En plus d’être inédite, et d’opposer deux MVP, la finale Cleveland – Golden State est aussi l’affrontement de deux franchises construites de manières bien différentes. Pour s’en convaincre, il suffit de regarder leur progression depuis cinq ans.
Comme pour les joueurs d’échecs, le site FiveThirtyEight a d’ailleurs imaginé une méthode de calcul qui permet de mesurer l’Elo d’une franchise, c’est-à-dire son niveau en fonction de ses performances passées et attendues. Dans l’histoire, ce sont les Bulls de Michael Jordan qui ont atteint le plus haut niveau (1 853), le 9 juin 1996.
Golden State n’est pas très loin puisqu’à ce calcul, les Warriors ont atteint 1 813 points dans la série face à Houston. Quant aux Cavaliers, ils viennent d’obtenir leur pic de la saison avec 1 712 points. Retour sur cinq ans d’évolution des deux franchises pour comprendre comment les deux clubs ont ainsi pu atteindre les sommets, de façon bien distincte.
La draft des « Splash Brothers »
En 2009, le camp de Stephen Curry souhaite qu’il rejoigne les Knicks et Mike D’Antoni, où il semble avoir l’opportunité d’exprimer tout son potentiel. Golden State coupe l’herbe sous le pied à New York et prend le meneur avec le 7e choix.
Dans la Baie, l’ambiance est pourtant morose. Stephen Jackson souhaite être transféré et Monta Ellis voit d’un mauvais oeil l’arrivée de ce joueur qui lui ressemble tant.
« On ne peut pas jouer ensemble », répète l’arrière. « On ne peut pas associer deux petits comme ça et leur dire de jouer poste 1 et 2 alors qu’il y a des arrières costauds dans la ligue. Ce n’est pas possible. Bien sûr, on va jouer vite mais, à un moment donné, le jeu va se ralentir ».
La suite donne plutôt raison à Monta Ellis. Stephen Curry montre rapidement son talent offensif mais l’association à l’arrière ne fonctionne pas. Sous les ordres de Don Nelson, les Warriors sont ainsi une terrible équipe défensive (29e de NBA avec 111.7 points encaissés pour 100 possessions) et ne remportent que 26 matches lors de la saison 2009-2010.
Reprise par Keith Smart l’année suivante, l’équipe progresse (36 victoires) grâce notamment à l’arrivée de David Lee mais reste dans les tréfonds défensifs de la ligue (26e défense avec 110.7 points encaissés pa rencontre). Racheté durant l’été 2010 par le groupe d’investisseurs mené par Joe Lacob et Peter Guber, le club veut sortir de la torpeur dans laquelle l’ancien propriétaire, Chris Cohan, l’avait plongé. Pendant 15 ans, les Warriors n’ont ainsi cessé de reconstruire, avec comme seul fait d’arme l’élimination de Dallas lors des playoffs 2007.
Les nouveaux dirigeants prennent vite conscience que le duo Stephen Curry – Monta Ellis ne marche pas. Tous deux trop petits et fluets (1m91), ils ont besoin d’un compagnon de backcourt solide pour tenir les arrières puissants face à eux.
Lors de la Draft 2011, Golden State va donc jeter son dévolu sur un arrière de 2m01 dont le shoot soyeux et le potentiel défensif les intéresse : Klay Thompson. Capable d’être associé à Stephen Curry comme à Monta Ellis, l’arrivée de l’ancien de Washington State prépare le grand changement à Golden State…
L’arrivée d’Andrew Bogut en échange de Monta Ellis
Celui-ci aura lieu quelques mois plus tard, le 13 mars 2012. Alors que Stephen Curry est plombé par des problèmes de cheville qui l’obligeront à se faire opérer, les Warriors décident d’envoyer Monta Ellis (plus Ekpe Udoh et Kwame Brown) à Milwaukee en échange d’Andrew Bogut et de Stephen Jackson.
Enorme risque puisque le meneur est à l’infirmerie avant de se faire opérer d’une cheville et que sa fragilité physique inquiète. Quant au pivot australien, il est également sur la touche avec une fracture de la cheville. Si séparer Stephen Curry et Monta Ellis était acté, Joe Lacob avoue néanmoins que l’un comme l’autre aurait pu rejoindre le Wisconsin.
