Après une saison difficile en Italie, Brandon Jennings, 10e choix de la draft 2009, a pris les commandes des Bucks d’une main ferme.
Dans une équipe supposée faible, l’ex-lycéen prodige surnage grâce à sa vitesse et à un jeu flashy qui plaît énormément aux fans. Portrait d’une authentique grande gueule, auteur de 55 points contre les Warriors en novembre… et éclipsée par Tyreke Evans depuis.
Le garçon n’a que 21 ans mais il a déjà fait couler beaucoup d’encre aux Etats-Unis et en Italie où il a évolué une saison entière, en 2008-09. A peine drafté par Milwaukee (une ville, certes, où il ne se passe jamais rien) en 10e position, Brandon Jennings crachait sur la franchise du Wisconsin dans un enregistrement finalement mis en ligne sur YouTube. Le natif de Los Angeles a affirmé avoir été piégé, ajoutant qu’il n’aurait jamais tenu de tels propos s’il avait su que ses déclarations seraient reprises sur le Net (évidemment). Jennings a également eu un accrochage avec l’ailier fort de Sacramento Jason Thompson lors d’une summer league, parlant de « regrettable incident de jeu ». En début de saison, il s’est répandu dans les médias pour dire que son rêve était d’évoluer chez les Knicks et que New York aurait été inspiré de le retenir en 8e position.
« Certaines équipes ont fait l’impasse sur moi car je n’ai pas réalisé de grosses stats l’an passé. Il suffisait de venir me voir à l’entraînement et dans les workouts pour juger ma progression. Je suis un bourreau de travail. Et puis en NBA, il y a plus de un contre un qu’en Europe. C’est un jeu taillé pour moi. »
L’ailier rookie des Knicks Jordan Hill, que Jennings fait un peu passer pour un tocard, appréciera.
Plus précoce que Wilt Chamberlain
Brandon Jennings fait partie de cette nouvelle génération d’arrières qui ont connu le succès très vite au lycée mais qui n’ont pas spécialement brillé par la suite, en college ou ailleurs. Le cas du n°3 des Bucks, qui tournait à 35.5 points par match en high school, est particulièrement révélateur. « Naismith Player of the year » en 2008 à sa sortie d’Oak Hill mais incapable de réussir l’examen d’entrée à la fac (malgré trois tentatives), le rejeton choisit de s’exiler sur le Vieux Continent. Un véritable mouvement de mode à l’époque, encouragé par un euro fort et le tâtonnement de quelques GM (voir le cas Josh Childress à Atlanta). Tournant le dos à la NCAA, Jennings met donc le cap sur l’Italie. Le Lottomatica Roma est une grosse équipe de Lega qui dispute l’Euroleague et vise le titre national sous les ordres de l’illustre coach
croate Jasmin Repesa. Jennings n’ayant jamais regretté l’échec au SAT qui devait le mener à Arizona, on l’affublera du surnom « Young money ». En Italie, il émarge à plus de 400 000 dollars par an avec un contrat portant sur trois saisons (1,65 million de dollars au total, primes incluses). Son agent fait ajouter la possibilité de négocier un buyout à l’issue de chaque exercice. Cet astérisque en bas du contrat est une très bonne idée. Jennings en use pour obtenir son bon de sortie et se présenter à la draft 2009 au terme d’une campagne peu flamboyante statistiquement parlant*. Aux observateurs qui n’ont que le nom de Ricky Rubio à la bouche suite au formidable Euro du prodige espagnol en Pologne, le meneur américain explique qu’il est meilleur… Rubio, drafté par Minnesota, renonce à traverser l’Atlantique. Jennings, lui, franchit le pas, épousant la trajectoire singulière de quelques basketteurs US ayant fait d’abord carrière en Europe (Ben Wallace, Brad Miller, Michael Olowokandi, Udonis Haslem, Mike James, Bruce Bowen…).
