Le Chase Center sonne creux en cette soirée de décembre. Les fans des Warriors s’habituent tant bien que mal à la nouvelle réalité de leur équipe. Six mois après les Finals perdues contre Toronto, les voici témoins d’un duel de cancres entre leurs protégés, bon dernier à l’Ouest, et les Knicks, alors pire bilan à l’Est.
À cette période de l’année, il est rare qu’un match NBA brille par son intensité. Pourtant, dès les premières secondes de la rencontre, Frank Ntilikina est aux basques de D’Angelo Russell. Pression tout terrain, orientation main droite, passage au-dessus des écrans et contestation des mouvements loin du ballon. Le Français est d’ailleurs trop agressif et écope de deux fautes évitables lors des cinq premières de jeu.
Vu de l’extérieur, ce début de match peut être rageant alors que Frank Ntilikina, même s’il a débuté 20 des 24 matchs de New York, n’a pas encore été pleinement adoubé comme titulaire indiscutable. Le meneur de l’équipe de France voit lui les choses sous un angle complètement différent. Les Knicks ont en effet débarqué à San Francisco sur une série de dix défaites consécutives, causée notamment par une défense beaucoup trop permissive. Le tricolore a donc posé les pieds sur le terrain avec un objectif en tête.
« La vidéo est un outil très important pour nous aider à nous préparer pour chaque match »
« Ce soir, c’était vraiment important pour moi d’être très agressif pour donner le ton pour tous mes coéquipiers, même si ça veut dire faire des fautes ou faire des sacrifices, » nous expliquait-il après la rencontre. « Ça ne se voit pas forcément sur la feuille de stats mais, ce soir, c’était d’autant plus important que notre objectif était de retrouver de l’intensité défensive et de revenir à cette identité défensive qui nous a fui depuis plusieurs matchs. »
Cette stratégie n’est évidemment pas la seule décision du Français. Elle avait été décidé en amont de la rencontre par Mike Miller, entraineur intérimaire des Knicks suite au licenciement de David Fizdale, et son staff. Le nouveau technicien dispose dans son effectif de trois meneurs de jeu au profil différent. Frank Ntilikina est principalement porté par sa défense alors qu’Elfrid Payton est plus créateur et que Dennis Smith Jr est un scoreur pur. Le coach new-yorkais utilise d’ailleurs les trois joueurs en comité.
« Tous nos meneurs ont montré quels sont leurs points forts et ce qu’ils peuvent apporter à l’équipe, » disait-il avant le match. « Notre approche est de les faire tous jouer et de voir lequel tire son épingle du jeu mais aussi duquel nous avons plus besoin selon le scénario de la rencontre. »
Frank Ntilikina a ainsi la lourde tâche de devoir défendre sur le meneur adverse. Il passe donc par exemple de Damian Lillard à D’Angelo Russell sans oublier des joueurs comme Luka Doncic, soit trois meneurs au style et au gabarit complètement différent. Comment est-ce que l’ancien joueur de la SIG s’adapte à son vis-à-vis ? C’est la question que nous lui avons posé. Pour lui, tout commence bien avant les matchs, avec l’utilisation de la vidéo pour étudier minutieusement le jeu de ses adversaires.
« La vidéo est un outil très important pour nous aider à nous préparer pour chaque match, » confirme-t-il. « On a aussi des scouting report sur les tendances de ce qu’aiment faire les joueurs adverses. Et par rapport à ça, on s’adapte. On regarde ce qu’ils aiment faire et on essaie de les forcer à faire autre chose pour pouvoir les ralentir. »
Alors que les Knicks avaient joué à Portland la veille, Frank Ntilikina a donc moins de 24 heures pour se (re)familiariser avec le jeu de D’Angelo Russell mais aussi des autres Warriors. Outre le « scouting report », les joueurs peuvent aussi compter sur de nombreux pense-bêtes dans leur vestiaire.
Sur le tableau, le nom des adversaires sont inscrits d’une couleur spécifique, qui leur indique la façon de défendre sur pick & roll. On trouve également une feuille verte sur le siège de chaque Knick faisant office de version raccourcie du scouting report. Frank Ntilikina nous partage alors l’exemple de D’Angelo Russell. « Forcément, on sait qu’il est à l’aise sur sa main gauche donc t’essaies de l’envoyer le plus possible à droite. »
« Au final, c’est comme en attaque, c’est de la lecture du jeu. Parfois vous allez casser un système pour partir backdoor, c’est idem en défense »
Le plan de jeu défensif n’est cependant pas figé, en particulier lorsqu’il s’agit de défendre sur la star adverse. Pendant la rencontre, le staff a donc un tas d’options secondaires prêtes à être communiquer aux joueurs pour pouvoir garder l’équipe adverse sur ses talons.
« Le coaching staff est vraiment très fort sur ça, » nous confirme d’ailleurs le meneur. « Selon la façon dont le match se déroule, ils vont nous demander de changer la façon dont on défend une star adverse, parce que ce genre de joueurs va rapidement savoir comment prendre votre défense à défaut si vous faites toujours la même chose. »
Ces choix ne sont toutefois pas unilatéraux. Si le décisionnaire reste l’entraineur, les joueurs ont leur mot à dire en donnant des indications déterminantes à leur staff. « Il faut pouvoir proposer autre chose, et le coaching staff est à notre écoute pour pouvoir trouver la meilleure stratégie possible, » explique le meneur de jeu.
Ce contexte, qui passe souvent inaperçu pour les fans, et la capacité d’adaptation des joueurs NBA sont donc primordiaux. Ils doivent également jongler entre la stratégie défensive collective de leur équipe, les tendances de leurs adversaires, mais également leurs instincts. Avant la rencontre, Steve Kerr, qui était l’assistant coach de Gregg Popovich en Chine et qui avait pu apprécier les qualités défensives du Français lors du quart de finale de la coupe du monde, ne tarissait d’ailleurs pas d’éloges quant à son intelligence de jeu de ce côté du terrain.
« Il a vraiment un très bon sens de l’anticipation. Il a un gabarit parfait pour un défenseur. Il est long, il est actif. Il peut défendre sur plusieurs positions. Quand on a joué la France cet été, je me souviens qu’il était tout aussi à l’aise sur le porteur que loin du ballon, » nous décrivait l’entraineur des Warriors. « Il a vraiment de très bons instincts. Il l’a montré à la Coupe du Monde et ça continue cette saison. C’est un excellent défenseur.”
Comment toutefois trouver l’équilibre entre faire confiance à ses instincts et rester dans les principes défensifs de l’équipe ? Pour nous l’expliquer, Frank Ntilikina utilise alors une comparaison très intéressante.
« Certes, il y a un plan de jeu qui est établi mais en tant que défenseur, on peut… je ne dirais pas changer le plan de jeu, mais savoir encore mieux quoi faire sur le moment pour stopper notre vis-à-vis, » nous dit-il avant de préciser. « Au final, c’est comme en attaque, c’est de la lecture du jeu. Parfois vous allez casser un système pour partir backdoor, c’est idem en défense. Au final, c’est simplement utiliser son QI basket. C’est-à-dire de l’intelligence de jeu mais aussi de la connaissance du jeu et de l’adversaire. »
Propos recueillis à San Francisco.