En juin, on fêtera les 20 ans du premier titre de « Sa Majesté », obtenu aux dépens des Lakers de Magic Johnson (4-1). Pour atteindre cet anniversaire symbolique, Basket USA vous propose un voyage exceptionnel dans la galaxie MJ.
L’homme, le joueur, le businessman… Vous saurez tout du plus grand basketteur de tous les temps en revivant, en textes et en images, l’épopée de « Air Jordan ».
Aujourd’hui, 17ème partie, consacrée aux Jeux Olympiques de Barcelone en 1992.
INTERVIEW CHUCK DALY
A un mois des Jeux de Barcelone, Chuck Daly est en interview dans « Mondial ».
MONDIAL BASKET : Etre coach de l’équipe olympique américaine, c’est une consécration ?
Chuck DALY : C’est un rêve. Le genre de bonheur qu’on imagine réservé aux autres. Quand j’ai appris la nouvelle, j’ai dû me pincer pour y croire.
MB : Comment voyez-vous cette équipe ?
C.D. : C’est le plus bel assemblage de talents jamais réalisé. Cela étant, on est un peu dans l’inconnu, à commencer par moi. Je ne sais absolument pas ce que c’est de coacher douze superstars.
MB : Que craignez-vous le plus ?
C.D. : L’adaptation à l’arbitrage. Mais nous avons fait les bons choix avec cette sélection. Si en fin de match, on se fait marcher dessus et que les arbitres laissent jouer, Karl Malone ou Charles Barkley sauront quoi faire… Contrairement à ce que l’on croit, cette équipe n’a pas été composée pour récompenser des grands joueurs. Le comité de sélection a pris en considération plusieurs aspects du basket international. Et il a très bien fait son boulot.
MB : Pourquoi avoir choisi Clyde Drexler et Christian Laettner pour les deux dernières places disponibles ?
C.D. : J’entends beaucoup de commentaires à ce sujet. Comment peut-on discuter ces choix ? Drexler a terminé 2e dans l’élection du meilleur joueur de l’année derrière Michael Jordan. Laettner a offert deux titres NCAA consécutifs à Duke et il a reçu pratiquement toutes les distinctions individuelles.
MB : Quel peut être le point faible de cette sélection ?
C.D. : Certains disent que nous n’avons que deux meneurs et que cela est un léger handicap pour une compétition longue. Les deux meneurs en question étant Magic Johnson et John Stockton, je ne me fais aucun souci. Je crois que la seule question est de savoir comment faire jouer toutes ces stars ensemble. J’ai mon idée, que je ne divulguerai pas. Si jamais il y a un gros problème, on peut changer des joueurs entre le tournoi pré-olympique et le tournoi de Barcelone.
MB : Les J.O. représentent-ils un challenge pour de telles stars ?
C.D. : Oui puisqu’elles débarquent un peu dans l’inconnu. Mes joueurs n’auront pas de repères. Tout au long de la saison NBA, ils connaissent leurs adversaires, les salles, le public, le règlement… Là, ils vont découvrir au fur et à mesure.
MB : Pensez-vous que cette équipe soit intimidante ?
C.D. : Les joueurs qui jouent ou qui ont joué en NBA, comme les Yougoslaves, ne seront pas touchés par le phénomène. Ceux qui n’ont jamais vu jouer Michael Jordan ou ceux qui ne l’ont vu qu’à la télé devraient être un peu troublés. A quel degré ? Je ne sais pas.
MB : Comment allez-vous répartir le temps de jeu ?
C.D. : Nous en parlons souvent avec le staff. La solution est peut-être de les laisser effectuer les changements eux-mêmes… Qu’un gars se lève et dise : « Je vais remplacer untel ». Pourquoi pas ?
MB : Comment allez-vous utiliser Magic ?
C.D. : Je sais qu’il se prépare très sérieusement. S’il joue comme au All-Star Game à Orlando, il n’y aura qu’une chose à faire : l’admirer. J’espère seulement que sa « particularité » ne sera pas source de perturbation, notamment à cause des médias.
MB : Comment va se passer la première réunion lors du rassemblement ?
C.D. : Ce sera très important étant donné les petites tensions qui peuvent exister entre certains. Mais Magic est là. Avec son charisme et son image, ce sera un rassembleur. J’en ai souvent parlé avec lui. Il m’a apporté des tas d’idées intéressantes. Par exemple, organiser des activités collectives en dehors du basket, un tournoi de golf, des parties de bowling… Il faudra beaucoup parler, être à l’écoute des uns et des autres. Si elle était filmée, cette réunion serait sans aucun doute un véritable document.
