Ça se passe en 1989 et 1998. C’est une petite décennie de basket à Seattle, dans la franchise des Supersonics qui commence à ressortir des bas-fonds du classement pour redorer un peu son blason vert et jaune.
Après le long spleen des années 80 dans la Cité Emeraude, championne NBA en 1979, le premier coup de pouce du destin intervient en 1989, avec la « géniale intuition » de Bob Whitsitt de sélectionner un diamant brut de 19 ans qui n’a même pas foulé les parquets NCAA, un certain Shawn Kemp. Whitsitt ne s’arrête pas en si bon chemin et l’année suivante, il remet le couvert en choisissant, après un coup de pot à la loterie, Gary Payton en 2e choix de Draft.
La montée en puissance des Sonics suivra la trajectoire de progression de ces deux larrons au fur et à mesure des saisons, avec six ans de très haut niveau à 57 victoires de moyenne entre 1991 et 1997, dont trois campagnes de pure domination à 61 victoires de moyenne entre 1993 et 1996.
Mais, finalistes NBA en 1996 face aux Bulls de nouveau lancés vers un Three–Peat, les Sonics ne feront jamais mieux qu’une demi-finale de conférence avant l’anéantissement total d’un groupe qui n’aura donc pas eu la chance de soulever le trophée. Comme leurs voisins des Blazers après l’an 2000, les Sonics sont retombés dans le rang très rapidement après leur échec de 1996.
Dix ans avant leur tragique déménagement vers Oklahoma City, les Supersonics faisaient tout simplement partie des équipes dominantes de la conférence Ouest. Dans les années 90, Seattle était une place forte de la Grande Ligue, un conte de fées « made in NBA ».
« On a contribué à l’histoire de cette franchise », résumait bien Shawn Kemp en 2013 dans le New York Times. « On est même devenu une des franchises qui vendent le plus de produits dérivés. C’est un peu comme si les Charlotte Bobcats devenaient soudainement les Lakers. »
Pour retracer cette épopée, nous avons épluché les archives et nous sommes aussi partis à la récolte de plusieurs opinions éclairées sur le sujet, en discutant notamment avec Bob Weiss (assistant coach à Seattle de 1994 à 2006) et Mark Warkentien (scout de 1991 à 1994 pour Seattle) mais aussi avec Gary Payton, Hersey Hawkins, Eddie Johnson ou encore Frank Brickowski et Michael Cage.
1ère partie : l’arrivée de Shawn Kemp
LE DEUXIEME TEMPS DE LA VALSE : LA DRAFT DE GARY PAYTON
Pendant que Shawn Kemp montrait de belles promesses sur les parquets de la Grande Ligue en mars 1990, Gary Payton faisait lui la couverture de Sports Illustrated. Le meneur des castors d’Oregon State avait mis dans le rétroviseur ses problèmes de notes pour devenir le meilleur meneur du pays, rien de moins.
Meilleur défenseur de la Pac 10 dès sa première saison en NCAA, Payton jouissait déjà d’une réputation sans frontière.
« Dans mon esprit, il n’y avait qu’un seul gars dans cette draft qui avait la chance de devenir un grand joueur. Et c’était Gary », souffle Whitsitt. « Si j’ai deux joueurs qui sont très bons sur le même poste, je me débrouillerais pour trouver une solution. »
Sans hésitation aucune, Whitsitt a donc jeté son dévolu sur Payton à la draft 90, quitte à créer un embouteillage avec McMillan et Barros déjà sur le poste.
Mais avant de pouvoir le faire, Seattle a reçu un coup de pouce du destin. Un coup de chance à la loterie quand une des deux balles de ping pong jaune et verte est sorti pour le 2e choix !
Ayant passé un accord préalable s’assurant que les Nets (qui choisissaient en premier – et choisiront Derrick Coleman) ne viendraient pas lui couper l’herbe sous le pied, Whitsitt a obtenu son meneur tant attendu.
A peine drafté, Payton n’y va pas avec le dos de la cuillère pour définir son jeu en NBA : « Des joueurs comme moi et Magic n’arrivent pas tous les quatre matins. »
Pas en manque de confiance en lui, Payton savourait le fait de pouvoir rester dans le Grand Nord-Ouest après sa carrière NCAA à Corvallis. Et si le propriétaire, Barry Ackerley, avait tiré la tronche l’année précédente en entendant le nom de Shawn Kemp, cette fois-ci était différente.
