À l’image de Kevin Garnett et Dirk Nowitzki, sortis comme lui de nulle part à leur arrivée en NBA à la fin des années 1990, Rashard Lewis (43 ans, ce 8 août) a fait partie des premiers joueurs qui ont redéfini le poste d’ailier-fort, résumé par ce qualificatif de « stretch four ». C’est-à-dire un ailier de plus en plus au large, à l’instar de l’évolution de « Sweet Lew » au fur et à mesure de sa riche et longue carrière, marquée par un titre NBA, trois Finals et deux sélections au All-Star Game.
Retraité des parquets depuis 2014, et une pige qui n’aura finalement pas eu lieu à Dallas, dans son Texas natal, à cause d’un genou récalcitrant, Rashard Lewis a certes touché un peu le cuir depuis, par le biais de la « Big3 » de Ice Cube. Mais à désormais 43 ans, l’ancienne star des Sonics et du Magic coule une retraite heureuse, à la suite de sa carrière lucrative dans la Grande Ligue.
Du lycée à la NBA, un pari risqué
Pourtant, les débuts ont été difficiles pour Rashard Lewis et son arrivée dans le monde professionnel a été douloureuse. Comme l’attente interminable, au soir de la Draft 1998, quand le jeune ailier faisait partie des invités de la « Green Room »… pendant tout le premier tour !
« Il s’agissait de savoir où j’allais finir à la Draft. Je ne voulais pas faire partie de ces gars qui ne sont pas choisis », racontera-t-il dans le podcast de Quentin Richardson et Darius Miles. « À l’époque, on n’avait pas le droit de parler aux agents ou aux entraîneurs, c’était illégal. Donc on ne pouvait entendre que des rumeurs, par l’intermédiaire de quelqu’un. Je savais que je n’allais pas forcément faire partie des ‘lottery picks’. Mais quand j’ai reçu mon invitation officielle à la Draft, j’étais au moins sûr de partir au premier tour. Le premier tour, ce sont des contrats garantis. Quand on a commencé à dire que je pouvais être dans le Top 15, j’étais prêt à y aller. Mais on sait tous que ça ne s’est pas passé comme prévu… »
Gamin du Texas, à Houston, Rashard Lewis est d’abord attiré par le petit ballon ovale du foot US, avant de s’intéresser à la balle orange des suites d’une poussée de croissance. Recruté dans la Varsity Team de son lycée, il comprend peu à peu qu’il a des prédispositions pour le basket.
Hoop Summit, McDonalds All-American… Tout va s’enchaîner très vite pour Lewis, qui sera donc sélectionné à la 32e place de la Draft 1998, après avoir longuement hésité à se lancer dans le monde professionnel, en sautant la case universitaire.
« J’ai pris ma décision en participant à tous ces All Star Game de lycée. Au McDonald’s, je n’étais pas titulaire mais je crois que j’ai fini avec 17 ou 18 points [ndlr : 17 points]. J’avais bien joué. Puis au [Magic Johnson Roundball Classic], j’ai fini MVP et j’ai fait un gros match. C’est à ce moment-là que je me suis vraiment dit que j’avais une chance de passer pro et de tester ma cote en NBA. C’est parce que j’ai réussi à être au niveau des meilleurs talents du pays que je me suis dit que je pouvais tenter ma chance. »
Le lockout 1998, une chance
Très marqué par sa soirée cauchemardesque de Vancouver, où se tenait la Draft 1998, Rashard Lewis va pour le coup profiter du « lockout » de la même année pour se refaire une santé chez lui, à Houston. Au contact de joueurs pros et du niveau relevé des ligues d’été.