LA DREAM TEAM, L’UNIQUE
« Personne dans l’équipe ne voulait jouer avec Isiah »
Interview prémonitoire. Des années plus tard, Magic révélera qu’il fallait parfois séparer les joueurs à l’entraînement… Dans « When the game was ours » (Quand le jeu nous appartenait), co-écrit avec Larry Bird et paru en novembre 2010, le meneur emblématique des Lakers raconte les coulisses de la « Dream Team » et revient longuement, entre autres, sur l’éviction d’Isiah Thomas, attribuée à une pression exercée par Michael Jordan. En réalité, personne ne voulait du point guard des Pistons.« Isiah a ruiné tout seul ses chances d’aller aux Jeux. Personne dans l’équipe ne voulait jouer avec lui. Je suis triste pour Isiah mais il s’est fait tellement d’ennemis dans sa vie… Il ne comprend pas pourquoi il n’a pas été choisi et c’est vraiment malheureux. Quand vous êtes en froid avec plus de la moitié de la NBA, vous devriez le savoir… La fin de notre amitié est la plus grosse déception de ma vie sur un plan personnel. Isiah était comme un frère. »
Quand Magic révéla sa séropositivité, Thomas fit courir une rumeur selon laquelle le meneur des Lakers était homosexuel. Magic ne lui reparlera plus jamais.
La « Dream Team » de Barcelone ? Tout part d’un concept balancé par les médias à l’annonce de la composition de la sélection. Les premiers noms tombent le 21 septembre 1991. Sont invités aux agapes catalanes Michael Jordan, Magic Johnson, Larry Bird, Charles Barkley, Chris Mullin, John Stockton, Karl Malone, Scottie Pippen, Patrick Ewing et David Robinson, rescapé du naufrage sud-coréen trois ans plus tôt. Clyde Drexler et Christian Laettner sont ajoutés au roster le 12 mai 1992.
Parmi les 8 équipes entrées au Hall of Fame
Cette sélection offre le meilleur du basket américain. La crème de la crème. On peut chipoter sur un ou deux noms (Isiah à la place de Stockton, Shaq à la place de Laettner) mais le gratin est là. La sélection pèse 10 titres NBA (1980, 81, 82, 84, 85, 86, 87, 88, 91, 92). Jordan, Ewing et Mullin avaient déjà été couronnés à Los Angeles en 1984. Robinson fut champion du monde en 1986. Sur les 12 membres du groupe, 10 seront retenus parmi les 50 meilleurs joueurs de l’histoire en 1996, pour les 50 ans de la Ligue. Onze deviendront Hall of Famers (tous sauf Laettner). Trois coaches sur quatre, idem (tous sauf P.J. Carlesimo).
« This a majestic team », lance Chuck Daly.
« The dream team is born », titrent en écho les gazettes sportives du monde entier.
En avril 1989, la FIBA a autorisé les joueurs NBA à prendre part aux Jeux (jusqu’ici, la Nation faisait appel à des universitaires ou à des joueurs évoluant sur le Vieux Continent). Pour effacer la claque de Séoul (3e place), l’Amérique doit frapper fort. Et frapper fort, c’est offrir au monde ce que le basket US a de meilleur. Sur le papier prend forme la meilleure équipe imaginable toutes époques confondues. On dépasse la notion même d’équipe. Mythique, cette sélection le restera pour longtemps. En août 2010, elle fera son entrée au Hall of Fame. Huit équipes seulement connurent cet honneur.
Chuck Daly est assisté pour la forme par Mike Krzyzewski (Duke), P.J. Carlesimo (Seton Hall) et Lenny Wilkens (Cleveland). « Pour la forme » puisqu’il ne prendra aucun temps mort durant le tournoi. Pas besoin.
« Qu’est-ce que je leur aurais dit à ce moment-là ? De mieux jouer ? »
Et la sélection américaine est injouable. Peut-être la Yougoslavie, championne du monde et double championne d’Europe en titre, aurait-elle pu faire de la résistance. Mais la guerre qui ravage le pays au début des années 90 prive les potes de Vlade Divac, habitués à jouer ensemble et parfaitement rompus aux joutes du basket FIBA, d’une aventure commune en Espagne. C’est sous la bannière croate que Toni Kukoc et Drazen Petrovic participeront à la XIIIe Olympiade.