« J’ai toujours du mal à parler de Monta Ellis », confie-t-il juste après l’échange. « C’est l’un de mes joueurs préférés en NBA. Ceux qui disent le contraire sont fous, je l’apprécie vraiment beaucoup et ça a été très difficile de le laisser partir. Mais il était la pièce nécessaire pour faire venir Andrew Bogut. Nous aurions échangé l’un ou l’autre [Curry ou Ellis] pour faire franchir un pallier à cette franchise ».
Mais le public n’apprécie pas et quelques jours plus tard, alors que Golden State retire le maillot de Chris Mullin, les spectateurs de l’Oracle Arena conspuent le propriétaire du club.
C’est alors Rick Barry, légende du club et champion en 1975, qui va prendre le micro pour un discours quasi prophétique.
« Vous êtes les meilleurs fans du monde, c’est ce que vous dites ? Montrez un peu de classe. Voilà un homme avec qui j’ai discuté, il va changer cette franchise. C’est dingue. Vous ne vous rendez pas service. Après tous les compliments qu’on vous a fait, voilà comment vous traitez cet homme qui dépense son argent pour faire du mieux possible et radicalement changer le club. Je sais qu’il va le faire alors montrez lui le respect qu’il mérite ».
La libération du potentiel
Ce trade aura plusieurs effets :
– offrir la pleine gestion du jeu à Stephen Curry
– former un backcourt enfin solide avec un joueur capable de se charger des arrières puissants
– permettre le développement rapide de Klay Thompson
– apporter un vrai intimidateur dans la raquette grâce à Andrew Bogut
Avec Mark Jackson, engagé à l’été 2011, la franchise cherche désormais à définir son identité défensive. La saison 2012-2013 marque enfin la remontée. Le duo Stephen Curry – Klay Thompson fonctionne et devient les « Splash Brothers ». Le rookie Harrison Barnes joue juste et l’équipe retrouve enfin les playoffs après avoir terminé sixième à l’Ouest.
Après avoir éliminé les Nuggets, les Warriors tombent avec les honneurs face aux Spurs et Golden State devient l’équipe qui monte. La saison suivante est plus contrastée. Encore sixièmes à l’Ouest, les hommes de Mark Jackson sont éliminés dès le premier tour par les Clippers. Certes, la blessure d’Andrew Bogut les a sans doute plombés mais l’ambiance au sein du club se détériore dans une ambiance de paranoïa générale.
Bien que soutenu par une grosse partie de ses joueurs, Mark Jackson est licencié. Pour Golden State, il s’agit désormais de trouver quelqu’un capable d’exploiter tout le potentiel de ce groupe.
Si l’équipe est devenue la 4e défense de NBA (102.6 points encaissés pour 100 possessions), elle stagne par contre offensivement (12e attaque). Anormal quand on compte dans ses rangs deux des meilleurs shooteurs de la ligue et une pléiade d’autres joueurs capables d’apporter leur contribution offensive.
C’est avec deux anciens de la maison Phoenix, Steve Kerr et son assistant Alvin Gentry, que les Warriors vont faire leur dernière évolution. Reprenant le socle mis en place par Mark Jackson, ils vont mettre en place un jeu basé sur davantage de mouvements et de fausses pistes. Refusant finalement de faire venir Kevin Love en échange de Klay Thompson et profitant de la blessure de David Lee, ils insèrent Draymond Green au sein du cinq majeur, de quoi solidifier encore plus la défense en permettant de nombreux changements sur les écrans.
Le résultat, c’est la domination de Golden State sur la saison avec la deuxième meilleure attaque (111.6 points marqués pour 100 possessions), la meilleure défense (101.4 points encaissés pour 100 possessions) et des records à la pelle.

La draft de Kyrie Irving
Si les Warriors étaient rachetés il y a cinq ans et que les fans reprenaient espoir, l’ambiance à Cleveland était complètement différente. LeBron James venait d’annoncer son départ pour Miami à la suite d’un show médiatique qui place l’Ohio en pleine torpeur. Les fans des Cavaliers brûlent le maillot de l’Elu et Dan Gilbert, le propriétaire de l’équipe, se fend d’un courrier assassin dans lequel il promet que la franchise remportera un titre avant « le roi auto-déclaré ».
