Passé par la NBA entre 2002 et 2008, sans autre récompense qu’une place dans le second meilleur cinq de rookies en 2003, Gordan Giricek est probablement un nom inconnu de nombreux fans de la balle orange.
Mais le shooteur croate, huit fois champion en son pays avec le Cibona Zagreb et une fois champion de Turquie avec le Fenerbahçe, était bel et bien un des meilleurs joueurs européens de sa génération. On ne score pas 23 points de moyenne en Euroleague (avec le CSKA Moscou en 2001) sans être un attaquant d’élite…
Passé de Zagreb à Moscou à l’été 2001, Gordan Giricek fera rapidement le saut vers la NBA l’été suivant, trois ans après sa Draft en toute fin de second tour par les Mavs, en 40e position. Il faut dire qu’en finissant deuxième meilleur scoreur de la saison en Euroleague, derrière Alphonso Ford (qui a depuis donné son nom au trophée de meilleur scoreur de la compétition), Gordan Giricek avait fait forte impression.
Mais ce n’est pas chez les Mavs, ni chez les Spurs qui ont disposé de ses droits pendant un temps, mais bien à Memphis, que l’arrière européen va poser ses valises à l’été 2002. À 25 ans, Gordan Giricek se sentait fin prêt à saisir l’opportunité NBA, peu importe où il atterrirait.
Avec 29 points pour ses débuts américains, il a démontré que la transition entre le jeu européen et la NBA était non seulement possible mais de plus en plus accessible aux joueurs du Vieux Continent. Comme il l’explique d’ailleurs dans un long et passionnant entretien avec la presse croate, pour lui comme pour un Luka Doncic aujourd’hui, quand on évolue au plus haut niveau européen, on a ses chances de pouvoir briller outre-Atlantique. À l’inverse, certaines stars européennes n’ont pas ce qu’il faut pour passer le « cut » en Amérique…
Rookie peut-être, mais pas esclave…
« À l’époque, on pouvait encore défendre avec les mains (le « hand checking ») mais c’était tout de même plus facile de scorer qu’en Europe. Mais comme aujourd’hui, il y a des différences dans les règles qui n’autorisent pas les défenseurs à être dans la raquette plus de trois secondes. De plus, le terrain est un peu plus large, la ligne à 3-points est plus loin, donc l’espace entre celle-ci et le panier est plus grand. Il y a beaucoup plus de marge de manœuvre si vous êtes talentueux et si vous savez ce que vous faites. En Europe, vous pouvez vous cacher en défense car vous êtes protégé par des joueurs de grande taille qui campent dans la raquette. C’est pourquoi certaines des légendes européennes ne sont pas passées en NBA parce qu’elles ne jouent pas bien en défense ou sont une sorte de « combo-backs ». Par exemple, [Vassilis] Spanoulis, qui est au « Hall of Fame » de la FIBA et un très grand champion, n’a pas réussi en NBA parce qu’il était trop lent pour un meneur, trop petit pour un poste 2, et n’était pas un shooteur nettement meilleur que les autres. »
Ayant pu jouer face à Michael Jordan (mais « Papy Jordan » plutôt que « Papa Jordan ») ou Kobe Bryant, Gordan Giricek n’est pas du genre à avoir peur de son adversaire. Cela dit, il est aussi capable de bien évaluer ses opposants, estimant pour le coup que « His Airness » reste tout en haut de la hiérarchie, avec Bryant pas loin derrière.