On n’est pas sûr que cela aurait changé quelque chose au résultat final. La « Dream Team » I, la seule digne de ce nom, n’avait pas de faiblesse. Bien sûr, Magic et Bird, désignés co-capitaines, étaient en tournée d’adieu. Le premier n’avait disputé qu’un match – le All-Star Game d’Orlando – depuis son retrait prématuré des parquets. Mais les USA réunissaient trop de talents au mètre carré pour s’en émouvoir. La « Dream Team » était imbattable. Enfin, presque…
« On ne peut cacher le soleil avec un doigt »
En effet, sa préparation débute par une défaite ! Les hommes de Chuck Daly concéderont leur seul et unique revers (54-62) à La Jolla (Californie) contre une équipe réunissant de jeunes talents comme Grant Hill, Chris Webber et Jamal Mashburn. Le tournoi des Amériques qualificatif pour les Jeux tourne à la boucherie. A Portland, les Boys remportent leurs six matches par un écart moyen de 51.5 points. Commentaire du coach cubain, battu 136-57 :
« Vous ne pouvez pas cacher le soleil avec un doigt ».
Courant juillet, la « Dream Team » traverse l’Atlantique et fait escale dans le Sud de la France. Le rédacteur en chef de « Mondial » fait partie des quelques veinards invités à partager un déjeuner au soleil avec Magic, dans l’arrière-pays niçois, avant que le service de sécurité ne disperse les convives : la nouvelle s’était vite propagée, créant un début d’émeute…
Ce 22 juillet, en dehors des douze colosses en short, ils ne sont pas très nombreux dans le palais des sports de Monaco. Quelques coaches français et étrangers, deux ou trois sbires gravitant dans l’entourage de la sélection ricaine, Chuck Daly et ses assistants plus un arbitre français qui tente d’enseigner les rudiments du basket FIBA à des surdoués venus d’une autre planète, Philippe Manassero.
Le 5×5 qui suit fait fort, très fort. Match en 40 points. D’un côté, Magic, Mullin, Bird, Barkley, Ewing. En face, Jordan, Pippen, Laettner, Malone, Robinson. Exemptés sur blessure : Stockton et Pippen. A 14-2 pour l’équipe de Magic, ça commence à sentir le sapin. L’arbitre essuie les insultes de Barkley. Au bord de la crise de nerfs, il va se plaindre auprès de Chuck Daly qui lui intime l’ordre de rester sur le terrain. Une faute, ça se siffle. Ça s’explique aussi ! Jordan, qui vient de se faire clouer le bec comme un petit garnement par Magic, remet son équipe sur les bons rails. A sa façon. Seul. Et avec brio. Toute la panoplie y passe : jump shot, fade away, dunk… Aucune des stars américaines n’avait pu autant admirer les semelles de ses pompes en un laps de temps aussi court. Jeu, set et match, comme au tennis. Michael Jordan and friends : 40. Adversaires : 36. Au sortir de la douche, « MJ » confie :« Je ne pense pas que les gens verront le véritable niveau de cette équipe ».
Faute d’opposition. Comme ce fameux jour de juillet 1992. A Barcelone, l’écart moyen sera de 43.8 points. L’Angola est la première équipe à essuyer les plâtres (116-48). La Croatie (103-70), l’Allemagne (111-68), le Brésil (127-83) et l’Espagne (122-81) sont corrigés les uns après les autres en phase de poule. La démonstration se poursuit dans les matches à élimination directe : 115-77 contre Porto-Rico en quart de finale, 127-76 contre la Lituanie et 117-85 face à la Croatie pour l’attribution de l’or. La marge la plus faible. « Faible » : 32 points…
Sur les deux derniers rendez-vous, Jordan termina meilleur marqueur américain (21 et 22 pts) mais sur l’ensemble du tournoi, la palme revint à Barkley (18). Dans les parties de golf, il en allait autrement : « Sir Charles » se faisait régulièrement plumer. En Espagne, Jordan n’a pas forcé son talent. Il a accepté d’abandonner le scoring. Son espace vital s’est réduit. Entre déplacements en jet privé et séjours dans les suites royales des plus beaux hôtels, Jordan étouffe. Il éprouve le besoin d’aller se changer les idées en faisant du golf. Chuck Daly et « Dr. J » l’accompagnent. Arrivé incognito, le trio ne pourra pas regagner l’hélico pour repartir… Daly se tourne vers Jordan :
« Je t’apprécie beaucoup mais c’est la dernière fois que je joue au golf avec toi. »
« 1984 étaient mes premiers Jeux. J’étais fou de joie », raconta « Sa Majesté ». « Un homme a beaucoup compté à ce moment-là : le coach de l’équipe, Bobby Knight. « Tu dois toujours être devant », me disait-il. Ce fut décisif pour ma carrière. Quant à 1992, c’est un fabuleux souvenir. J’ai adoré le principe de cette équipe. Les meilleurs joueurs se fondaient dans un collectif avec un seul objectif : rapporter la médaille d’or. C’était un rêve de faire partie d’une telle aventure, un rêve devenu réalité. En plus, c’était la dernière compétition de deux géants : Magic et Bird. Inoubliable ! La clé de nos succès fut d’être capables, tous ensemble, de jouer en équipe. »
« C’était comme réunir Elvis Presley et les Beatles »
L’arrière des Bulls se classa 3e meilleur passeur (derrière Pippen et Magic) parmi les nouveaux champions olympiques. Il demeura volontairement en retrait, une fois n’est pas coutume. Sa philosophie en Espagne ?
