Au-delà de l’aspect économique, l’absence de public posait un problème de taille à Adam Silver et ses collaborateurs lorsqu’ils ont réfléchi à la mise en place d’une « bulle » sanitaire afin de finir la saison : celui de l’ambiance sonore. Sans fans, il aurait effectivement été simple d’entendre les salles de Disney World sonner creux. Le spectacle offert à Orlando aurait ainsi pu en prendre un coup et ne pas être du même acabit.
Il a donc fallu se demander comment récréer à Orlando une atmosphère semblable à celle des matchs proposés habituellement, les seuls joueurs (puis leurs familles) présents aux abords du parquet ne pouvant compenser entièrement l’absence de plusieurs milliers de spectateurs.
Mais cette situation en apparence problématique ne l’a finalement pas été tant que ça puisque l’absence de public ne s’est pas trop faite ressentir. Et les dirigeants de la NBA peuvent remercier pour cela les membres de la société Firehouse Productions, chargée de retranscrire l’ambiance sonore des rencontres dans la « bulle ».
Firehouse Productions à la rescousse
Fondée en 1994, cette entreprise est habituée à réaliser ce type de prestations pour des événements de grande ampleur, qu’ils soient sportifs ou non. Depuis une dizaine d’années maintenant, elle collabore justement avec la NBA, s’occupant de toute la partie sonore lors du All-Star Weekend, de la Draft et des cérémonies du Hall of Fame.
À la tête de Firehouse Productions, on retrouve notamment Mark Dittmar, vice-président de la société. Il est l’un des premiers à avoir imaginé ce projet consistant à recréer à Orlando l’atmosphère des matchs. C’est ce qu’il confiait récemment au Poughkeepsie Journal.
« Lorsque l’idée de jouer dans des salles vides a été évoquée, j’ai vu LeBron [James] déclarer en interview qu’il ne jouerait jamais sans les fans. Le lendemain matin, je me suis réveillé en me demandant : ‘Et s’il n’avait tout simplement pas cette impression de jouer sans public ? Et si nous reproduisions si bien la chose que cela paraisse normal pour tout le monde ?’ »
Très vite, Mark Dittmar a donc soumis cette idée à l’un de ses associés travaillant avec la NBA.
« Je n’ai pas reçu de réponse pendant trois jours, jusqu’à ce que je reçoive un message me disant de rejoindre une conférence sur Zoom. Cette réunion a lancé la préparation intense [du projet] ainsi que la conception de tout. Et en un rien de temps, nous sommes passés de regarder Netflix à voyager à Orlando. »
Une organisation XXL
Pour retranscrire une telle ambiance sonore à Disney World, il a fallu s’équiper en conséquence. Pas moins de 100 tonnes de matériel dernier cri ont ainsi été dépêchées dans la « bulle », tandis que dans chacune des trois salles utilisées pour accueillir les rencontres, un important dispositif technique a également été déployé.
Afin de produire le bruit aux abords du parquet, une sorte d’immense chaîne hi-fi composée de 130 hauts-parleurs a été installée. De plus, un système audio à destination des téléspectateurs était diffusé séparément dans les dispositifs télévisuels. Histoire de les immerger au plus près de l’action.
Dans le même temps, de nombreux salariés étaient du déplacement en Floride. Tous y ont vécu pendant plus de trois mois, en étant soumis aux règles sanitaires imposées par la NBA : quarantaine à l’arrivée, tests virologiques au quotidien, port du masque obligatoire sur le site et impossibilité d’accéder librement aux zones fréquentées par les joueurs (les fameuses « green zones »).
Avec l’élimination progressive des franchises, certains travailleurs ont pu être libérés plus tôt que d’autres, les derniers étant restés loin de leurs familles respectives pendant 109 jours au total.
Dans l’ombre, la cacophonie se prépare
Pour proposer un tel rendu, des équipes d’une dizaine de personnes se sont formées. Elles étaient toutes composées de techniciens, d’un DJ et d’un responsable de jeu. Et ce rendu a plutôt séduit les joueurs, à en croire Mark Dittmar. « Lorsque nous avons commencé à mettre du son, on y a été tranquillement. Mais très vite, les joueurs nous ont fait comprendre qu’ils appréciaient en disant : ‘Augmentez, ça nous plaît’. »
Le DJ était notamment en charge des « interactions » avec la fausse foule. Avec un simple bouton, il s’occupait ainsi de la faire « réagir » aux expressions que l’on peut habituellement entendre, comme « DE-FENSE » ou « LET’S GO [nom de la franchise] ».
Quant au responsable de jeu, il officiait tel un chef d’orchestre depuis une pièce avec deux techniciens, équipés d’un boîtier de contrôle à boutons. Relié à un ordinateur, il pouvait envoyer des sons, enregistrés en match ou tirés du jeu vidéo NBA 2K, en fonction du déroulé de la partie.
À eux trois, ils observaient donc les rencontres et dirigeaient les bruits de celles-ci, en temps réel. Et il leur fallait faire preuve d’une réactivité constante car certaines situations se décidaient en un fragment de seconde.
« Si quelqu’un prend un tir décisif, vous ne pouvez pas savoir s’il va rentrer », explique Mark Dittmar. « Donc comment faire en sorte que la foule ait une réaction adaptée ? Si le ballon touche le cercle, tourne autour puis retombe, vous aurez des acclamations puis de la déception. Et ensuite des acclamations pour l’autre équipe puisque le ballon rebondit et va dans l’autre sens. […] Il y avait une pression constante pour obtenir la réaction adéquate au bon moment car, si la foule applaudit quelque chose avec une demi-seconde de retard, cela sonne faux immédiatement. Mais en playoffs, ils ont finalement trouvé la bonne formule. »
Une réussite saluée par les observateurs
Si on peut regretter l’absence de public pour certaines actions iconiques de la « bulle », comme les « game winners » de Devin Booker, Luka Doncic, OG Anunoby ou encore Anthony Davis, le rendu sonore de cette fin de saison à Orlando fut tout de même de qualité.
Pour s’en convaincre, il n’y a qu’à se fier à son avis personnel, comme l’ont fait Roland Duncan, Justin Cooper et Maddy Siegrist, respectivement fan de longue date, ancien joueur universitaire devenu coach au même échelon, et joueuse universitaire pour l’équipe de Vilanova.
« À la télévision, tout nous semblait normal, réaliste et authentique », note Roland Duncan. « J’étais pris dans les matchs et je ne pensais même pas à l’endroit où ils étaient joués, à qui était présent ou non. J’ai simplement regardé les matchs et j’en ai profité sans jamais penser à l’ambiance sonore. Rien ne semblait déplacé donc je n’ai jamais eu à m’interroger à ce propos. Dans un coin de votre tête, vous savez que la salle est vide mais ils sont parvenus à rendre cette expérience normale. C’était incroyable. »
« À la maison, depuis la télévision, les sons nous donnaient l’impression de nous trouver à un match habituel, dans une salle [avec du public]. Je suis sûr que c’était génial pour les joueurs d’avoir du bruit car ça ne leur donnait pas l’impression de jouer devant une salle vide », explique quant à lui Justin Cooper.
« J’ai trouvé que c’était aussi précis que possible », livre pour finir Maddy Siegrist. « Vous ne pouvez jamais reproduire exactement l’atmosphère électrique d’une salle tout au long d’un match mais j’estime qu’ils ont effectué un travail fantastique pour rendre l’expérience aussi réaliste que possible. »