La menace d’une grève des joueurs à l’issue de la saison en cours se fait toujours plus précise.
Plusieurs d’entre vous nous ont demandé de raconter comment nous avions vécu la précédente crise, il y a plus de 10 ans…
Après les deux premières parties, publiées samedi et dimanche, place à l’épilogue.
N°87, janvier 1999
Le titre pète en Une : « NBA, ça repart ». Gros ouf de soulagement pour toute la rédaction. La Ligue et l’association des joueurs ont trouvé un accord à quelques heures de la deadline fixée par David Stern. Passé cette limite, la saison 1998-99 aurait été purement annulée, comme la saison 2004-05 en NHL. Et maintenant ? Pour résumer, c’est le gros bordel ! Il y a 50 matches à disputer en cinq mois. Et surtout, 200 free-agents à caser ou recaser de toute urgence.
Parmi les joueurs libres, on trouve pêle-mêle Vlade Divac (Charlotte), Scottie Pippen (Chicago), Jerry Stackhouse (Detroit), Rik Smits (Indiana), Derrick Coleman (Philadelphie), Rod Strickland (Washington), Cedric Ceballos (Dallas), LaPhonso Ellis (Denver), Charles Barkley et Mario Elie (Houston), Tom Gugliotta (Minnesota), Jim Jackson (Golden State), Rick Fox (L.A. Lakers), Antonio McDyess (Phoenix), Damon Stoudamire et Arvydas Sabonis (Portland), Dale Ellis et Sam Perkins (Seattle)…
L’édito, signée du rédacteur en chef, Fred Lesmayoux, est titré « Délivrance ».
« La NBA n’est pas morte. Elle a ressuscité le jour où les trois mages sont venus apporter maillots, shorts et chaussettes aux prophètes du basket US. La raison l’a emporté, la saison est sauvée. Sauver, le terme peut paraître fort et pourtant, c’était une question de vie ou de mort pour la NBA. Au bout de la nuit – décidément, elle porte toujours conseil -, David Stern et Billy Hunter (ndlr : représentant de l’association des joueurs) se sont serré la pogne. Pas de high five mais un bon « tope-là-on-est-d’accord ». Et on s’active alors pour effacer 191 jours d’angoisse, d’attente, d’impatience, d’incompréhension…
Entre gens intelligents, l’optimisme était de rigueur. Mais God que ce fut long ! Happy end à l’américaine et tout le monde au taf début février. Ce numéro de « Mondial Basket » est sans doute celui que la rédaction a pris le plus de plaisir à réaliser. Comme vous, on y a toujours cru et on est bien décidé, pour cette nouvelle saison, même amputée d’une trentaine de matches, à mettre le paquet. Il suffit d’observer les visages radieux des joueurs au sortir de ce tunnel de l’enfer pour comprendre que the show must go on et qu’ils vont désormais tout faire balle en main pour reconquérir les fans.
Imaginez un mec qui n’a pas bouffé de ballon pendant six mois. Rendez-lui son jouet. Son premier réflexe sera de se jeter sur le premier cercle qui se présente. Affamé. Le festin peut enfin commencer. Mais attention, au rythme d’une fastbreak diabolique, tout va se passer très vite. Transferts laser, préparation express, calendrier d’enfer… Y’a plus de temps à perdre ! Ils ont tiré la fève, à eux maintenant de décrocher la couronne. »
500 millions de dollars de salaires partis en fumée
La crise est relatée par Constant Némalé, rédac’ chef adjoint et reporter du canard :
Ouf ! Sauvée. Il y aura bien une saison NBA en 1999. Le scénario implacable imposé à tous les fans de basket par le lock-out NBA a pris fin 24 heures avant l’explosion la plus redoutée de l’histoire du sport professionnel américain : l’annulation pure et simple de l’exercice 1998-99.
Ce mercredi 6 janvier, New York est en état de siège. Un remake de « Armageddon ». Le lock-out est une météorite lancée sur la planète basket. L’impact sera amplifié par 191 jours de palabres, de discussions interminables entre proprios et syndicat des joueurs, de récriminations des fans et des télespectateurs, tous frustrés. 495 matches de saison régulière ont été loupés et plus de 500 millions de dollars de salaires se sont envolés. La météorite va s’écraser sur New York.
Depuis la veille, « Big Apple » a vu affluer plus de 200 stars NBA parmi lesquelles Patrick Ewing, en tête du cortège, et Charles Barkley, en bouffon du roi. Tout ce que l’Amérique compte de médias est là, sans oublier les 29 dompteurs de stars que sont les propriétaires de franchises. Joueurs et décideurs doivent voter. Affolés par le cataclysme qui s’annonce, certains, comme le n°1 de la draft Michael Olowokandi, ont préféré prendre la tangente. Pour le Nigérian, direction l’Italie. Quelques lires prélevées dans le tiroir caisse du Kinder Bologne. De quoi s’immuniser contre le délire ambiant.
