Enes Kanter Freedom joue peu cette saison, mais le pivot des Celtics fait beaucoup parler de lui en NBA. Par ses chaussures, ses tweets et ses interviews, il secoue la Grande Ligue en cherchant à mettre en lumière la situation des Ouïghours, minorité musulmane qui subit depuis 2009 une répression très violente de la part de la Chine.
« C’est une histoire dingue parce que, l’été dernier, j’organisais un camp de basket. Tous les gamins étaient alignés et je prenais des photos avec eux, à tour de rôle. J’ai pris une photo avec ce gosse et ses parents m’ont apostrophé devant tout le monde : ‘Comment tu peux t’appeler un activiste des droits de l’homme quand tes frères et soeurs musulmans sont torturés et violés tous les jours dans des camps de concentration en Chine ?’ J’étais sous le choc », détaille-t-il dans une interview au New Yorker, à propos de son éveil sur la question. « Je me suis retourné et je leur ai dit : ‘Je vous promets que je vais revenir vers vous’. J’ai commencé à vraiment étudier la question. J’ai commencé avec les Ouïghours, puis ça a continué avec le Tibet, Hong Kong, Taïwan, la Mongolie. Ça m’a brisé le coeur. Je me suis que peu importe le coût, je devais mettre la question en lumière. »
Enes Kanter Freedom, qui a récemment changé son nom en prenant la nationalité américaine, assure qu’il a reçu le soutien de ses coéquipiers dans cette volonté. Depuis, il s’en prend à la NBA, à Nike, à LeBron James, qu’il accuse d’avoir peur de critiquer publiquement les dérives du régime de Xi Jinping.
La droite conservatrice, drôle d’alliée de circonstance sur la Chine
Le pivot se dit prêt à « éduquer » le King sur ces questions, mais ne s’agit-il pas plutôt pour ceux qu’il critique de la préservation de leurs intérêts économiques par rapport au marché chinois ?
« Au fond de mon cœur, j’espère qu’ils ne sont simplement pas assez renseignés. C’est ce que je veux penser d’eux, parce que, si vous savez ce qui se passe, si vous savez ce que tous ces innocents endurent dans les camps de concentration, si vous savez que chaque fois que vous achetez ces chaussures ou que vous achetez votre T-shirt ou que vous faites de la publicité pour des entreprises, il y a du sang, de la sueur et de l’oppression sur tout ça, et que vous faites quand même partie du problème, alors vous êtes un hypocrite et c’est écœurant. Donc, dans mon cœur, j’espère qu’ils ne sont pas assez éduqués sur la situation. »
L’intention d’Enes Kanter Freedom paraît donc noble, mais le New Yorker l’interroge sur la méthode, qui n’est pas non plus sans hypocrisie. Car pour mettre ce sujet en lumière, le joueur de Boston multiplie ainsi les apparitions sur Fox News, avec un discours qui plait beaucoup à la droite (ultra) conservatrice américaine.
Récemment, dans le show du très polémique Tucker Carlson, il avait notamment expliqué que les Américains qui critiquent les États-Unis « devraient simplement se taire et arrêter de critiquer la plus grande nation du monde et ils devraient se concentrer sur, vous savez, leurs libertés, leurs droits de l’homme et leur démocratie. »
Un discours qu’Enes Kanter Freedom tente de tempérer.
