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Interview Joakim Noah : « La France, les Etats-Unis, la Suède et le Cameroun font partie de moi »

Après la défaite face au Magic et un nouveau match passé au bout du banc, il n’avait pas envie de parler de basket. Ça tombe bien, on avait envie de lui parler de son père, vainqueur de la Coupe Davis, de son grand-père, vainqueur de la Coupe de France de football, mais aussi plus généralement de ses origines. Joakim Noah est un enfant du monde, né aux Etats-Unis d’une maman suédoise et d’un papa franco-camerounais, et ce passeport métissé est l’une des clés de son caractère.

Dimanche dernier, la France remportait sa dixième Coupe Davis, avec à sa tête Yannick Noah. Un monsieur que vous connaissez mieux que quiconque, et on vous imagine très fier ce qu’il continue de faire pour le tennis français ?

Oh oui, je suis fier de mon père depuis toujours ! (rires). Le voir gagner m’a rendu tellement fier, tellement heureux. Je suis heureux pour papa car je sais tout ce qu’il a fait pour en arriver là. Il a travaillé dur, il a traversé des moments tellement compliqués. Revenir à la tête de l’équipe de France n’a pas été une décision facile à prendre, dernièrement il a pris des décisions compliquées pour le bien de cette équipe de France, et le voir gagner est la meilleure des récompenses pour lui. On ne se souvient que des vainqueurs. Il mérite tout ce qu’il lui arrive. C’est mon papa quoi ! Il est à New York depuis trois jours, trois jours qu’il dort, il est fracassé, mais je sais qu’il est un homme comblé, et je pense que c’est la chose la plus importante. Mais je le répète, je suis tellement fier de lui.

Cette haine de la défaite qui fait sa force est un sentiment qui vous habite depuis maintenant 10 ans que vous êtes un joueur reconnu en NBA ?

Papa déteste perdre… Je déteste perdre. Il peut jouer au Monopoly, il fera en sorte de gagner. Nous sommes des lions, c’est un lion, c’est sûr et certain. Il est possédé par cette rage de vaincre. C’est cette mentalité qu’il m’a transmise. À l’instant où je rentre sur un terrain c’est pour gagner, à l’instant où je pousse la porte de l’entrainement, c’est pour travailler dur pour gagner. J’ai construit ma force sur ça. Se battre au quotidien pour gagner et ne pas avoir de regrets. Je ne pourrais jamais le remercier assez pour m’avoir inculqué cette culture et cet état d’esprit qui font la force des Noah.

« Une envie de faire aussi bien qu’eux »

Votre regretté grand-père a aussi gagné la Coupe de France de football avec Sedan en 1961, votre père a le plus gros palmarès du tennis français… All-Star, vous avez gagné deux titres NCAA, un titre de meilleur défenseur de la NBA et une place dans le meilleur cinq de l’année. Pensez-vous que cette réussite est dans les gènes ?

Je ne sais pas si c’est dans les gènes. Mais je sais que c’est une mentalité que je connais depuis mon enfance. On aime gagner. Grandir dans un environnement de sportif, où tout le monde a gagné, t’ajoute un surplus de détermination. Une envie de faire aussi bien qu’eux, de les rendre fiers. C’est dur à expliquer. Papy était une personne forte. C’est un Bikié, et ça signifie « homme de fer ». Noah Bikié, c’est notre nom (son arrière-grand-père Noah Bikié Simon, tué au Cameroun en 1984 et célébré par Yannick Noah dans la chanson « Simon papa Tara »). Nous sommes des Bikié, et c’est aussi ça notre force. Donc j’essaie de garder ça en nous, dans notre domaine. Car je pense que nous partons de loin.

Un jour vous disiez, « J’ai grandi en France, je suis né à New York, d’une mère suédoise, d’un père et grand-père camerounais et je vis aux Etats-Unis, donc quelle est ma vraie nationalité ? » Que vous a apporté ce mélange de cultures ?

Beaucoup de choses. C’est très important pour moi de savoir d’où je viens. La France, les Etats-Unis, la Suède et le Cameroun font partie de moi. Mon grand-père m’a toujours dit « Je sais d’où je viens, donc je sais qui je suis ». Mes racines camerounaises, c’est quelque chose dont je suis très fier. C’est l’humilité, c’est le Makossa (style de musique), c’est rigoler et profiter de l’instant présent. Ma façon d’être au quotidien avec les gens qui m’entourent et qui font de moi une personne comblée. Je suis un Lion Indomptable, et ça, c’est grâce à mon côté camerounais.

Vous vous êtes construit ici aux Etats-Unis, mais on sent le besoin chez vous de repartir au Cameroun le plus souvent possible ?

Oui, c’est une vision de la vie. J’ai eu beaucoup de chance de pouvoir voyager, papa nous emmenait au Cameroun à chaque Noël. Tous les étés, je suis allé en Suède avec ma mère, et cela me change tellement de la culture américaine qui fait partie de moi et qui m’a permis de faire tout ce que je fais aujourd’hui.

« Je suis à New York pour transmettre »

Pour en revenir au Cameroun, ces derniers jours, le mot esclavage a refait surface en Afrique. Joel Embiid a confié à Basket USA il y a quelques jours que c’était aux joueurs africains de faire en sorte d’aborder ce genre de sujet. Sur les réseaux sociaux, on vous a vu justement prendre position.

S’il y a quelque chose que l’on peut faire, on le fait. Il faut agir, car c’est inadmissible et inacceptable. Qu’il y ait encore de l’esclavage en 2017, je trouve ça terrible et triste. Bien sûr, dire quelque chose sur les réseaux sociaux, ce n’est pas suffisant. Mais c’est déjà ça, et si ensuite il y a des choses à faire, il faut qu’on les fasse.

Dans la vie comme aux Knicks, on sent une réelle envie chez vous d’endosser ce rôle de grand-frère. C’est une autre personnalité des Noah. Transmettre et faire en sorte d’aider les gens.

Oui, j’ai toujours eu ce besoin et cette envie de transmettre. C’est en moi. Je suis l’un des plus anciens dans cette équipe, et j’ai envie de transmettre ici. J’ai beaucoup d’expérience, beaucoup de vécu dans ce sport. J’ai eu de bonnes expériences, des mauvaises, j’ai vécu pas mal de choses. Si tu sors du vestiaire la tête haute, que tu travailles dur, que tu donnes tout ce que tu as en toi et que tu restes concentré sur ta progression, alors les choses ne peuvent qu’aller bien. C’est pour ça que je pense que ça va aller.

Après votre second titre NCAA en 2007, vous expliquiez au micro de Canal+ être un « Bao » (pour « baobab), et au Cameroun, on désigne par ce terme une personne pour laquelle on a du respect, une personne qui a réalisé de grandes choses. Aujourd’hui, avez-vous le sentiment d’être un Bao tout simplement plus âgé ?

Il faut rester un Bao à vie ! (rires). Vous savez, tout le monde doit être un Bao. C’est sûr qu’il faut garder cette mentalité et cette fierté pour avancer. Au pays dès que quelqu’un fait quelque chose de bien, on dit que c’est un « chaud gars » ou un Bao. C’est comme ça que l’on parle au Cameroun, donc c’est important de rester au quotidien un Bao !

Propos recueillis à New York

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