Avec le départ de trois cadres historiques de l’équipe de France, et l’incertitude concernant le poste de sélectionneur, beaucoup de questions entourent le futur visage de la sélection nationale. En ligne de mire, l’Eurobasket 2017 qui se tiendra du 31 août au 17 septembre dans quatre pays : Finlande, Turquie, Israël et Roumanie.
Une reconstruction en douceur sous la tutelle de Boris Diaw ?
Médaillée d’argent en 2011, championne en 2013 et médaillée de bronze 2015, l’équipe de France a un standing à tenir pour le prochain Eurobasket alors qu’elle se retrouvera dépeuplée de Tony Parker, Mike Gelabale et Flo Piétrus. Même si ces pertes sont considérables, soit pour des raisons sportives ou humaines, la plupart des observateurs restent confiants pour l’avenir de la sélection.
« Il faut accorder beaucoup de respect à Tony Parker pour avoir toujours été là et avoir donné le maximum, c’est un champion comme on n’en aura peut-être jamais plus. C’est également le cas de Mike Gelabale et Flo Piétrus, » commente l’agent Bouna N’Diaye. « Mais on voit la génération des Argentins mourir, les Espagnols sont aussi sur la conclusion et si la génération Parker se termine, la seule nation à disposer d’un réservoir quasi-illimité, aussi important, avec des grands, du talent, c’est la France. »
D’une part, toute la génération 82-83 n’est pas partie : Boris Diaw a annoncé qu’il poursuivait sa carrière internationale. Pour son ancien entraîneur à Pau et en équipe de France, Claude Bergeaud, cette décision constitue une des nouvelles les plus importantes à l’heure d’entamer cette transition.
« Il faut des gens pour passer le témoin en termes d’état d’esprit et heureusement qu’il n’arrête pas : je parle évidemment de Boris Diaw » détaille l’ex-sélectionneur. « Boris, c’est un monstre. Depuis qu’il est capitaine, il a pris ce rôle à bras le corps : il impulse énormément de valeurs, parfois paradoxales, telles que la convivialité, la décontraction mais aussi le sérieux, le travail. Cela peut sembler des contradictions et pourtant, avec le charisme qu’il a, il a réussi à faire en sorte que les mecs travaillent, se concentrent à 100% sur le basket lorsqu’ils sont sur le terrain et en dehors du terrain, il installe un état d’esprit plus décontracté, presque américain. Tant qu’il y aura des anciens pour transmettre, ça se passera bien. »
Un noyau dur déjà existant
Autour de Boris Diaw, quasi certain d’être présent à moins d’une blessure, le futur sélectionneur dispose déjà d’un noyau dur, présent depuis plusieurs campagnes :
– à la mène, Thomas Heurtel est le candidat numéro un pour remplacer Tony Parker dans le cinq de départ. Après lui, les rotations les plus évidentes sont Antoine Diot et Léo Westermann, présent lors du dernier Eurobasket.
– à l’arrière, Nando De Colo incarne naturellement le taulier. Derrière, il serait pertinent de rappeler Evan Fournier.
– à l’aile, Nicolas Batum représente aussi un joueur phare et son rôle sera sans doute amené à évoluer. En rotation, Charles Kahudi peut prétendre à une reconduction.
– au poste 4, outre Boris Diaw, Kim Tillie et Adrien Moerman sont aux aguets.
– chez les pivots, la densité est là avec Rudy Gobert, Joffrey Lauvergne, ou encore Alexis Ajinça.
La présence de ces joueurs déjà rodés aux campagnes internationales n’amène cependant pas que des garanties. Au contraire, beaucoup de questions se posent au sujet de leur participation ou de leur rôle. En premier lieu, si le sélectionneur n’aura que l’embarras du choix sur le papier, leur retour en équipe de France est conditionné à leur bonne santé mais aussi… à leur accord.
