche… C’est bon, les rottweilers des Celtics seront de retour en 2010. »
Pas même Dwyane Wade qui s’est prosterné devant la statue du Commandeur :
« Kobe est le meilleur basketteur actuel. Il joue depuis plus longtemps que LeBron James ou moi. Aussi, il est plus expérimenté et intelligent dans le jeu. Mais le plus grand reste Michael Jordan. »
Triomphant, Kobe est allé souffler à Disneyworld cet été avec ses filles Natalia Diamante (6 ans) et Gianna (3 ans), sans avoir à s’expliquer sur les raisons d’un échec comme ce fut encore le cas il y a deux étés. Bon, on imagine mal l’arrière des Lakers et sa femme Vanessa, entourés d’une horde de bodyguards, hélés par n’importe quel mickey et devant se justifier après la défaite face à Boston mais passons… Aujourd’hui, le n°24 n’a plus rien à prouver.
Boston avait seulement repoussé l’échéance
Avant sa sixième Finale NBA, il lui restait à convaincre l’opinion de sa capacité à gagner seul, tel le maître absolu d’une équipe qu’il a façonnée et encadrée depuis 2004, au lendemain d’un échec cuisant contre Detroit (4-1). Au lendemain, aussi, du transfert du joueur – Shaq – qui s’était couvert de gloire un peu à ses dépens. On se souvient encore du coup de sang de Bryant en juin 2007 quand, sur un coup de folie, il traversa l’Atlantique pour aller rencontrer Jerry Buss, le big boss, à Barcelone et réclamer du renfort, sous peine de mettre les voiles. Un coup de pression sans effet sur le moment. Buss avait cédé à Kobe durant l’été 2004 en lui donnant les clés de la maison pourpre et or avec un matelas de billets verts confortable (avait-il seulement le choix compte tenu des prétentions salariales du Shaq qui réclamait 30 M$ par an ?). Pas question de céder une seconde fois. Aussi l’hypothèse d’un transfert qui paraissait jusqu’alors insensé prit-elle de l’épaisseur. On parla beaucoup de New York, encore plus de Chicago. Jerry Buss alla jusqu’à indiquer la porte de sortie à Kobe lors du training camp qui suivit. Bryant ravala sa rancœur en astiquant ses trophées individuels. Deux titres de meilleur scoreur de la Ligue (2006 et 07), insuffisants pour étancher sa soif de reconnaissance et surtout calmer sa boulimie de titres. Si le garçon s’est officiellement calmé en s’en prenant au proprio, il continue d’agiter le chiffon rouge en coulisses, en envoyant des messages codés à Mitch Kupchak, le GM. Vidéo à l’appui, le triple champion NBA qualifie certains de ses partenaires, parmi lesquels Kwame Brown et Andrew Bynum, de joueurs inutiles… L’éclosion du deuxième lui donne tort. Et Kupchak lui cloue le bec en échangeant le premier contre Pau Gasol l’hiver suivant. Un cadeau tombé du ciel. La première pierre du 15e titre NBA de l’histoire de la franchise. Plus rien ne pourra stopper l’irrésistible ascension de la « Kobe team ». C’est écrit. L’an passé, Boston n’avait fait que repousser l’échéance.
« Black Mamba » a-t-il réellement changé ?
Couronné pour la quatrième fois en 13 ans de carrière, Kobe Bryant a-t-il réellement changé ? Est-il devenu un leader respectueux et respecté, un franchise player confiant en ses coéquipiers et altruiste comme les spécialistes du basket du monde entier n’ont cessé de le clamer depuis une saison ? Le débat a fait rage au lendemain de la Finale. Bill Simmons, un insider d’ESPN, s’est montré très critique au sujet de cette supposée métamorphose, relevant que les stats de « Black Mamba » sur les playoffs 2009 étaient assez similaires à celles de la campagne 2008*. Mieux entouré, Bryant a quand même pris plus de tirs (23 en moyenne contre 22 l’an passé). Et si son Game 1 et le début de son Game 3 furent étincelants, Kobe a loupé 31 tirs sur 46 entre le deuxième quart-temps du Match 3 et la prolongation du Match 4, continuant de forcer ses tirs au détriment du collectif… A méditer. On ne change pas un homme à 30 ans.