« Une fois que tu as engagé un agent et que tu es à la Draft, tu ne peux plus retourner à l’école. C’est pour ça que j’avais les larmes aux yeux [le soir de la Draft], car je n’étais jamais parti à l’étranger et je me voyais déjà jouer hors des États-Unis. Je n’avais jamais vécu tout seul, j’étais encore sous l’aile de ma mère. J’ai bossé comme un forcené cet été-là. Mais d’une certaine manière, j’ai eu de la chance, parce que ma première année, c’était le ‘lockout’ et ça m’a beaucoup aidé. La Draft m’a tellement secoué que j’avais perdu toute ma confiance. J’ai pu revenir chez moi et me reconstruire. Il y avait pas mal de joueurs NBA qui s’entraînaient à Houston, comme Sam Cassell, Robert Horry, Nick Van Exel. J’ai pu jouer contre eux et retrouver confiance en mon jeu. Le ‘lockout’ terminé, j’ai pris l’avion pour Seattle. Une semaine avant le début du camp d’entraînement, on faisait des petits matchs. Le premier jour, j’ai fait ce que j’ai pu, des petites choses comme des rebonds, des écrans, des passes. Le deuxième jour, je me fais convoquer par le GM et le coach qui me disent qu’ils vont m’offrir un contrat minimum de deux ans. Je me suis mis à pleurer, j’ai appelé ma mère pour lui annoncer la bonne nouvelle. Mais j’avais encore à me battre contre des costauds alors que j’étais tout maigre, tout frais sorti du lycée. J’étais super nerveux et j’avais peur. Mais j’ai fait le boulot et j’ai tenu le coup. »
À 2m08 pour 97kg, contre 107kg en fin de carrière, Rashard Lewis était plutôt léger à son arrivée dans la ligue. Il a logiquement eu besoin d’une période d’adaptation bien compréhensible, d’autant plus en arrivant directement du lycée.
« Quand je suis arrivé chez les Supersonics, pour mon premier match, je me suis retrouvé face à Karl Malone ! Déjà, je suis un peu sous le choc mais en plus, je me fais bouger. J’étais tout maigrelet et c’était un sacré baptême du feu. J’essayais d’utiliser ma vitesse pour le contourner, mais il y avait des contacts. »
Au bout du banc d’une équipe de Seattle qui est en fin de cycle avec Gary Payton, Detlef Schrempf ou encore Vin Baker, et qui ratera même les playoffs pour la première fois depuis 1991, Rashard Lewis ne voit que très rarement le terrain. Il bouclera sa saison rookie à un anonyme 2 points et 1 rebond en 7 minutes de moyenne, pour 20 apparitions éclairs.
Un apprentissage à la dure
Il lui faudra attendre sa deuxième année, la deuxième sous la houlette de Paul Westphal au poste de « head coach », et notamment les playoffs, pour commencer à percer. Dans une série âpre face au Jazz du duo éternel Malone – Stockton, Lewis et les Sonics tomberont en cinq manches. La « coming out party » du jeune ailier.
« À la fin de ma deuxième année, je n’étais pas titulaire. Je devais jouer une dizaine de minutes en moyenne. Mais un des ailiers s’est blessé et j’ai commencé à jouer plus. Je tournais à 4 points de moyenne et je me suis retrouvé titulaire en playoffs face au Jazz. On a perdu au premier tour mais j’ai fini à 14 points de moyenne [15 en fait], juste en jouant mon rôle, en courant, sur des rebonds offensifs, des tirs ouverts et l’énergie. Je jouais 20 minutes [30 en fait] mais je jouais dur et j’apportais quelque chose. C’est là que je me suis dit que je pouvais jouer en NBA. Je n’avais qu’un contrat de deux ans après avoir été choisi au deuxième tour, mais les Sonics m’ont resigné pour trois ans donc je me suis enfin senti joueur NBA à part entière. Je pouvais partir sur de bonnes bases pour progresser encore. »
C’est effectivement à partir de l’an 2000 que Rashard Lewis va se lancer dans une série de 12 saisons consécutives à 10 points ou plus. Enfin titulaire à temps complet, aux côtés de l’inénarrable Gary Payton et d’un Patrick Ewing sur les rotules, il va transformer l’essai avec 15 points et 6 rebonds de moyenne. Jusqu’à atteindre 22 points, 7 rebonds et 2 passes de moyenne lors de sa dernière saison dans la Cité Emeraude, en 2006/07.
Débarqué dans la ligue à la fin des années 90, pour la deuxième retraite de Michael Jordan, « Sweet Lew » a vite compris qu’il lui faudrait s’endurcir pour survivre. En bon coéquipier, Payton s’est chargé personnellement de recadrer le jeune lycéen à son arrivée à Seattle.