Dans le Wisconsin, ses débuts ont été tonitruants. Après 17 matches, il s’affichait à 21.5 points de moyenne (42.2% et 47.6% derrière l’arc) assortis de 3.9 rebonds, 5.8 passes et 1.2 steal. Des chiffres qu’il convenait de tempérer un peu compte tenu du peu de concurrence dans le backcourt de Milwaukee, a fortiori avec un Michael Redd sur le flanc. De même, son carton à 55 points contre les Warriors le 14 novembre n’aurait jamais été possible contre une défense un minimum crédible. Ce qui n’enlève rien au fait que « B.J. » ait réussi ce total en seulement trois quart-temps, avec 45 points après la pause et 29 dans le seul troisième quart-temps. Le record du rookie Wilt Chamberlain (58 contre Detroit et New York) fut à deux doigts de tomber. Et puis « L’Echassier » avait dépassé les 50 points lors de son 8e match NBA. Aujourd’hui moins en vue (15.8 pts, 3.5 rbds, 6.1 pds), Jennings ne rejoindra pas Oscar Robertson (1961), Michael Jordan (1985) et Allen Iverson (1997) dans le club des joueurs ayant bouclé leur première année avec plus de 20 points et 5 passes de moyenne.
Son idole : Allen Iverson
« Doo Be Doo » (son surnom à Oak Hill) est un talent brut, purement basket, mais un rien dépourvu d’éducation. Brandon a été élevé par sa mère, Alice Knox. Il a un demi-frère, Terrence Philips, qui a suivi le clan en Italie grâce à une généreuse bourse accordée par le propriétaire du Lottomatica. Ces 24 000 dollars ont permis à Terrence de suivre des cours dans la prestigieuse Marymount International School. Particularité : les enfants viennent du monde entier pour suivre une scolarité dans des classes où l’on parle uniquement anglais. Jennings n’a pas vraiment connu son père. Il avait 3 ans lorsque celui-ci quitta le domicile, dans la lointaine banlieue de Los Angeles. Quatre ans plus tard, « B.J. » apprit que papa s’était suicidé. Brandon ne s’épanche pas souvent sur le sujet. Il entre à Oak Hill Academy comme on entre en religion. Tout pour le basket, rien que le basket. Son idole s’appelle Allen Iverson auquel on le compare régulièrement aujourd’hui. Lorsque « The Answer » matraque les Lakers lors du Game 1 de la Finale NBA 2001 au Staples Center, Brandon est fou de joie. Ce n’est pas qu’il déteste les Lakers (comme indiqué plus haut, il a vu le jour dans la Cité des Anges et à l’époque, il habite près de L.A.). Simplement, il voue un véritable culte à Iverson. Le McDonald’s All American et le Jordan Brand Classic 2008 viennent récompenser sa progression au lycée. Puis ce sera le départ forcé pour l’Italie. C’est sûr, l’heure de « Young money » a sonné.
Jasmin Repesa le vire de l’entraînement
Il s’installe dans la Botte avec sa famille, sa mère Alice Knox et Terrence Phillips, son demi-frère âgé de 12 ans. Le clan Jennings vit dans un véritable cocon au cœur de la Ville éternelle. Un vaste appartement a été mis à sa disposition. Jennings est le premier lycéen américain à passer professionnel de l’autre côté de l’Atlantique. C’est un pionnier, imité cette saison par l’intérieur Jeremy Tyler qui a renoncé à effectuer son année senior de high school à San Diego pour s’engager en faveur du Maccabi Haïfa, en Israël. En Italie, Jennings peut s’acheter des fringues de luxe (il s’offre une veste à 1 800 $ chez Versace) alors qu’en college, il n’aurait pas pu toucher un cent. « B.J. » débarque dans la Lega sûr de lui. Pourtant, il ne connaît pas la Série A italienne et encore moins l’Euroleague.