« Un top player, [Kobe] avait tout dans son sac, j’ai toujours dit qu’il avait plus de talent que Jordan. Jordan est plus charismatique et avait un meilleur physique, mais Kobe avait un meilleur tir à 3-points et une meilleure main gauche. Jordan est, bien sûr, le GOAT. Si l’on regarde toutes les caractéristiques que doit avoir un athlète et ce qu’il a fait pour la popularisation mondiale du sport, personne ne peut même atteindre ses chevilles. Il est un GOAT pour moi, et Kobe est juste derrière lui. »
Joueur à fort caractère toute sa carrière durant, Gordan Giricek a rencontré quelques problèmes dans son adaptation à la vie en NBA. S’il avait clairement le talent pour survivre dans la jungle américaine, avec une saison rookie à 12 points, 3 rebonds et 2 passes de moyenne, il n’avait par contre pas envie de se plier aux multiples obligations qui accompagnaient son statut de débutant. Les « rookie duties », très peu pour lui ! Ou, plus précisément, ça va, mais jusqu’à un certain point…
« Je ne les ai pas refusées mais je n’accepte pas que quelqu’un se moque de moi. Imaginez un joueur NBA qui arrive en Europe après cinq saisons et tout le monde lui demande d’aller chercher des sandwichs. J’ai tout fait pour l’équipe : charger et décharger les bagages de l’avion, laisser des sacs aux portes de tout le monde le matin avant l’entraînement, mais ils ont commencé à profiter de mes obligations et j’ai dit que ça ne marcherait pas. J’ai discuté avec quelques gars de l’équipe et seulement un, Michael Dickerson, m’a défendu et a dit que j’avais bien fait. J’ai assumé mes devoirs pour l’équipe mais il n’y avait pas moyen que quelqu’un m’envoie lui chercher du parfum ou de ramener son sac dans sa chambre. (…) Il ne me serait jamais venu à l’esprit d’exploiter quelqu’un comme ça, c’est dingue. Je ne tolère pas que quelqu’un me terrorise. En tant que rookie, j’étais coupable et j’en ai assumé les conséquences. Mais je ne pouvais pas aller contre ma morale, si je pense que quelque chose est injuste. À cause de ça, je savais que je n’étais pas très populaire parmi mes coéquipiers mais je m’en fichais. J’en suis sorti les mains propres, sans avoir à dire quoi que ce soit sur quiconque dans leur dos. »
Clairement pas fan de Tracy McGrady
Echangé dès sa première année NBA, de Memphis à Orlando, Gordan Giricek va connaître de très bons débuts, avec plus de 14 points et 5 rebonds sur la fin de saison 2002-03, avant la douche froide la saison suivante. Le Magic voulait construire autour du duo Tracy McGrady – Grant Hill, mais l’affaire a capoté, à cause des blessures à répétition du malheureux Hill bien évidemment, mais aussi à cause de troubles en interne, avec un McGrady qui n’a clairement pas fait une forte impression à Gordan Giricek.
« L’équipe était super. Grant Hill y a contribué immensément en tant qu’homme mais aussi en tant que grand joueur. Darrell Armstrong était un joueur et un coéquipier fantastique, tout comme Jacque Vaughn. C’était un gars formidable et un bon leader. La deuxième année, c’était une autre limonade avec les nouveaux joueurs qui sont arrivés et qui n’étaient pas des joueurs d’équipe. D’abord, il y avait Tracy McGrady, Juwan Howard et Tyronn Lue. Ils étaient la colonne vertébrale de l’équipe mais pas en termes de caractère. Je ne les aurais jamais pris dans l’équipe, peu importe leur talent. McGrady scorait 30 points par match mais ce n’était pas un leader. Il ne voulait pas gagner à tout prix et ça s’est vu dans sa carrière par la suite, car il n’a jamais passé le premier tour des playoffs [sauf sur sa fin de carrière avec les Spurs, quand il était au bout du bout du banc, ndlr]. »
À l’inverse, Giricek garde un très bon souvenir de Shawn Kemp, qui était pourtant en toute fin de parcours, méconnaissable bibendum après ses années de gloire (et des Finales NBA) sous la tunique légendaire des Sonics : « Un super personnage, j’étais époustouflé. Je ne sais pas comment il était au sommet de sa popularité, peut-être qu’il était plus arrogant, mais c’était une légende pour moi. Un personnage très marrant et intéressant. Il était bien avec moi et j’étais bien avec lui. Je n’ai eu que des expériences positives avec lui. »
Echangé au Magic dès sa première année par les Grizzlies, c’est pour le coup Gordan Giricek lui-même qui a rapidement demandé à quitter la Floride dans sa deuxième année à Orlando. Sa relation avec les autoproclamés « leaders » de l’équipe s’étaient bien trop dégradées, atteignant un point de non-retour face aux Mavs.
