La nouvelle n’est pas passée inaperçue : la plus grosse fortune de la Russie est devenue propriétaire des New Jersey Nets.
A quelques mois du déménagement à Brooklyn, ce rachat a fait l’effet d’une bombe, et Basket USA a décidé d’en savoir plus sur cette opération financière où des centaines de millions se sont évaporés, tandis que l’ombre de LeBron James plane déjà sur le futur de la franchise.
Vous avez certainement dû en entendre parler : Mikhaïl Prokhorov, première fortune de Russie, s’est porté acquéreur des New Jersey Nets. Grâce à un accord avec Bruce Ratner, le précédent propriétaire, il serait en passe d’obtenir 80% des parts du club, plus 45% des parts de la nouvelle salle. Le tout pour une somme proche de 200 millions de dollars totalement dévouée à la construction de la nouvelle salle, les Nets lui revenant pour « un prix symbolique ».
Ratner et son groupe d’investissements avaient pourtant racheté les Nets en 2004 pour 300 millions de dollars. En décembre, le magazine Forbes avait estimé la valeur de l’équipe à 295 millions de dollars. Quant au projet de salle, il est quant à lui estimé entre 800 et 900 millions de dollars.
Logiquement, pour obtenir 80% d’une équipe qui vaut 295 millions plus 45% d’un projet qui vaut 800 millions, il faudrait débourser au minimum 600 millions de dollars. D’ailleurs, l’entourage de Prokhorov avait déclaré récemment qu’aucun deal n’était possible à moins de 700 millions.
Alors, où sont les 500 millions manquants ? Visiblement, ils sont contenus dans l’étrange formule du communiqué : « En accord avec l’accord signé, les entités formées par le groupe Onexim (l’entreprise de Prokhorov, ndlr) investiront 200 millions de dollars et prendront certains engagements de fonds pour acquérir 45% du projet de salle et 80% de l’équipe NBA ».
Certains engagements de fonds ? Une source new-yorkaise nous a confirmé que « le deal devait être structuré de telle façon que Prokhorov absorbe les dettes courantes de l’équipe (ce qui est positif pour les investisseurs actuels) et puisse investir plus tard ».
Bruce Ratner, interrogé sur le manque à gagner de l’opération, s’est lui montré très évasif :
C’est un très bon accord. Parce que, quand vous parlez de 300 millions de dollars, cela prend en compte les financements, autant que les salles. Il n’y a quasiment jamais d’équité dans la construction des gymnases. Ils sont souvent 100% financés. Dans notre cas, nous mettons 200 millions de dollars. Si vous regroupez le tout, c’est un marché de type 50/50. Il y a donc un investissement de 400 millions de dollars partagés équitablement.
Pour nous, c’est formidable. Parce que ça met en collaboration deux businessmen, deux pays, et ça fait de ce projet, déjà incroyable, quelque chose avec un public et une direction très diversifiés mais pourtant réunis. C’est donc une grande chose pour nous et le sport.
Alors que toute la presse imaginait déjà l’équipe que Prokhorov pourrait construire à Brooklyn, le New York Times a tenté de comprendre la négociation. L’oligarque russe se serait ainsi engagé à prendre en charge les futures pertes des Nets (soit 60 millions de dollars) mais aussi les dettes du club (160 millions).