A l’époque, il disait ceci :
« J’ai entendu parler de ces ligues. Elles sont dures, les équipes jouent physique mais je suis capable de m’adapter grâce à ma vitesse. Je suis prêt. »
Il va vite déchanter sous les ordres de Jasmin Repesa qui est tout sauf un drôle. Le Croate a dirigé des joueurs comme Toni Kukoc, Mehmet Okur et Carlos Delfino. L’été dernier, il était à la tête de la sélection croate durant le championnat d’Europe. On ne la lui fait pas. Lors du training camp de présaison, il réclame de l’agressivité. Jennings ne comprend pas. Du coup, Repesa explose en pointant du doigt la porte de la salle :
« Get out ! Get out ! Dégage de l’entraînement ! »
Jennings obéit et doit attendre la fin de la séance, soit 45 minutes, pour retrouver ses partenaires au vestiaire. Le rookie romain trouve un peu d’écoute et de compassion auprès d’un compatriote, Allan Ray, ancien des Celtics qui dispute sa deuxième saison à Rome. Jennings confie :
« Quand tu as été « the man » au lycée, tu peux accomplir ce que tu veux. Tu es capable de faire ce qu’on te demande. Encore faut-il qu’on te donne du temps. Cette situation était nouvelle pour moi. »
Comme si l’humiliation d’une sortie précipitée ne suffisait pas, Repesa demande au jeune Jennings de s’excuser auprès de ses partenaires. L’intéressé n’est pas toujours très malin. Sur son blog, il écrit :
« Jasmin Repesa nous fait courir pendant des heures. C’est comme si on était à l’armée. »
Entre ces deux-là, le courant n’est jamais passé. C’est finalement l’un des assistants, Nando Gentile, ancienne star de la Ligue italienne, qui prend le jeune Américain sous son aile.
Un scout NBA qui a suivi le néo-Buck durant l’exercice 2008-09 assure que
« Brandon n’aurait jamais subi de telles choses en college. Mentalement, il est sûrement plus fort grâce à cette expérience à l’étranger. »
« Je comptais les jours avant le retour à la maison… »
A Rome, Jennings joue 15 à 20 minutes en relais d’Ibrahim Jaaber, Sani Becirovic et Jacopo Giachetti. C’est l’une des meilleures solutions dans la rotation avant que sa condition physique ne lui joue un mauvais tour. Au moment crucial, lorsque Rome intègre le Top 16 de l’Euroleague, « Young money » perd ses moyens. Il finit par plonger entre la 25e et la 29e journée du championnat (6 mn et 1.6 pt en moyenne). On appelle même un arrière slovène en renfort après la blessure de Roberto Gabini. Jasmin Repesa et Dejan Bodiroga, GM de l’équipe romaine, ne font plus confiance à Jennings en vue des playoffs après un match catastrophique contre Ferrara, perdu dans les dernières secondes par la faute de l’Américain. Le coup de grâce.
Le meneur des Bucks avoue :
« A partir du mois de mai, j’ai compté les jours qui me séparaient du retour à la maison. Si je devais revenir en arrière, je choisirais sans doute un club m’offrant une véritable opportunité de m’exprimer. »
Encore aujourd’hui, « B.J. » est habité par ses certitudes, comme si la concurrence n’existait pas. En quittant l’Europe, il se déclarait prêt pour la NBA.
« C’est davantage mon style de jeu. On a de la liberté pour créer. Le un contre un me conviendra mieux que jouer lentement des possessions contre des défenses de zone. »
Six mois plus tard, Jennings multipliait donc les gros matches avec Milwaukee. Contre Denver et Chauncey Billups, son premier vrai test, il empila 32 points avec 100% de réussite aux lancers francs dans le crunch time.
« Il a prouvé qu’il n’était pas un rookie ordinaire », trancha le meneur des Nuggets.
Jennings a fait son trou en l’absence de Michael Redd. Mais encore aujourd’hui, beaucoup doutent de sa capacité à rendre ses partenaires meilleurs. Il ne l’a pas fait en Italie, pourquoi saurait-il le faire en NBA, dans un laps de temps aussi court ? En l’état, « B.J. » joue sur ses points forts, travaillés en Europe : la contre-attaque, des interceptions spectaculaires (ça lui fait un point commun avec Ricky Rubio) et un premier pas extraordinaire. Une certitude, aussi : Jennings n’est pas rentré au pays complètement traumatisé. La suite dira si le n°3 des Bucks a le potentiel pour devenir un joueur majeur en NBA. Déjà, le titre de Rookie de l’année qui lui avait été promis un peu précipitamment semble devoir atterrir sur une étagère du salon de Tyreke Evans.
Crédit photo : Wok N Roll