Kobe Bryant n’a jamais été un tendre et il ne l’est pas plus aujourd’hui avec une quatrième bague de champion. Onze convocations au All-Star Game, un titre de MVP de la Ligue, un titre de MVP des Finales, onze sélections dans une All-NBA Team et neuf sélections dans une All-NBA Defensive team n’y changent rien : l’homme n’est pas plus sympathique aux yeux de l’opinion publique… Personne ne conteste qu’il ait gagné seul, en assurant le leadership des Lakers. Qu’il ait sa place parmi les dix ou douze meilleurs joueurs de l’histoire de ce sport**. Mais Bryant continue d’inspirer la défiance. Les fans et les médias à travers le monde entier jouent la surenchère avec la question qui tue : « Kobe Bryant peut-il être maintenant comparé à Michael Jordan » ? Le quotidien « USA Today » a apporté un début de réponse 48 heures après la Finale NBA. Pour 44% des votants, Jordan est encore sur une autre planète. Pour 22%, Bryant est en route pour l’y rejoindre. Il y aura toujours matière à discuter.
Jerry West : « LeBron est aimé de ses coéquipiers, Kobe pas forcément… »
A moins que LeBron James ne vienne mettre tout le monde d’accord. La dernière sortie du « King », après la finale de Conférence perdue contre Orlando (2-4), a été entâchée d’un geste de mauvaise humeur diversement interprété chez les Américains. LeBron avait filé droit au vestiaire. Il expliqua après coup qu’il lui paraissait inconcevable de serrer la main des vainqueurs. Pas forcément fair-play. Mais pas de quoi entamer son aura ou sa popularité. Jerry West, longtemps attaché aux Lakers dont il fut le GM, a tranché :
« LeBron a surpassé Kobe en tant que joueur. Il possède des qualités physiques et une vitesse que n’a pas Kobe. Et surtout, LeBron James est un vrai partenaire d’équipe. Il est aimé de ses coéquipiers. Ce n’est pas forcément le cas de Kobe… »
La remarque est judicieuse. Il est évident que les Vujacic, Walton, Bynum, Odom ou Farmar n’ont pas le même feeling avec Bryant. Kobe entretient une relation privilégiée avec Derek Fisher pour une question de génération (ils étaient tous les deux rookies chez les Lakers en 1996). Mais c’est tout. Pau Gasol est assez neutre. Il connaît finalement peu Kobe, n’étant arrivé qu’en février 2008. Bryant est évidemment respecté, mais pas adoré comme peuvent l’être Dwyane Wade à Miami ou LeBron James à Cleveland. La vision du « Kobe’s scowl », un Bryant à la mine renfrognée, lorsque le jeu s’est subitement durci en demi-finales de Conférence contre Houston, a eu un effet dévastateur. Comme si « KB24 » avait besoin de ce masque pour asseoir une autorité et un leadership que, pourtant, personne ne remettait en cause. Charles Barkley a détesté. Bryant s’en moque. Il a joué sur les mots en conférence de presse, expliquant que ses enfants l’appelaient « Grincheux » (le personnage des sept nains) lorsqu’il ne souriait pas…
Un problème d’ego toujours pas résolu
On sait que les jours qui ont précédé cette Finale NBA 2009 ont été très durs, lors des practices. C’est Bryant lui-même qui a imposé un rythme d’enfer durant les séances. Et c’est seulement à 3-1 dans la série que la pression a été relâchée… Mark Jackson, l’ancien meneur des Knicks passé consultant de la chaîne ABC, confiait son admiration :
« Je n’ai jamais vu quelqu’un travailler aussi dur que Kobe. Ce gars se prépare pour être le meilleur. Il ne laisse rien de côté, ne tolère aucun compromis. Son degré d’exigence est tel qu’il peut déranger mais son professionnalisme a été contagieux et son enthousiasme communicatif cette saison. Tous les Lakers l’ont suivi. »
Il y a un an, après son échec face à Boston, Bryant rappelait que « Michael Jordan n’aurait pas gagné sans Scottie Pippen, que Dwyane Wade n’aurait pas gagné sans le Shaq, que Magic ne pouvait pas gagner sans Kareem Abdul-Jabbar et vice versa ». Aussi doit-il admettre que Pau Gasol, Trevor Ariza, Derek Fisher, l’homme des shoots impossibles, et Lamar Odom ont été autre chose que des sparring partners comme il a pu le dire à un joueur du banc pendant la série… Des propos blessants et surtout parfaitement injustes. Notez que depuis l’acquisition de Pau Gasol en février 2008, L.A. n’a jamais perdu plus de trois matches de suite. Un problème d’ego toujours pas résolu, visiblement (mais le sera-t-il seulement un jour ?).
