« Je les ai vus de mes propres yeux… Ils arrivent. » « Russell, du calme, qui arrive ? »… « Les Spurs… », rétorque à Kevin Durant un Russell Westbrook terrifié. Et de l’autre côté de l’infranchissable « Mur » gelé, voilà que les épouvantables « marcheurs blancs » aux yeux bleu glacé débarquent : Tony Parker, Tim Duncan et un Gregg Popovich poussant un cri monstrueux d’avertissement avec sa plaquette, « Championship is coming. »
Bienvenue dans Game of Zones, la série qui a cartonné entre 2014 et 2020 en baignant dans l’univers de Game of Thrones pour mieux parodier la NBA. Avec cet exemple des Spurs donc, utilisés pour incarner le rôle des grands méchants de la série originale. Une évidence à l’époque.
« Parce qu’on les décrivait sans personnalité, comme des machines marchant à l’Ouest. Et puis Westbrook et Durant dans la Garde de nuit pour voir l’inévitable arrivée des marcheurs, mettant fin à leur rêve de titre », se souvient pour BasketUSA Adam Malamut, créateur avec son frère Craig, de Games of Zones. Pour mémoire, lors de l’année de lancement de l’animation, les Texans avaient battu le jeune Thunder en finale de conférence avant de remporter le titre.
Comment l’idée d’une telle association a-t-elle germé chez les frères Malamut ? Retour quelques années plus tôt, avec ces deux hommes originaires de South Jersey . Avant l’animation, Adam travaillait dans l’écriture d’émissions télévisées et il s’est formé en s’enfermant une semaine dans son appartement et en suivant « tous les tutoriels disponibles en ligne ». Quant à Craig, il était diplômé en… astrophysique, et les deux s’amusaient déjà à mettre en scène des athlètes en train de causer de leurs performances avec « Sports Friends », diffusé sur Yahoo Screen.
Un épisode test jusqu’à une série complète
« Je me disais qu’on n’entendait jamais les sportifs dire ce qu’ils ressentent vraiment, l’idée était de fixer les choses d’une manière enfantine », défend le créateur qui, dans « Basketball Friends » avait aussi mis en scène LeBron James et Dwyane Wade parlant de leur désir de titre avec le Heat comme s’il s’agissait d’une friandise. Cette scène fantasmée a été vue plus de 250 000 fois sur Youtube.
Ce sera suffisant pour attirer l’attention de Bleacher Report, qui vient d’être acquis par TNT, et d’envisager une collaboration pour aller plus loin dans la « niche du cartoon sportif ». Après une première hypothèse d’associer Game of Thrones à la NFL, l’option NBA est finalement retenue. Abonné à l’année des Sixers, Adam est un bon connaisseur là où, au démarrage de la série, son frère… « ne savait même pas qui était Stephen Curry. Il ne connaissait rien de la NBA hormis Allen Iverson. »
Ainsi est produit cet épisode test (évoqué plus haut) où Derrick Rose, privé de ses genoux tel un Bran Stark, est contraint d’être véhiculé sur le dos d’un Carlos Boozer imitant le géant Hodor. Premier épisode et premier carton pour la jeune série. Le « diagramme de Venn » (façon de représenter des ensembles d’objets qui ont des caractéristiques communes) entre les fans des deux univers semble être suffisamment large pour que ce soit un succès.
Alors Bleacher Report en redemande. D’autres épisodes, carrément des saisons. Un sacré challenge pour les deux hommes devant générer une série sur la base d’une vidéo virale. Il faut donc aller beaucoup plus loin dans les analogies. « On avait ce document absurde où on se disait : ‘Bon, comment fonctionne l’économie ? Je suppose que si votre équipe se porte bien, votre ville est plus riche. C’est pourquoi le Heat sont les Lannister ! Mais les Nets ou les Sixers, c’est Flea Bottom’ (l’un des quartiers les plus pauvres de la capitale Port-Réal) », avait décrit Craig Malamut dans long passage chez Hoophype en 2020.