« Il faudra composer avec ceux qui peuvent venir, ceux qui ne le peuvent pas et… ceux qui veulent venir et donc, ceux qui ne le veulent pas », rappelle Claude Bergeaud, qui connaît bien le sujet.
Des participations en suspens ?
Or, deux cas interrogent particulièrement : ceux de Nicolas Batum et d’Evan Fournier. Le premier est sorti très frustré de sa dernière campagne en bleu et il ne l’a pas caché. Quant au second, il n’a pas été sélectionné par Vincent Collet. Sont-ils prêts à revenir sous l’uniforme tricolore, notamment si Vincent Collet revient à la tête de la sélection ?
« Ils sont tous très attachés à l’équipe de France, » assure Bouna N’Diaye, le représentant de Nicolas Batum, Evan Fournier mais aussi Rudy Gobert, Ian Mahinmi et à nouveau, Kevin Seraphin. « Evan l’a prouvé en raccourcissant les négociations alors qu’il aurait pu toucher plus. Rudy a mis en stand-bye ses négociations pour venir. Nicolas Batum a fait quelque chose d’énorme, il y avait d’énormes risques, notamment liés à l’assurance, pour aller à Manille. Ian, contrairement à ce qui se dit, est très attaché à l’équipe de France mais j’estime qu’il a été négligé, au moins en termes de communication. L’avenir de l’équipe de France, il faut leur poser la question. Chacun a un point de vue complètement différent mais il faut leur poser. »
Il est clair que la fédération doit se mettre au clair avec ses talents si elle veut atteindre ses objectifs.
« On ne peut plus faire comme avec Joakim Noah à l’époque : je te vois pas, je te vois, je te séduis… » renchérit Claude Bergeaud. « Le mec, il veut venir ou il ne veut pas venir. Sasha Djordjevic s’est passé de Boban Marjanovic parce qu’il ne voulait pas participer au TQO mais revenir pour les Jeux. Non, tu dégages. Après, il faut savoir fidéliser les mecs. Quelqu’un comme Ian Mahinmi est, par exemple, exactement ce dont nous avons besoin pour l’intimidation. Il est très costaud, il peut amener beaucoup de belles choses. »
Des rôles à revoir ?
Par ailleurs, la dernière campagne a semé quelques doutes au sujet des rôles de chacun et de leur compatibilité. L’association de trois joueurs en demande du ballon, tels que Tony Parker, Nando De Colo et Nicolas Batum, a été questionnée par les basketteurs eux-mêmes et le remplacement du premier par Thomas Heurtel ne devrait pas forcément remédier à ce problème : « Même si c’est le meilleur passeur d’Euroleague, Thomas reste un meneur-scoreur, » estime ainsi Claude Bergeaud.
Quant à l’intérieur, si certains, comme Fred Weis, souhaitent voir Joffrey Lauvergne s’installer au poste 4 : « Joffrey Lauvergne est un excellent joueur mais son vrai poste est ailier-fort. Si tu alignes un vrai 5 avec Joffrey Lauvergne décalé en 4, avec Adrien Moerman en plus, je trouve que tu commences à avoir une belle équipe », d’autres doutent de ce cas de figure, à l’image de Claude Bergeaud.
« Je crois que Kim Tillie peut être beaucoup plus efficace que Jo sur le poste 4 : il a une vraie culture européenne, notamment dans le jeu de passe, que n’a pas Jo, » nous répond le consultant de SFR Sport. « Ce poste, c’est avant tout de l’orientation du jeu, c’est le deuxième meneur sur le terrain et on l’a vu pendant des années avec Boris, et même Flo Piétrus avait une capacité à renverser vite. Même s’il est léger, Kim Tillie est très intéressant défensivement. C’est une peste. Il va très vite sur les aides. De l’autre côté, quand on aura besoin d’un joueur dangereux en attaque, Adrien correspond parfaitement : il est capable de prendre feu. Quand il est en rythme, il peut enchaîner des séries et faire très mal. Joffrey est beaucoup plus mécanique sur les phases d’enchaînement de jeu. Pour le moment, il est vraiment entre le 5 et le 4. En NBA, il joue sur le poste 5 et je ne sais pas comment on peut cultiver des réflexes sur un poste toute l’année et ensuite, passer sur un autre poste. Après, en défense, oui, c’est en effet très compliqué pour lui face à un pivot comme il n’a pas la taille et le poids. Même si on peut tenter des coups et mettre Joffrey de temps en temps, la paire intéressante pour moi à ce poste, c’est Adrien et Kim Tillie. »
Un leadership individuel ou la naissance d’un groupe ?