Bryant avait pourtant opéré un virage à 180° au cours de l’été 2008. Associé à LeBron James, Dwyane Wade et Carmelo Anthony au sein du Team USA pour les J.O. de Pékin, il avait su composer avec les stars d’une autre génération. Un exercice nouveau pour un joueur habitué à capter l’attention des caméras et des micros. Un film consacré à la préparation des Jeux et diffusé sur une chaîne américaine montrait un Kobe légèrement plus effacé. Il ne mouftait pas devant les jeunes stars de la Ligue. Bryant l’ouvrait, certes, mais pas avec la même autorité que chez les Lakers. Rien à voir avec le Kobe (acteur ?) qui se saisit de l’ardoise de Phil Jackson pendant les temps morts à Orlando pour expliquer un système à Pau Gasol ou Derek Fisher.
Alors que si l’on en croit Brian Shaw, assistant coach à L.A., « Fish est celui qui comprend le mieux la triangle offense et donc celui qui a le moins besoin d’explications… »
L’anecdote est encore plus savoureuse quand on sait que Phil Jackson, arrivé à Los Angeles en 1999, avait eu un premier rendez-vous avec Bryant pour lui expliquer les rudiments de l’attaque en triangle. Il fut interloqué par la réponse de Kobe :
« Je connais tous les systèmes offensifs. Je suis prêt à vous la mettre en place. »
Epique combat que celui mené par le
« Maître Zen » pendant près d’une décennie, avec une parenthèse en 2004-05. Jackson a parfois eu des mots très durs pour sa star. On se souvient encore du pamphlet sorti quelques mois après la débâcle de juin 2004. Le coach aux dix bagues peut à présent passer l’éponge. On l’avait rarement vu aussi zen, voire détaché, que durant cette Finale. Aussi Alonzo Mourning, retiré des parquets, s’est-il fendu d’un commentaire assassin à son sujet, louant le rôle de Bryant. Le grand public est sûrement plus partagé même si, globalement, l’image de « Black Mamba » est aujourd’hui un peu moins floue. Jeff Van Gundy, ex-coach des Rockets qui officie lui aussi comme consultant sur la télé américaine, le confirme :
« On entendait souvent des « Kobe sucks » par le passé. Ce n’est plus le cas à présent. »
Il y a un an, lorsque les Lakers avaient affronté le Jazz en demi-finales de Conférence, un « Kobe Not Room Service Again » avait fleuri dans le public, allusion à l’aventure de l’intéressé avec une employée d’un hôtel du Colorado en 2003. Rien de tout cela à Salt Lake City au 1er tour des playoffs cette année. Le public a changé parce que Kobe Bryant, qui aura disputé la bagatelle de 208 matches en vingt mois, ne renvoie plus tout à fait la même image. Remporter, en l’espace de deux saisons, le titre de MVP de la Ligue, le titre NBA et le titre de meilleur joueur des Finales (appelez-le « Bill Russell Trophy ») en dit assez long sur le basketteur d’exception qu’il est. Le joueur n’en demandait pas plus. L’homme, c’est autre chose.
* Playoffs 2009 : 30.2 pts, 5.3 rbds, 5.5 pds, 2.6 TO, 45.7% aux tirs, 88% aux lancers francs, 35% à 3 pts, 40.9 mn (23 matches).
Playoffs 2008 : 30.1 pts, 5.7 rbds, 5.6 pds, 3.3 TO, 47.9% aux tirs, 81% aux lancers francs, 30% à 3 pts, 41.1 mn (21 matches).
** Le magazine américain « Slam » a établi courant juin son classement des 50 meilleurs joueurs de l’histoire. Kobe Bryant arrivait 12e derrière Jordan, Chamberlain, Russell, O’Neal, Robertson, Magic, Abdul-Jabbar, Duncan, Bird, West et Baylor.