« On jouait un match à Dallas et on perdait de 20 ou 30 points, on jouait super mal. McGrady était désespéré, je crois qu’il avait 10 balles perdues et shootait à 30%… Il m’a demandé la balle en tête de raquette mais il n’était pas ouvert, donc je lui ai fait signe de bouger. Il m’a fait signe de lui donner le ballon mais je ne l’ai pas fait car il y avait déjà (Juwan) Howard au poste. Coach Rivers a appelé un temps-mort et McGrady m’a dit qu’il allait me frapper si je ne lui passais pas la balle à nouveau. Je lui ai dit de fermer sa gueule et de s’asseoir et bien sûr, tout le monde n’a entendu que moi. En fin de compte, McGrady et Howard m’ont accusé d’avoir causé la défaite et je leur ai répondu : ‘Félicitations les gars, vous shootez 25 fois par match. Je joue 35 minutes, je me tue en défense et je shoote cinq fois, et vous avez le culot de me dire que cette défaite est de ma faute !’. C’est comme ça que ça s’est fini et j’ai demandé un transfert dans la foulée parce que je ne voulais pas être dans cette ambiance où l’on m’accuse sans raison. »
Une prise de catch improbable du Shaq
Envoyé dans l’Utah en échange de DeShawn Stevenson, Gordan Giricek passera le plus clair de sa carrière NBA à Salt Lake City, dans un rôle de shooteur à 3-points en sortie de banc. Il sera notamment de la belle aventure du Jazz jusqu’en finale de conférence Ouest en 2007, apportant 6 points à 54% derrière l’arc durant les playoffs.
Mais, à l’écouter, Gordan Giricek ne s’est pas vraiment plu dans l’Utah. « J’aurais dû avoir une meilleure carrière statistiquement parlant, mais j’ai pourri dans l’Utah pendant trois ans. Si j’avais pu avoir un vrai rôle, où j’aurais joué librement, j’aurais eu une meilleure carrière individuellement et collectivement car, d’expérience, quand je suis arrivé et que j’avais les mains libres, on jouait bien et on gagnait. Mais on m’a mis des bâtons dans les roues, à la fois en termes de minutes mais aussi de limites sur le terrain. J’aurais préféré qu’ils m’échangent bien plus tôt que ça mais, à chacune de nos conversations avec [Jerry] Sloan, ça se terminait toujours par : ‘Je suis le coach donc ça se passera comme ça’. Ses remarques étaient toujours que je n’étais pas prêt physiquement, que je ne défendais pas assez dur et que je court-circuitais des actions en attaque. Je lui ai répondu : ‘Jerry, je m’entraîne comme un chien tout l’été et je suis toujours prêt. Je ne peux pas admettre que je ne défends pas parce que tu me mets toujours sur les meilleurs joueurs adverses pour mettre les marrons hors du feu’. »
Passé ensuite par Philadelphie, Gordan Giricek aura tout de même droit à une dernière expérience plus plaisante avant de quitter définitivement la NBA, avec les Suns de Steve Nash. Participant donc rapidement à la montée en puissance du Phoenix des « 7 secondes ou moins » mis en place par Mike D’Antoni, il restera surtout connu pendant un bon moment pour cette anecdote assez dingue révélée par Grant Hill sur le Shaq.
Avant un match important face à Dallas, retransmis à l’échelle nationale sur TNT, Shaquille O’Neal ne trouve rien de mieux que de prendre le shooteur croate un peu trop volubile par le cou. Fan de catch, le Shaq fait ainsi une clé d’étranglement à Gordan Giricek, en tenant sa position un peu trop longtemps, Grant Hill revenant des toilettes pour trouver un de ses coéquipiers au sol, entouré de membres du staff. 18 minutes seulement avant l’entre-deux !
« Je ne l’ai même pas vu s’approcher derrière moi. Il pèse 150kg, comment tu fais pour te débarrasser d’un gars comme ça ? Si ça s’était passé en face à face, cela se serait passé différemment. Ok, il m’aurait battu s’il voulait vraiment me frapper parce qu’il est fort comme un bœuf, mais il n’aurait pas pu me soulever comme ça. Je ne voulais pas forcément revenir sur cette histoire mais oui, il s’est approché de moi par derrière, il m’a pris par le cou et m’a étranglé. Je l’ai tapé pour qu’il me laisse partir mais il m’a tenu encore et j’ai commencé à me sentir mal. Mais je ne suis pas tombé par terre et je ne me suis pas évanoui non plus. Laissez-les raconter l’histoire comme ça cela dit, ça ne me dérange pas. »
Ses débuts à 29 points
Une performance à 22 points face aux Lakers de Kobe Bryant