Pourquoi ? Veut-il les combler, les utiliser ? Difficile à dire, mais Prokhorov est un homme d’affaires avisé et il serait étonnant de le voir se couvrir de dettes sans pouvoir en faire quelque chose. Pourtant, Michael Ozanian, éditeur du célèbre magazine Forbes, déclarait que « le Russe prend beaucoup de risques quant à l’éventualité d’un retour gagnant. Il a réussi un bon accord pour l’équipe, mais il prend beaucoup de risque avec la salle et la dette. »
Peut-être… Mais si, comme l’affirme le New York Times, le montant de la transaction s’élève à 420 millions de dollars alors que la valeur de l’achat est au bas mot de 600 millions de dollars, il n’est pas sûr que l’affaire soit si mauvaise…
Pourtant, les véritables motivations de Mikhaïl Prokhorov restent obscures, lui qui, de plus, est un personnage complexe et suspect. En Janvier 2007, il avait été ainsi arrêté à Courchevel dans une affaire de prostitution organisée. Relâché, l’enquête semble toujours en cours. Le procureur de Lyon n’a toutefois jamais rien pu prouver, peut-être parce que Prokhorov est innocent, peut-être aussi car il n’a pas véritablement pu mener d’enquête, n’ayant jamais reçu de réponse du juge de Moscou à sa demande de commission rogatoire…
Mais le projet de Ratner ne constituait pas uniquement en la construction d’une salle de basket, il s’agissait aussi de construire à Brooklyn 16 immeubles. Un projet colossal, et des gains potentiels astronomiques. Des habitants du quartier se sont constitués en association, la « Don’t Destroy – Develop Brooklyn », qui a réussi à ralentir le projet durant des années grâce à des actions mettant en avant la préservation du patrimoine de la ville. Pas sûr pourtant qu’il soit possible de ralentir Prokhorov dont la préservation du patrimoine n’est pas le souci majeur, lui qui avait organisait en Juin dernier une gigantesque fête (que beaucoup qualifièrent d’orgie) sur l’ « Aurore », un bateau sacré en Russie tant il est lié à la révolution de 1917, provoquant un véritable scandale dans l’opinion russe.
Dernier aspect, et non des moindres, Prokhorov détient 18,5% de l’entreprise Rusal dont le journal Le Monde avait présenté il y a quelques années les liens avec la « famille » russe.
Son investissement à New-York a pourtant été mal vu en Russie, certains le qualifiant d’ « antipatriotique », et ce même si Prokhorov avait pris des précautions en assurant qu’en retour, cette participation pourrait aider le développement du basket russe. Mais alors que la filiale féminine du CSKA fait face à des risques de faillite, investir à l’étranger pour aider indirectement son pays parait illogique.
Néanmoins, en temps que créateur et ancien propriétaire du CSKA Moscou (il a depuis cédé le club), Prokhorov a démontré qu’il pouvait monter un projet sportif ambitieux capable de remporter des titres. Surtout, il a assuré durant ses années d‘actionnariat un budget fiable, là où la plupart des clubs russes dépérissaient et s’est créé des connexions puissantes dans le milieu du basket. Ettore Messina, sans doute le plus grand coach européen, ou encore Maurizio Gherardini, vice-président des opérations basket des Raptors, qu’il avait essayé de débaucher. Et on rapporte même qu’une entrevue avec LeBron James aurait déjà eu lieu…
Alors, la reprise du club par un oligarque russe peut-elle permettre aux Nets de revenir sur le devant de la scène ? Si David Stern a pris la nouvelle avec entrain, l’acquisition des Nets par Prokhorov doit encore être approuvée par une majorité des dirigeants NBA (23 dirigeants sur 30 doivent se prononcer pour). Et si le deal est accepté, il s’agit certainement d’une bonne affaire pour Prokhorov et Ratner.
Pour Prokhorov, car il obtient les Nets pour une bouché de pain et investit en plus dans un gigantesque projet immobilier à New-York. Pour Ratner, car il a réussi à se débarrasser des Nets dont il ne voulait plus (et dont on peut même se demander aujourd’hui si l’achat n’était pas uniquement motivé par l’immense projet immobilier mis en place), faire peau neuve en se libérant de ses dettes et, surtout, boucler le dossier avant Décembre, sous peine de perdre les centaines de millions de dollars de remise promis par la mairie new-yorkaise.
Reste à savoir si la NBA, depuis toujours très conservatrice au niveau de ses finances, supportera la transition avec une économie spéculative qui gangrène déjà le football européen…