« Ma rencontre avec Gary Payton a été à la salle d’entraînement, pendant le ‘lockout’. On a pris l’avion pour Seattle. On était avec Jelani McCoy à l’hôtel et un des membres du staff est venu nous chercher pour nous déposer à la salle, qui était en fait juste en bas de la même rue. Mais il s’est planté de rue et on est arrivé 15 minutes en retard. Tout le monde jouait déjà et Gary avait le ballon en main. Il a tout arrêté et nous a gentiment insulté de tous les noms : vous êtes les petits nouveaux, vous devez être là à l’heure, avant tout le monde même ! Après ça, j’avais peur de lui et j’arrivais à l’entraînement une heure et demie en avance pour être sûr d’être sur le terrain à shooter 45 minutes avant. Mais il fallait bien ça, car à l’époque, l’entraînement et ces petits 2-contre-2 ou 3-contre-3 étaient mon match, parce qu’il y avait de grandes chances que je ne joue pas en match. »
Payton – Allen : deux mentors, deux styles
Amené à côtoyer deux futurs Hall of Famers en Gary Payton mais aussi Ray Allen à Seattle, Rashard Lewis a appris différentes choses de chacun d’entre eux pour, lui aussi, profiter d’une longue et riche carrière. Après l’amour vache et les taquineries à l’ancienne de tonton Payton, il y a eu la douceur et le charisme d’Allen, acteur à ses heures…
« GP m’a endurci à nous rembarrer en permanence, parce qu’il m’a appris à ne pas me soucier de ce qui se passait sur le terrain quand ça commence à s’échauffer et à parler. J’ai appris à être un gagneur aussi. Quand tu es sur le terrain, tu dois jouer à fond ou tu vas être puni. J’ai appris à jouer extrêmement dur avec lui. Mais il a été échangé contre Ray Allen, ‘Jesus Shuttlesworth’. Quand il parlait dans les vestiaires, on était tout ouïe. Mais j’ai changé mon éthique de travail avec lui. J’ai acheté mon premier vélo d’entraînement grâce à lui. On faisait des joggings autour du pont à Seattle. Des sprints aussi. Il m’a dit qu’il fallait être constant pour être un All-Star. Tu peux rater un match de temps en temps, mais il faut savoir rebondir dès le match suivant. Il était là avant tout le monde. On arrivait et il lisait un livre à son vestiaire, il avait déjà fait son échauffement ! On était les jeunes joueurs par rapport à lui et on devait arriver encore avant ! C’était un vrai leader. Parfois, certains grands joueurs ne sont pas de vrais leaders parce qu’ils sont plus égoïstes, mais lui te montrait la marche à suivre pour faire une longue carrière. Detlef Schrempf était aussi comme ça. Je ne l’ai côtoyé qu’un an, mais il m’a pris sous son aile aussi. Il me bottait les fesses à l’entraînement, mais il me montrait aussi pourquoi après. »
Sous la tunique des Sonics de 1998 à 2007, Rashard Lewis a tout connu. Y compris la reconnaissance d’une cape All-Star, la première de ses deux en carrière, en 2005. Un moment évidemment important pour cet ailier parti de rien.
« Pour moi, qui étais sorti du deuxième tour, qui ne jouais pas ma première année et qui sortais du banc ma deuxième… Je me suis dit que le travail finissait par payer. Je remercie encore Ray, Nate McMillan et Dwane Casey qui m’ont amené à ce niveau. Surtout les deux derniers qui m’ont vu arriver, un gamin apeuré qui ne savait pas où il mettait les pieds. Plusieurs fois, j’ai voulu tout abandonner, pensant que ce n’était pas fait pour moi, mais ils m’ont toujours poussé et motivé. Ils venaient à Houston m’entraîner et s’assurer que je m’entraînais à Seattle. Ils avaient vu quelque chose en moi que, moi-même, je n’avais pas vu ! Et je me souviens du matin où Nate est venu me voir en me demandant si j’avais appris la nouvelle. Il m’a dit que j’avais été sélectionné au All-Star Game. Je ne crois pas que j’ai pleuré cette fois-là, mais c’était tout comme. J’en avais rêvé et je réalisais ce rêve, prouvant à tout le monde que je valais mieux qu’un choix de deuxième tour… »
Le pactole chez le Magic
Goûtant seulement à trois reprises aux playoffs en neuf saisons à Seattle, Rashard Lewis aura tout de même pu remporter une série face aux Kings de Sacramento, en 2005. Et des souvenirs de Peja Stojakovic au passage…
« Peja Stojakovic. Face à lui, c’était un vrai casse tête, car le plan de jeu était de le pousser [à partir en dribble] et parce que c’est un tel sniper. Mais avec les Kings de l’époque, il y avait tellement de bons passeurs, comme Jason Williams ou Vlade Divac. Résultat, il passait toujours en ‘backdoor’ et on se faisait avoir à chaque fois. »
Opposé aux Spurs en demi-finale de conférence, d’un Tony Parker qui fera la chanson à Gary Payton, Rashard Lewis et les Sonics seront sortis en six manches. Ce sera la dernière belle saison avec Seattle.
