Pedja Materic : « Le caractère, la dureté, l’envie, la méchanceté même ? Timothé Luwawu a ça »

Franco-Serbe polyglotte, Pedja Materic est le vice-président de Beobasket, l’agence numéro 1 en Europe qui représente neuf joueurs en NBA dont les français Joffrey Lauvergne (Oklahoma City) et Timothé Luwawu (Philadelphia), plus deux autres en D-League, Axel Toupane (Raptors 905) et Livio Jean-Charles (Austin Spurs).

Vous êtes basé à Monaco, aviez-vous spécialement scouté Timothé Luwawu lorsqu’il était à Antibes ?

En fait, j’habite en France, à Eze, tout prêt de Monaco. Ça aide toujours de voir quelqu’un en vrai, même pour un scout NBA, plutôt que de le voir en vidéo. La première fois que je l’ai vu il n’a pas été très bon mais notre job c’est de nous projeter. Il fallait le sortir du contexte d’Antibes où il a joué avec des Américains qui étaient des routiers, Will Solomon et Tim Blue, qui est un attaquant magnifique. Timothé était une sorte de rookie sans trop de responsabilités bien que je trouve que Julien Espinosa (le coach) a fait un très bon boulot avec lui.

De fait, quand il a été exposé à la finale de la Leadercup Pro B en 2015 à DisneyParis, il avait été presque invisible. Jamais on ne pouvait imaginer qu’il irait en NBA en étant drafté au premier tour ?

J’y étais. Déjà, ce n’est pas une science exacte et tout le monde peut se tromper. Après, il y a différents paramètres qui peuvent aider à se projeter pour la suite : taille, vitesse, envergure, tout ça. Il y a une chose que l’on ne peut pas mesurer, c’est le caractère, la dureté, l’envie, la méchanceté même. Timothé a ça. Je n’ai eu aucun doute non plus pour Joffrey (Lauvergne) et Léo (Westermann). Quand j’ai parlé à Joffrey avant qu’il aille au Partizan, c’était « si je m’entraîne bien, Dule (Vusojevic, le coach, aujourd’hui à Limoges) va t-il me donner ma chance ? » Oui. « Est-ce que je vais être traité comme les autres même si je suis un joueur étranger ? » Oui. « Y aura-t-il la possibilité de travailler individuellement ? » Oui. J’ai fait beaucoup de réunions avec les joueurs et quand ils posent ce type de question, je me dis que c’est bon.

Pensez-vous qu’Alpha Kaba (2m08, 20 ans, 9.7 pts et 4.8 rbds en Adriatic League) qui est actuellement à Mega Leaks en Serbie, a le même profil ?

Il est très bon cette année, il a beaucoup progressé. Il y a déjà un très bon travail qui a été fait à Pau avec lui. On sait que les grands murissent plus tard que les petits. Il se déplace beaucoup mieux latéralement, il court mieux.

« Des prospects internationaux dans le but d’augmenter leurs chances d’aller en NBA »

 Quelle est la vocation de Mega Leaks dont le président Misko Raznatovic est le propriétaire de Beobasket ? Donner du temps de jeu à des jeunes qui en n’ont pas assez notamment en France* ?

Le président, c’est quelqu’un d’autre car légalement, ce n’est pas possible. Si je fais une réponse politique, je dirais que nous avons une très bonne relation avec ce club. Misko se déclare comme le président de l’union des supporters ! La coopération s’est faite sur la base de donner du temps de jeu à des prospects, de l’Etoile Rouge, du Partizan… Il faut dire que Nikola Pekovic ou Marko Keselj (Ostende, ex-Le Mans et Villeurbanne) et Nikola Dragovic (Villeurbanne) ont joué à Mega. À cette époque, cela avait un caractère local, national, et c’est après que Mega a pu attirer des jeunes comme Dejan Musli qui joue à Malaga, comme Nikola Jokic qui est titulaire à Denver. Et après avec Luwawu et Kaba c’est parti vers des prospects internationaux dans le but d’augmenter leurs chances d’aller en NBA, en les exposant, en leur donnant du temps de jeu. Le préparateur physique est très bon, c’est celui de l’équipe nationale de Serbie seniors. Il est à temps plein au club. Je pense qu’en France il y en a cinq ou six dans ce cas là. Il y a aussi beaucoup d’assistants, docteurs, kinés à temps plein aussi. Donc des conditions de travail et un style de jeu qui sont favorables à l’expression des jeunes.