« Ma femme était une ancienne nageuse à Arizona State, elle ne connaît rien au basket. Mais quand Gary a été drafté, on était à un dîner de présaison et elle m’a demandé après la soirée qui était ce mec attablé en face d’elle. C’était Gary Payton. Elle m’a regardé et m’a dit que ce gars-là allait être un gagneur. On pouvait le voir. Il avait l’œil du tigre. Il ne se laissera jamais échouer. Elle a rarement commenté comme ça sur les joueurs, à part pour cette fois, et c’était une prédiction plutôt osée. »
Ayant poussé dans les quartiers chauds d’Oakland, sous la houlette de Al Payton, son papa surnommé « Mister Mean » dans sa ville, le jeune Gary n’a clairement pas sa langue dans sa poche. A vrai dire, il l’a même toujours en action, ainsi que l’apprendront rapidement à leurs dépens ses nouveaux coéquipiers en NBA.
« Il ne savait pas jouer au billard, mais il parlait tellement que ça te faisait déjouer. Et c’était très marrant », avance ainsi Vincent Askew, à Seattle de 92 à 96. « Il arrivait en se la pétant, mais il ne savait même pas tirer une boule. »
« Si je dois te botter les fesses chaque jour, je le ferai ! »
Pour les vétérans de l’équipe, dont l’intérieur col bleu Michael Cage, c’était la fin du repos des guerriers durant les voyages en avion… « Sur chaque vol. Mec, s’il-te-plaît… Tu dois la fermer ! Je suis en train de dormir. Tout le monde est en train de dormir sauf toi et les gars à côté que tu tiens éveillés. Le gars ne s’arrêtait jamais ! Il parlait encore à 1h30 – 2h du mat’. Il continue de l’ouvrir et s’explique avec un autre après une histoire de la veille… »
Telle une version démoniaque du gentil lapin Duracell, Gary Payton a rapidement su imposer sa présence dans le groupe des Sonics. Un autre vétéran, Xavier McDaniel, s’en est très précisément rendu compte alors qu’il est devenu son mentor officiel dans l’équipe.
Trop impétueux et « grande gueule », le rookie des Sonics en a bientôt pris pour son grade, le bouillant McDaniel ne pouvant pas laisser passer un tel manque de respect dans son vestiaire…
« J’étais son rookie, et je devais faire tout ce qu’il me demandait », se souvient Payton dans le Players Tribune. « Un jour à l’entraînement, j’en ai eu marre et je lui ai dit franchement : « Mon gars, y a pas moyen, je ne ferai plus rien de ce que tu me demandes ». Xavier m’a regardé dans les yeux et m’a dit : « Jeune homme, tu n’as encore rien fait dans cette ligue et tu ne vas pas commencer à me dire ce que j’ai à faire. Tu vas payer ton dû comme tout le monde. » Je lui ai répondu : « Et qu’est-ce que tu vas faire ? » C’est là qu’il m’a attrapé par le cou, en plein milieu de l’entraînement. Et il m’a dit : « Si je dois te botter les fesses chaque jour, je le ferai ! Tu finiras par m’écouter. » C’était la meilleure chose qui puisse m’arriver. Et Xav et moi on est encore très proches à ce jour. »
Lors de sa saison rookie, dès la présaison en fait, dans une rencontre organisée à Vancouver, Gary Payton réussit quelques stops défensifs et le bleu bite confirme qu’il n’a pas froid aux yeux. Il s’en prend à Michael Jordan… qui ne sait trop comment réagir face à ce rookie à la langue trop pendue.
Qu’importe, Sa Majesté se vengera en saison régulière. Un soir de 17 novembre 1990 à Seattle, Jordan lâche une prestation à 33 points et 7 interceptions face à Payton et les Sonics, défaits de plus de 20 pions sur leurs terres (116-95). Une soirée que n’a pas oubliée le meneur…
« Je suis en défense sur Michael et je vois Phil Jackson qui met des systèmes en place pour lui – 4, 5, 6 fois de suite ! Et Michael marque 4, 5, 6 fois de suite ! En quelques minutes, j’ai pris trop de fautes et je me retrouve sur le banc. Je me souviens avoir fini à 0 point, en 7 ou 8 minutes de jeu. Et MJ a fini à 33. A la fin du match, MJ s’est rapproché du banc et vient me voir alors que le match se joue. Le coach est là, tout le monde sur le banc me regarde et lui m’envoie tout naturellement, en mâchant son chewing gum : ‘Cette m**** dont tu parlais en présaison… C’est maintenant que ça compte vraiment. Bienvenue en NBA petit gars.’ »
L’influence de Nate McMillan
Remis dans le droit chemin par Xavier McDaniel, c’est un autre « Mac », Nate McMillan, qui aidera tout aussi fondamentalement Payton à rentrer dans le moule NBA. Placé à côté de son jeune coéquipier effronté dans les vestiaires, McMillan était le pompier de service pour éteindre les sorties incendiaires de Payton.