Détenteur du record de tirs à 3-pts réussis dans l’histoire de la franchise, « Sweet Lew » la quittera finalement à l’été 2007 pour rejoindre un vrai prétendant dans la conférence Est : le Magic de Dwight Howard et de Stan Van Gundy.
Détail important : alors que Rashard Lewis et Orlando sont en pleines négociations, la NBA a modifié son accord collectif, laissant place à une nouvelle ère financière : celle des contrats massifs réservés au gratin de la ligue.
« On est allés au restaurant avec Stan Van Gundy, Jameer Nelson et quelques autres. On a discuté de ce qu’ils pouvaient m’offrir et du projet sportif autour de Dwight Howard. On a fini de manger et on est sortis. [Van Gundy] et moi, on discutait et il m’a demandé si j’étais prêt à m’engager. Il m’a tendu la main en me disant qu’il allait m’offrir le max. Je lui ai tout de suite serré la main. Mais on ne savait pas encore quel allait être le chiffre final. On pensait tous les deux que ça allait être autour des 80-90 [millions de dollars]. Et quelques jours plus tard, il y a le nouveau ‘salary cap’ qui est annoncé et le [contrat max] était fixé à 100 millions et quelques [118 sur six ans, au final]. Lui et moi, on s’est regardés et il a même ajouté : ‘Je ne pensais pas du tout que ça allait monter autant !’. C’est un autre moment où j’ai appelé ma maman en pleurant ! En tout cas, on a célébré ça comme il faut. Après avoir signé ce contrat, on est partis directement à Miami sans rentrer à la maison à Houston. J’ai appelé mes potes, je les ai faits venir. On avait tout le dernier étage de l’hôtel Sati. On a fêté ça comme il se doit ! »
Un titre en fin de carrière
Après plusieurs années avec un succès plutôt mitigé en playoffs à Seattle, Rashard Lewis va tout de suite connaître le succès en Floride. Pièce manquante entre Dwight Howard et Jameer Nelson, l’ailier participera à l’épopée de 2009 jusqu’aux Finals, la première du Magic depuis l’ère Penny Hardaway – Shaquille O’Neal !
Avec le recul, Lewis regrette cependant la tournure des événements et la gestion émotionnelle d’Orlando, après la finale de conférence…
« On a fini par remporter la série face à Cleveland et c’est là qu’on a merdé, parce qu’on a célébré ça comme si on avait gagné le titre. C’était la meilleure équipe qui avait l’avantage du terrain pendant tous les playoffs, avec LeBron James. On allait en Finals et on a fait la foire toute la soirée après ! On avait une dizaine de jours de repos et on a fêté ça comme si on avait gagné le titre. Face aux Lakers et Kobe Bryant, qui connaissaient ce niveau-là, on n’a pas fait le poids. »
Finalement titré en Floride, mais plus bas dans la péninsule à Miami, après deux années anecdotiques chez les Wizards, et dans un rôle des plus minimes, Rashard Lewis s’est naturellement éloigné de la NBA ces dernières années. Mais il ne serait pas contre participer au retour des Sonics, la franchise où tout a commencé pour lui…
« Ça ne me déplairait pas de faire partie de la franchise. Ils méritent d’avoir leur équipe. Les fans sont incroyables là-bas. Même quand on était parmi les pires équipes de la ligue, ils venaient nous voir et nous soutenaient. Certains venaient à l’aéroport pour nous accueillir. Ils méritent d’avoir une équipe. Ils devraient être la prochaine ville à revenir en NBA. Adam Silver, si vous m’écoutez… »