« Laissez-moi être clair pour ceux qui déforment mes propos. Ce que je voulais dire, c’est que, malgré ses nombreuses imperfections, l’Amérique reste l’un des plus grands pays du monde. Et beaucoup de mes compatriotes américains ne comprennent pas à quel point la situation peut être mauvaise ailleurs, à cause d’un manque de perspective. Je pense que si vous avez la chance d’être né dans ce pays, que les gens essaient de rejoindre en risquant malheureusement tout à la frontière, il est facile de ne voir que l’arbre qui cache la forêt. Je pense qu’il est facile d’être obsédé par les défauts de l’Amérique, et encore plus facile d’oublier ses nombreuses réalisations et l’espoir qu’elle offre aux gens partout dans le monde. Donc, quand je dis « taisez-vous », je veux dire : prenez du recul. Je ne veux évidemment pas dire qu’il ne faut pas critiquer les États-Unis. Il est évident qu’il y a du racisme aux Etats-Unis et de nombreux autres problèmes, mais je dis qu’au moins ce n’est pas la Turquie. Ce n’est pas la Syrie, l’Irak, l’Iran, la Corée du Nord, le Venezuela, la Biélorussie. Donc je pense que les gens devraient se sentir chanceux et bénis d’être dans cette situation. C’est ce que je voulais dire par « tais-toi ». »
Un « Shut Up » qui passe mal
Mais ce « Shut Up » ressemblait beaucoup au « Shut Up and Dribble » de Laura Ingraham, une autre présentatrice de Fox News, la chaîne adorant s’en prendre aux athlètes noirs américains qui se mêlent trop de politique à son goût. Enes Kanter Freedom admet d’ailleurs qu’il a discuté de cette émission avec ses coéquipiers.
« Je leur ai dit : ‘Écoutez, mon intention n’a jamais été de critiquer les athlètes noirs. Ce n’est pas une question de couleur. Je m’en fous si tu es noir, blanc, violet, vert, peu importe. Vous vous souvenez quand toutes les manifestations de « Black Lives Matter » ont eu lieu, il y a un an ? J’y étais dans ma ville. Donc oui, il y a évidemment de gros problèmes en Amérique, et l’un d’entre eux est le racisme. Ce n’était certainement pas mon intention de critiquer un athlète noir’. »
Mais l’impression laissée par la campagne du basketteur peut paraître étonnante, lui le néo-naturalisé musulman qui est adoubé par Mike Pompeo, le secrétaire d’Etat de Donald Trump, qui avait tenté de limiter l’immigration musulmane aux Etats-Unis. Ne voit-il pas de problèmes dans cette drôle d’alliance avec la droite conservatrice ?
« J’ai le sentiment que les gens peuvent changer » assure-t-il. « J’ai montré à l’Amérique une fois de plus à quel point les immigrants sont importants pour ce pays. Et j’ai effectivement eu une conversation avec M. Pompeo et de nombreuses conversations avec beaucoup de personnes de l’administration Trump. Je leur ai dit que ce pays a ouvert ses bras et a accueilli tous ces immigrants, et que ces immigrants rendront ce pays meilleur. Et il est également important pour les autres pays de voir que l’Amérique accepte tant d’immigrants. »
Parfois également, ses provocations semblent à côté de la plaque, par exemple lorsqu’il reproche à Jeremy Lin « d’avoir tourné le dos à son pays » en jouant en Chine. L’ancien meneur des Knicks est le fils d’immigrés taïwanais mais il est né en Californie, alors de quel pays Enes Kanter Freedom parle-t-il exactement ?
– Il est né en Amérique mais…
– Donc l’Amérique serait son pays.
– Oui, l’Amérique est son pays.
– OK, mais vous disiez qu’il ne devrait pas tourner le dos à Taiwan, même s’il n’y est pas né ?
– Il est américain d’origine taïwanaise.
– Mais qu’essayiez-vous de dire ?
– Il joue au basket en Chine. C’est une honte que la Chine essaie de faire pression sur Taïwan, et comment un Américain d’origine taïwanaise peut-il gagner de l’argent en Chine ?
Comment lire les stats ? MJ = matches joués ; Min = Minutes ; Tirs = Tirs réussis / Tirs tentés ; 3pts = 3-points / 3-points tentés ; LF = lancers-francs réussis / lancers-francs tentés ; Off = rebond offensif ; Def= rebond défensif ; Tot = Total des rebonds ; Pd = passes décisives ; Fte : Fautes personnelles ; Int = Interceptions ; Bp = Balles perdues ; Ct : Contres ; Pts = Points.