Il ignore que toute la nuit, dans un lieu tenu secret, Billy Hunter, le boss du syndicat des joueurs, et David Stern, le patron de la NBA, se sont livré l’un des un contre un les plus longs de l’histoire de la Ligue. Cela a duré 11 heures et 59 minutes ! Au terme d’un suspense aussi intense que les dernières minutes du Game 6 des Finales 1998 Chicago-Utah, ils ont fini par détruire, au buzzer, le lock-out. Quelques heures plus tard, la survie de la Ligue se jouait sur deux votes aux issues incertaines, celui du syndicat des joueurs et celui des propriétaires de franchise. Tout le monde tombera d’accord.
Happy end. Sourires. Embrassades. Soulagement. « Easy D », dans le rôle du bon samaritain, se détend.
« Je suis heureux de savoir qu’il y aura une saison NBA. »
David Stern a obtenu ce qu’il voulait. Les millions de dollars vont toujours couler à flots et remplir les poches des joueurs. Sans pour autant creuser d’énormes trous dans les caisses des franchises qui font rêver les fans, de Chicago à Manille et de Los Angeles à Paris. Partout, on respire. Enfermés dans le building cossu de la General Motors, les joueurs se sont prononcés à 179 voix contre 5 pour la ratification de l’accord. Ils savourent la fin d’un long combat. Dont le vainqueur est ?
« Personne », s’écrie Charles Barkley. « Nous avons perdu trois mois de saison régulière et un All-Star Game. Nous avons dégoûté les fans. Il n’y a ni vainqueurs, ni perdants. On a simplement attisé la colère des supporters. »
Il reste cinq mois – de février à juin – et 50 matches aux joueurs pour se faire pardonner, autant que faire se peut. Une cadence infernale de quatre à cinq rencontres par semaine, avec parfois trois matches d’affilée pour une même franchise, ce qui n’était plus arrivé depuis une décennie. Les équipes auront trois semaines maxi pour construire leur effectif et recaser les 200 free-agents qui piaffent d’impatience. Autant de transferts et de négociations en aussi peu de temps, ce sera du jamais-vu.
Cette frénésie touche tout le monde. A commencer par les Bulls de Chicago. Michael Jordan a déclaré qu’il analyserait la situation, les perspectives offertes au sextuple champion NBA. Ensuite, il prendra une décision. Le feuilleton « MJ » tient tout le monde en haleine. La quête d’un septième titre alimente toutes les discussions. A Chicago, un ballet infernal a commencé. Sitôt l’accord conclu à New York, Jerry Reinsdorf, le proprio des Bulls, a passé un coup de téléphone à Phil Jackson pour l’inciter à revenir à la tête de l’équipe.
Partout, l’heure est aux grandes manœuvres. Il faut jongler pour bâtir une armada compétitive en un laps de temps réduit. Les fax crépitent, les téléphones sonnent, les e-mails fusent, les avions se remplissent… Dans la rue, l’odeur des hot dogs monte déjà de quelques stands. L’appétit vient en mangeant et en jouant. Alors, à table !
Chez les joueurs, c’est le bazar
82 – 32 = une cinquantaine de matches répartis sur 13 semaines de compétition, contre 22 en temps ordinaire. Le All-Star Game de Philadelphie a été annulé depuis belle lurette (il se tiendra trois ans plus tard, en 2002). Pas de temps à perdre pour se qualifier en playoffs. Il n’y a aucun garantie avec 50% de victoires : en 1997-98, Houston avait enlevé le dernier ticket à l’Ouest avec une balance de 41 succès-41 revers alors qu’avec l’Est, Washington fut éliminé avec 51.2% de victoires… Les Bulls et le Jazz, crédités d’un pourcentage de 75.6, n’avaient pas traîné en début d’exercice et s’étaient qualifiés pour la postseason dans un fauteuil. Frais et dispos. On connaît la suite.
Deux cents joueurs sont free-agents et se retrouvent sur un marché d’une dizaine de jours, ouvert à la mi-janvier. Les Bulls font encore l’actualité avec une équipe à (re)construire. On trouve pas moins de 10 zèbres libres : Jordan, Pippen, Rodman, Longley, Kerr, Buechler, Wennington, Simpkins, Burrell et LaRue. En fait, le marché va s’articuler autour des gros bonnets. Pippen, Barkley, Stoudamire, McDyess, Stackhouse, Laettner… Ils sont sur toutes les tablettes. C’est autour d’une tête d’affiche que chaque franchise va s’efforcer de rebâtir, en évitant un remaniement grotesque qui aboutirait à une mise en route laborieuse et sans doute fatale.
Une mise en route laborieuse ? C’est le cadet des soucis d’une équipe comme les Pacers qui est au boulot depuis novembre avec un effectif amputé de seulement deux free-agents : le meneur Travis Best et le pivot hollandais Rik Smits. Les deux lascars ne demandent pas mieux que de rester dans l’Indiana, auprès de Reggie Miller.
A San Antonio, on travaille dans l’urgence, comme l’explique « l’Amiral » David Robinson :
« Je pense que ce sera une saison respectable. Mais on n’a pas le droit à l’erreur si on veut aller en playoffs. Il va falloir bosser dur. »
Et apporter du fun au grand public qui s’est rabattu sur le football américain et le baseball. La tâche n’est pas simple mais elle n’effraie pas Hakeem Olajuwon :
« Les fans reviendront très vite car ils savent qu’on va leur sortir le grand jeu. On a trop attendu… »
Même les training camps seront expédiés à partir du 18 janvier. C’est tout dire !