Depuis une quinzaine d’années, l’équipe de France a toujours été construite autour de Tony Parker et Boris Diaw, ses leaders naturels, l’un par ses performances sur le terrain et son exigence de jeu, l’autre par sa rigueur et sa faculté à fédérer. Même si ce dernier est encore au sein du groupe France, la question du leadership après la retraite de la génération 82-83 se pose depuis plusieurs années.
Pour Claude Bergeaud, Nicolas Batum doit se destiner à prendre le relais.
« Nicolas Batum a vu comment les anciens travaillaient. Même s’il n’a pas la même personnalité, une responsabilité nouvelle peut l’amener à s’investir bien plus et de fait, à être aussi plus performant. C’est quelqu’un qui a peut-être besoin d’entendre qu’il est le boss sur et en dehors du terrain. »
Par le passé, Nicolas Batum revendiquait d’ailleurs clairement ce rôle, une fois ses aînés partis.
« Mon statut a clairement changé. Je me dois d’être l’un des cadres, » disait-il en 2013. « Dans quelques années, ça sera à moi vraiment de prendre la tête de cette équipe. Donc je dois commencer à le faire dès maintenant, prendre le leadership et montrer la voie à certains. Même si je n’ai que 24 ans, c’est ma cinquième campagne. Tous les ans, je progresse. C’est ce que Vincent Collet attend de moi. »
Or, son utilisation amoindrie sur le terrain avec l’émergence de Nando De Colo a contrarié ce plan. À terme, la progression d’autres joueurs, tels que Thomas Heurtel, pourrait aussi bousculer la hiérarchie. Mais si aucun leader naturel ne se dégage, faut-il réellement un patron dans une équipe nationale ?
Si son intention est peut-être de protéger ses joueurs, Bouna N’Diaye pense qu’il faut changer de philosophie.
« Je suis contre cette histoire de mettre en avant un joueur, comme Nando De Colo ou Nicolas Batum, ce n’est pas bon pour l’équipe de France, » déplore l’agent. « Chez les autres équipes comme Team USA ou l’Espagne, tout le monde est sur le même pied d’égalité, l’équipe passe avant tout. »
Un propos qui suscite l’adhésion de l’ex-international et notre consultant, Fred Weis.
« Je suis entièrement d’accord avec ça, » approuve t-il. « Il y a une culture du jeu chez les Espagnols ou en Serbie où le groupe passe avant l’individualité et davantage qu’un joueur, c’est la cohésion collective qui fait la force de l’équipe. »
Des joueurs en réserve tout aussi intéressants…
N’oublions pas par ailleurs que cette question sera intrinsèquement liée aux forces en présence : il peut suffire d’une seule défection pour que l’équilibre soit entièrement remanié. En cas d’absence d’un de ces joueurs cadres, le sélectionneur a des solutions de rechange relativement intéressantes à l’échelle d’un tournoi continental.
En Europe, le coéquipier de Kim Tillie à Vitoria, Rodrigue Beaubois, pourrait amener son flair offensif au poste 2. Le retour en sélection d’Edwin Jackson au TQO est aussi une bonne nouvelle.
