Grant Hill a une mémoire sélective étonnante. Son passage à Duke, où il a remporté deux titres de champion NCAA ? Il aurait pu en écrire un bouquin, rien qu’avec sa première année universitaire d’ailleurs. Idem avec les multiples blessures qui ont jalonné sa carrière. « Les détails, les discussions, les émotions. Tout ça, c’était facile de s’en souvenir. » Ses plus belles années à Detroit (1995-2000) en revanche, il s’en souvient moins bien.
« Pour moi, le but a toujours été de gagner. À Duke, on avait toujours une chance. À Detroit, on n’était pas près de gagner. J’ai connu de grands succès individuels sur et en dehors du terrain, mais je n’étais pas heureux des résultats. Alors je n’ai pas célébré ces réussites », décrit-il dans une interview pour NBA.com à l’occasion de la publication, cette semaine, de ses mémoires, « Game ».
Il y revient en détail sur une carrière qui s’annonçait dorée. En avril 1995, alors que Michael Jordan venait de sortir de sa première retraite, GQ l’avait d’ailleurs mis en couverture avec cette question : « Grant Hill peut-il sauver le sport ? » « J’ai trouvé ça stupide », qualifie aujourd’hui le n°3 de la Draft 1994. « J’ai tout de suite senti, en tant que rookie, qu’il y avait un vide, de la pression. Je n’avais pas encore l’impression de mériter tout ça. […] J’ai progressé pendant mes six années à Detroit. J’étais bon dans ma première année mais je ne pense pas que j’étais prêt à être ce gars-là. »
Le meilleur rookie de l’année 1995 a pourtant longtemps fait fantasmer la grande ligue et ses fans. Dans ses six premières saisons dans le Michigan, il a décroché cinq invitations au All-Star Game et cumulé les belles lignes de stats (près de 22 points, 8 rebonds et 6 passes). « Vous savez quand on dit qu’il faut s’arrêter, regarder les fleurs pousser et profiter de la vie ? Je n’ai pas profité de ces années, mais quand j’ai regardé en arrière, je me suis dit : ‘Wow, c’était vraiment spécial’. »
Stan Van Gundy voulait le garder à Orlando
En 2000, son transfert vers Orlando a ouvert une nouvelle page « spéciale » de sa vie de basketteur. Son début de mandat floridien a été marqué par de multiples blessures à la cheville qui ne lui ont permis de disputer que 47 rencontres en quatre saisons. Et l’ont ainsi privé d’une prometteuse association avec Tracy McGrady. En 2007, il décidait de changer de cap en signant à Phoenix.
Grant Hill s’est pourtant imaginé revenir… à Detroit à l’époque. « Mais j’ai conclu que je ne voulais pas gâcher ce que j’avais fait là-bas. » Rester à Orlando, où l’idée d’un « buyout » avant de lui proposer un poste de dirigeant aurait émergé, était également une option. Le nouveau coach de l’équipe, Stan Van Gundy, voulait le garder sur le parquet avec le maillot du Magic. Il comptait le responsabiliser, lui remettre le ballon dans les mains.
« C’était un grand fan. Je me suis dit : ‘C’est plutôt cool.’ Mais la ‘free agency’ arrive, je n’ai pas de nouvelles de l’équipe pendant une semaine. La seule fois où on a parlé, c’est quand je les ai appelés pour leur dire que j’allais à Phoenix. En y repensant, c’était le moment de le faire. Quand ils ont fait leur parcours (en finale) en 2009, j’étais heureux pour eux. Puis il y a eu un article de Sports Illustrated dans lequel Otis (Smith, l’ancien GM d’Orlando] disait : ‘On avait besoin que Grant parte pour que Jameer (Nelson) et Dwight (Howard) grandissent. (Si non) ils allaient toujours s’en remettre à Grant.’ Je me souviens avoir lu ça et pensé ‘Validé !’ Parce que tout le monde pensait que je les avais laissés en plan. »
Les fans du Magic ne manqueront pourtant pas de le conspuer, lors de son retour en Floride avec le maillot des Suns, à chaque fois qu’il touchera la balle. Mais Phoenix, où il va s’offrir une seconde jeunesse malgré ses 35 ans, sera le bon environnement pour la dernière partie de sa carrière. C’est d’ailleurs dans l’Arizona qu’est née cette envie d’écrire.
Pas besoin du Hall of Fame ?
Durant l’été 2009, il s’est imaginé tenir un journal de bord et se plonger dans l’histoire de certains joueurs de l’équipe. Il a même soumis l’idée au grand patron de la ligue, David Stern, qui lui a répondu : « J’adore l’idée mais ne le fais pas. Ce sera du boulot. C’est déjà assez difficile de jouer et de traverser une saison sans avoir à respecter des échéances. Ce serait juste un autre fardeau.’ »
« J’aurais dû le faire », s’est pourtant dit Grant Hill quelques mois plus tard, en raison d’une nouvelle très belle saison des Suns, terminée à seulement deux victoires d’une Finale NBA. C’est finalement son intronisation au Hall of Fame, en 2018, qui va le pousser à sortir sa plume.
« Avec l’annonce et la préparation à l’intronisation, on réfléchit naturellement. […] J’étais un peu en colère à cause des blessures. Mais j’ai réalisé que je n’avais jamais vraiment pris du recul sur ma carrière. Un livre vous oblige à revivre certains moments de votre vie et à en tirer des leçons. Essayer de comprendre ce que vous ressentiez, ce que vous pensiez. Je ne suis pas la même personne que j’étais il y a cinq ans. Et certainement pas la même personne que j’étais il y a 30 ans. Tout cet exercice a été très bon à certains égards, et à d’autres, il a été très difficile. »
Son « étrange carrière » comme il la qualifiait, avec « quatre bonnes années à l’université et six bonnes années en NBA », a été suffisamment riche pour le voir intégrer le panthéon de son sport. « J’avais l’habitude de me dire que je n’avais pas besoin du Hall of Fame, parce que pour moi, surmonter mes blessures et revenir jouer neuf ans de plus était plus satisfaisant et gratifiant. Mais quand c’est devenu concret et que je me suis approché de l’intronisation, je suis devenu un peu… amer. Je l’ai encore plus ressenti en écrivant le livre. »