« J’étais heureux d’être là, pas pour scorer 30 ou 40 points par match mais pour défendre notre réputation de joueurs sérieux et gagneurs. Une réputation qui nous précédait avant d’arriver ici. »
Sur le podium, tout le monde prend les étoiles américaines en photo. Le succès de la « Dream Team » fut aussi celui-là. Populariser la balle orange dans sa version « Excellence ». La renommée du basket made in NBA atteignit son zénith avec l’épopée des « Dream Teamers ». Partout où ils passèrent, les coéquipiers de Michael Jordan déclenchèrent une véritable frénésie.
« C’était comme réunir Elvis Presley et les Beatles », s’amusa Chuck Daly.
Comme prévu, le village olympique ne vit pas les joueurs. Ils restèrent cloîtrés dans un hôtel luxueux auquel on ne pouvait pas accéder, même en montrant patte blanche, même avec une accréditation en bonne et due forme. Chaque déplacement de « Sa Majesté » se fit avec la surveillance d’un hélico, de deux voitures de police et de quelques caïds à moto. Dans Barcelone, on ne fait que deviner la silhouette de Michael. C’est tout. Dans le jeu, il brille, swingue, chambre, tchatche, dunke, vole, shoote, exulte. Quand on s’appelle Arturas Karnishovas, qu’on est une jeune star lituanienne en devenir et qu’on joue dans le camp adverse, on admire. Après la branlée 127-76, il avoua :
« A chaque fois qu’il y avait un temps mort ou qu’on me remplaçait, je fonçais sur mon caméscope ».
Tout le monde voulut se faire prendre en photo avec les idoles. Le match terminé, Jordan, lui, ne pensait qu’à une chose : foncer sur les greens avec son caddy boy. Le 8 août 1992, médaille d’or autour du cou, il confia :
« Aucune équipe n’a été capable de nous pousser dans nos derniers retranchements sauf une. Celle de Magic avec Mullin, Bird, Barkley et Ewing… »
A Monaco, en pleine prépa, quatre jours avant le coup d’envoi des J.O.
Le début de la mode basket
Jordan et Pippen deviennent les premiers joueurs sacrés champions NBA et champions olympiques la même année. Le séjour de la « Dream Team » sur le Vieux Continent ne laissa personne indifférent. La mode basket arrive à cette époque. Elle déferle sur l’Europe. Les playgrounds poussent au milieu des cités et des jardins publics, le nombre de licenciés explose. Partout, on entend une balle orange rebondir sur le macadam. Michael avait prévenu :
« Les Jeux se rappelleront longtemps de nous… »
A écouter Charles Barkley (et les révélations de Magic sur l’ambiance au sein du groupe), le tableau n’était pas complètement idyllique :
« Ce que certains ne comprennent pas, c’est que nous avons reçu des menaces de mort. Il fallait donner ses empreintes digitales pour pénétrer dans l’hôtel. Quand on allait à la piscine sur le toit, il y avait dix gars avec des pistolets Uzi. Il y avait une fille en bikini, un gars avec un Uzi, une fille en bikini, un gars avec un Uzi… Les gens ont cru qu’on ne voulait pas résider au village olympique parce qu’on se prenait pour les rois du pétrole. C’est parce que nous avons reçu des menaces de mort. On nous avait dit que la « Dream Team » serait une cible de choix pour des groupes terroristes. »
VIDEOS
Highlights de la « Dream Team »
Le Top 10 de la « Dream Team »
La finale 1992 contre la Croatie
A suivre…