Toujours pré-sélectionné mais souvent en proie à des problèmes physiques, Fabien Causeur mène néanmoins une belle carrière en Euroleague. À l’aile, Axel Toupane et Timothe Luwawu-Carrot sont aussi des potentiels prometteurs pour ce groupe. À l’intérieur, il en va de même pour Petr Cornelie, de retour au Mans la saison prochaine. Et les parcours de Livio Jean-Charles aux Spurs et de Guerschon Yabusele en Chine seront suivis de très près.
Sauf à la mène !
Néanmoins, et c’est inattendu pour l’équipe de France, un poste inquiète : celui de meneur. En effet, en cas de blessure ou de défection de Thomas Heurtel, le poste est bien léger avec les seuls Antoine Diot et Léo Westermann comme meneurs de formation. En attendant l’émergence d’un de nos juniors, c’est une grosse préoccupation.
« C’est un drame. C’est un drame que nous n’ayons pas compris, dans notre école de formation, qu’un jour, nous allions le payer » soutient Claude Bergeaud. « On rentre malheureusement dans cette phase aujourd’hui. Des meneurs de niveau international, on n’en a pas cinq. Dans des pays plus petits, ils existent mais pas chez nous. Or, au basket, l’axe meneur-pivot est primordial. Sans ça, on peut avoir les meilleurs postes 2, 3 et 4 du monde, on ne peut pas jouer au basket.
Une nouvelle identité de jeu ?
En dehors de cette inquiétude, beaucoup d’éléments sont rassurants pour l’équipe de France. Avec du sang neuf, celle-ci a les moyens de rester compétitive, d’autant qu’il est aussi possible que son identité de jeu évolue. En effet, si l’on ne peut reprocher à Tony Parker son talent, celui-ci a souvent amené les différents sélectionneurs à concentrer leurs systèmes sur lui, parfois au détriment de la fluidité du jeu.
Contrairement à des sélections comme l’Espagne ou la Serbie, exceptionnelles en termes de circulation du ballon, la France n’a jamais atteint le même niveau de fluidité offensive. Cela pourrait désormais changer : avec Strasbourg, Vincent Collet a montré ses compétences dans ce domaine et s’il reste à la tête de la sélection, il pourrait peut-être avoir plus de marge de ce côté.
« Je pense qu’avec un joueur comme Tony Parker, Vincent Collet a parfois eu des difficultés à partager les responsabilités, même s’il a essayé d’amener un jeu avec de la circulation du ballon mais là, avec ces jeunes joueurs, il pourrait travailler dans ce sens, sans doute avec plus de résultats qu’avec Strasbourg… Je dis ça pour taquiner, » plaisante Fred Weis, toujours fervent supporteur du Limoges CSP.
Même pensée du côté de Claude Bergeaud, proche de Vincent Collet, à la différence près que l’ex-sélectionneur estime qu’il est presque impossible d’obtenir la même précision offensive que nos voisins pyrénéens.
« Quand on a un phénomène comme Tony Parker, l’un des meilleurs meneurs du monde, si l’on ne s’appuie pas sur ses qualités, autant ne pas le sélectionner, » rappelle t-il. « Aussi, une équipe nationale n’a rien à voir avec une équipe de club : nous avons très, très peu de préparation. Et c’était le cas pour Alain Weisz avant moi, comment Vincent aujourd’hui. On pense qu’en prenant des joueurs qui s’adaptent à notre vision, nous allons pouvoir réussir mais il faut beaucoup de pratique collective pour pouvoir concrétiser tous les objectifs de jeu. Ce qu’a fait Vincent à Strasbourg ne peut pas être ce qu’il fait en équipe nationale. En ce qui concerne la comparaison avec l’Espagne, n’oublions pas l’importance de la culture et de la formation des individus : les Espagnols ont une formation bien identifiée, qui va dans ce sens-là. La nôtre, même si elle fait sourire certains pays, a réussi parce qu’elle s’appuie sur une énorme défense. »