Liberté quasi-totale
Le processus de création n’est pas vraiment formel. Les idées émergent au fil des scènes de la vraie série que les frères dévorent. Exemple : une différence de statut entre deux personnages, comme Tywin Lannister et Arya, qui est à son service pendant un temps, peut générer une séquence similaire dans Game of Zones entre un coach et un rookie. Chaque matin, les créateurs lisent ce qui se dit sur Twitter et Reddit pour tirer les grandes lignes de l’actualité NBA. Au besoin, ils font appel aux experts de Bleacher Report pour affiner le contenu. Retouche après retouche, les clins d’œil fonctionnent encore mieux.
Et la liberté est quasi-totale de la part du commanditaire, surtout quand Adam Malamut compare leur nouvelle animation lancée en 2024 avec la Fox, Universal Basic Guys, n’ayant aucun lien avec l’univers basket. Un bémol, une fois : « L’épisode des Nets, (Bleacher Report) trouvait un peu trop méchant de démarrer la saison comme ça, mais on voulait aller de la franchise la plus médiocre pour aller jusqu’au château doré des Warriors », défend le créateur.
Celui-ci a souvent l’impression d’aller trop loin dans le sarcasme. Surtout lorsqu’il est amené à fréquenter les acteurs de la ligue dans la vraie vie. Même si la plupart d’entre eux se font à l’idée de voir leur situation être parodiée. Il se souvient d’un post sur les réseaux favorable de l’ancien joueur du Magic Mario Hezonja qui, au moment de conclure un échange dans l’animation, a moins de valeur qu’un… cheval aux yeux des Raptors. TJ Warren aurait en revanche moins aimé le fait d’être parodié.
Créer leur propre univers
À plusieurs reprises, certains joueurs NBA proposent leurs services pour poser une voix. Mais les créateurs refusent pour préserver le ressort comique. Avant d’être rejoints par une équipe d’une dizaine de personnes, les deux frères s’occupent dans un premier temps de tout, de l’écriture à l’animation en passant par les voix. Résultat, les deux premiers épisodes sont générées après environ trois semaines, en travaillant 80 heures par semaine.
Avec le temps, les frères Malamut s’émancipent de Game of Thrones pour créer leur propre univers « qui se tient dans un environnement médiéval influencé » par la série. Ainsi, les fans de la Grande Ligue n’ayant jamais regardé les aventures de Jon Snow s’y retrouvent largement. « Si tu connais Game of Thrones mais pas la NBA, cela ne te dira rien. À l’inverse, tu peux apprécier car toutes les blagues et les références viennent de la NBA. »
Surpris par le succès de la série, Adam Malamut est conscient que de nombreux fans seraient favorables au retour de l’animation, qui s’est arrêté en 2020, un an après la série originelle. Alors oui, il confie avoir été « clairement tenté » de relancer une parodie autour du monde toujours plus tourmenté de la NBA. Les récents événements autour de Luka Doncic ou Jimmy Butler auraient généré beaucoup de matière pour son frère et lui.
« Ce n’est pas possible maintenant, mais cela pourrait être amusant de le faire revenir. Ça me rend un peu nerveux parce que toutes les émissions qui s’arrêtent et essayent de revenir, c’est toujours mauvais quand ils reviennent. C’est clairement une possibilité mais dans le futur proche », note le créateur qui estime malgré tout avoir fait « toutes les blagues possibles sur le basket » et a beaucoup aimé la façon dont ils ont terminé Game of Zones.
« À chaque fois que tu écris un épisode, tu te dis ‘Celui-là craint, ça ne va pas être bon, ils vont détester’. J’ai perdu cette perspective à l’époque. Quand je regarde à nouveau avec le recul, avec des yeux frais, j’ai été frappé par la qualité. C’était si naturel, si unique, tellement une chose à part. C’était bien meilleur que cela ne devait être », termine-t-il.