La réalité est terrible pour Cleveland. Sans son maître à jouer, l’équipe s’écroule et enchaîne les défaites. La première saison sans LeBron James est une catastrophe avec 63 défaites, dont 25 consécutives et une fessée (57-112) face aux Lakers !
Le seul highlight de la saison viendra… des bureaux. En février 2011, les dirigeants décident ainsi d’envoyer Mo Williams et Jamario Moon chez les Clippers en échange de Baron Davis (Los Angeles cherchant à se débarrasser de son encombrant contrat) et du premier choix de Draft de la franchise californienne. Et c’est bien grâce au pick des Clippers que Cleveland récupère le premier choix de la Draft (Kyrie Irving), l’année suivante, malgré une probabilité de 2.8% de l’obtenir.
Avec leur propre choix, les Cavaliers choisissent Tristan Thompson en quatrième position.
Le retour de LeBron James
La suite n’est pas glorieuse pour la franchise de l’Ohio. L’équipe ne progresse pas (32% de victoires l’année du lockout puis 29% lors de la saison 2012-2013) et les choix de Draft de la franchise sont très douteux. Essayant de court-circuiter le processus classique, ils misent ainsi sur Dion Waiters (4e choix en 2012) et Anthony Bennett (1er choix en 2013), deux joueurs attendus beaucoup plus bas et qui vont beaucoup décevoir.
L’an dernier, ils font un choix plus attendu en sélectionnant Andrew Wiggins avec un nouveau premier choix. Avant que, le 11 juillet, LeBron James ne fasse trembler sa terre natale avec sa lettre dans Sports Illustrated : « I’m coming home ».
« La lettre de Dan Gilbert, les huées des fans de Cleveland, les maillots brûlés… Voir tout ça a été dur pour ma femme et ma mère », écrit-il. « Mes sentiments étaient partagés. C’était facile de dire que je ne voulais plus avoir affaire à ces gens-là. Mais il faut se mettre à leur place. Et si j’étais un petit garçon qui admirait un athlète, que cet athlète lui donnait envie de réussir, mais qu’il partait ? Comment aurais-je réagi ? J’ai rencontré Dan, je lui ai parlé les yeux dans les yeux, d’homme à homme. Nous en avons discuté. Tout le monde fait des erreurs. J’en ai fait aussi ».
Revenant pour boucler son histoire et parce qu’il voit le talent de Kyrie Irving, le King a désormais l’aura de deux titres et quatre finales en quatre ans. Dans ses valises, il arrive avec Mike Miller et James Jones tandis qu’il convainc Kevin Love de le rejoindre dans l’Ohio, en échange d’Andrew Wiggins.
Le nouveau « Big Three » s’est formé mais les interrogations demeurent et la première partie de saison est moyenne.
Les multiples échanges réussis en cours de saison
Le 13 janvier, l’équipe pointe ainsi à 19 victoires pour 20 défaites et ses problèmes défensifs sont patents tandis que LeBron James joue à l’économie. Le GM David Griffin aura le mérite de ne pas faire traîner les choses. Sentant les besoins de son équipe, il récupère Timofey Mozgov grâce à deux premiers choix de Draft. Le pivot russe stabilise la défense des Cavaliers en offrant de la taille et de l’intimidation à une équipe jusque-là dépourvue de point d’ancrage intérieur, surtout après la nouvelle blessure d’Anderson Varejao. Pour Charles Barkley, l’ancien Nugget a même « sauvé la saison » des Cavaliers.
Quelques jours plus tôt, les Cavaliers avaient réussi un autre joli coup en faisant partir Dion Waiters, de plus en plus mal à l’aise, pour récupérer JR Smith et Iman Shumpert. Le prix ? Lou Amundson, Alex Kirk et un deuxième choix de Draft…
Equipe médiocre jusque-là, Cleveland va finir en boulet de canon. LeBron James retrouve son niveau de quadruple MVP, entouré de joueurs athlétiques sur les ailes et d’un pivot capable de bloquer les pénétrations adverses. La troupe de David Blatt, construite en à peine sept mois, remporte alors 34 de ses 43 derniers matches avant de se hisser en Finale.
Entre la reconstruction longue de Golden State et le remodelage express de Cleveland, qui sortira vainqueur ? Rendez-vous le 4 juin pour ce nouvel épisode du lièvre et la tortue…