Quand un joueur comme Joffrey Lauvergne fait France, Espagne, Serbie, Russie et après NBA, c’est vous qui le suivez ou est-ce le représentant de Beobasket dans le pays qui prend le relais ?

Il y a une sorte de division du travail mais moi, je suis Joffrey partout où il va. J’étais à Madrid il y a deux semaines voir Ali Traoré et Edwin Jackson, je vais aller à Kaunas voir Léo Westermann. Bien sûr, il y a quelqu’un sur place dans le pays où joue le joueur. Et puis, on s’organise. Misko Raznatovic va plus en Turquie que moi, il va voir par exemple Thomas Heurtel à Anadou Efes Istanbul.

Vous les contactez par téléphone, mails ?

Bien sûr, même si le mail devient de plus en plus une communication officielle. On utilise Whatsapp, les appels… Par exemple, hier, je parlais après le match avec Léo Westermann qui était à Istanbul. Il y a deux jours je parlais avec Mam Jaiteh (Nanterre) qui était à Avelino. Il faut être présent. J’étais joueur, je connais le basket, je peux voir certains trucs mais je ne me mêle jamais de ce qui regarde le coach. Le joueur demande une sorte de soutien moral. Quand ils arrivent en fin de contrat ils aiment savoir comment ça va se passer pour la saison suivante… C’est un contact au rythme dont chacun a besoin, ils sont différents, certains ont besoin de plus.

« Livio Jean-Charles coupé par les Spurs reste aussi en D-League, à Austin »

L’approche change-t-elle à partir du moment où ils sont en NBA ?

Evidemment, il y a plus de matches là-bas et la victoire et la défaite sont beaucoup moins importantes qu’en Europe. Il y a des équipes qui perdent 50, 60, 70 matches dans une saison. À Denver, Joffrey disait qu’ils arrivent tranquilles 35 minutes avant le match. Dans le vestiaire il y a frites et nuggets. Gagné ou perdu, la musique est à fond. On s’en fout. C’est un autre monde. Ce n’est pas comme si le CSKA Moscou perd trois matches de suite, c’est la fin du monde. En NBA ça enchaîne très vite. Mais pour nous et même s’il y a le décalage horaire, c’est le même contact. Entre 14h et minuit, on peut se parler.

Axel Toupane est le premier joueur de l’agence a commencé sa carrière américaine par la D-League ?

Je crois que oui. Je suis très content de ce que l’on a fait avec lui. Si pour un joueur c’est mieux de jouer en Norvège, en Iraq ou en Asie, il ira là-bas. Dans notre métier, on doit amener une sorte de plus-value aux joueurs, faire des bons choix avec des chemins parfois différents et Mega est l’un d’entre eux. Toupane est allé en D-League car il avait derrière une vraie chance d’aller en NBA. Là, il l’a réintégrée pour retourner ensuite en NBA.

Certains Américains se sont enlisés en D-League au lieu de venir en Europe pour gagner de bons contrats ?

On avait pour lui une offre du Panathinaikos mais il était sous contrat avec Denver. On a réussi à monter sa valeur sur le marché. À Denver, l’année dernière, il a quand même touché de l’argent. D’ailleurs sur ce qu’il a touché, l’agence a gagné très peu car aux Etats-Unis la commission est de 4% et on fait moitié, moitié avec les Américains. On s’en fout. Le but c’est de savoir s’il faut qu’il aille à Barcelone ou dans un club du Top 10 si ça se présente et dans ce cas, c’est fini avec la NBA, ou il revient au sein de la même franchise où il va être le go to guy, et s’il joue au même niveau que l’année dernière, il sera appelé car on va dire « celui-là est déjà allé en NBA et il est encore jeune. »

Avec la demande croissante d’ailiers polyvalents en NBA et son vécu, une bonne expérience à Denver, je suis très optimiste d’autant qu’il peut aussi être encore meilleur que l’année dernière. Il faut dire aussi que la D-League c’est de mieux en mieux. Dans un an ou deux, ils vont pouvoir payer les joueurs 150 ou 200 000$. Livio Jean-Charles coupé par les Spurs reste aussi en D-League, à Austin. C’est une route différente.

*En 2014-15, lors de sa dernière saison à Antibes, Timothé Luwawu-Cabarrot a joué 19 minutes par match pour 6.9 pts et 2.5 rbds. Alpha Kaba s’est contenté d’un total de 31 minutes sur 8 matches.