« Nate McMillan a été super important pour Gary », souligne Steve Kelley, le beat writer du Seattle Times. « Nate a eu le vestiaire à côté de celui de Gary pendant des années, et c’est lui qui jetait un seau d’eau sur Gary quand il partait en sucette. Une fois, j’interviewais Nate et Gary disait : « quelle question stupide » à chacune de mes questions. Finalement, Nate m’a arrêté et s’est tourné vers Gary pour lui dire de la fermer : « Tais-toi, il ne te parle pas à toi ! Ta g***** ! »
S’il a bien réussi son premier double double lors de son 3e match NBA seulement (13 points et 10 passes dans un succès contre Denver), ou son premier triple double lors de sa 51e sortie pro (18 points, 11 passes et 10 rebonds dans une défaite face à Phoenix), Payton a connu une saison rookie plutôt difficile, voire carrément décevante.
A 7 points, 6 passes et 3 rebonds de moyenne, le n°2 de la dernière Draft faisait finalement pâle figure. Il se fera même damer le pion par Dee Brown (8 points, 4 passes) et son futur coéquipier Kendall Gill (11 points, 4 passes, 3 rebonds) sur les postes arrières du cinq idéal des rookies cette année-là…
Une complicité naissante avec Shawn Kemp
La douche froide que sera sa saison rookie suffira donc à calmer les ardeurs du bruyant meneur de Seattle. Mais ce dernier a surtout trouvé en Kemp un compère idéal pour son apprentissage de la NBA en accéléré. Les deux larrons deviennent rapidement inséparables : sur comme en dehors des planches.
« Quand je suis arrivé là-bas, Shawn et moi on était tout le temps ensemble et on a commencé à s’entraîner ensemble. Une fois que tu passes du temps avec quelqu’un hors des terrains, c’est plus facile de le trouver sur le terrain car tu le connais mieux de manière générale. Je ne crois pas que les gens se rendent compte de ça, mais quand tu deviens proche de quelqu’un, ça rend le jeu bien plus facile. »
Mais entre le dire et le faire, l’écart reste grand. Seattle est alors une équipe du milieu de tableau à l’Ouest. Après leur non-qualification in extremis en 1990, ayant abouti sur la Draft chanceuse de Payton, les Sonics se qualifient cette fois d’une courte tête en playoffs.
Et s’ils parviennent à pousser les Blazers, leaders de la conférence Ouest, dans leurs derniers retranchements et une série en cinq manches, les coéquipiers du jeune duo Payton – Kemp n’en sont encore qu’à leurs débuts.
Pour lancer définitivement la machine, c’est d’un coach en adéquation avec cette jeune génération dont Seattle a besoin. Ce sera bientôt fait avec un entraîneur à la réputation tout aussi lourde (pour différentes raisons) que Kemp et Payton en leurs temps…
LA LENTE CONSTRUCTION D’UN GROUPE MYTHIQUE |
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27 juin 1989 : Draft de Shawn Kemp en 17e choix du 1er tour |
27 juin 1990 : Draft de Gary Payton en 2e choix du 1er tour |
7 décembre 1990 : Arrivée d’Eddie Johnson contre Xavier McDaniel. |
15 février 1991 : Arrivée de Ricky Pierce contre Dale Ellis |
20 février 1991 : Arrivée de Benoit Benjamin contre Olden Polynice |
23 janvier 1992 : George Karl devient le head coach des Sonics |
22 février 1993 : Arrivée de Sam Perkins contre Benoit Benjamin et Doug Christie |
1er septembre 1993 : Arrivée de Kendall Gill contre Dana Barros et Eddie Johnson |
1er novembre 1993 : Arrivée de Detlef Schrempf contre Derrick McKey et Gerald Paddio |
18 juillet 1994 : Arrivées de Sarunas Marciulionis et Byron Houston contre Ricky Pierce et Carlos Rogers |
2 août 1994 : Signature de Michael Cage en free agent |
27 juin 1995 : Arrivées de Hersey Hawkins et David Wingate contre Kendall Gill |
18 septembre 1995 : Arrivée de Frank Brickowski contre Sarunas Marciulionis et Byron Houston |
Prochain épisode : le troisième temps, l’arrivée de George Karl