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« The Lost Dream Team », les secrets d’un mythe yougoslave brisé et douloureux

Documentaire – Dans son long métrage, le réalisateur Jure Pavlovic a donné la parole à tous les acteurs du titre à l’EuroBasket 1991 de la Yougoslavie, dont la dislocation venait de débuter.

Yougoslavie

C’est l’histoire d’une équipe qui a donné le maximum pour son pays, alors que celui-ci… était en train de disparaître. Cette histoire est celle de la sélection yougoslave – et de ses imminents membres (Toni Kukoc, Vlade Divac, Dino Radja…) – envoyée à Rome en 1991 pour y disputer le championnat d’Europe.

Un an après son triomphe au championnat du monde, au détriment des États-Unis battus en demi-finale. Et un an avant les Jeux olympiques de Barcelone pour lesquels la « Dream Team » américaine allait être montée pour laver l’affront de 1990. La revanche que la planète basket entière attendait tant n’aura finalement pas lieu.

Le documentaire The Lost Dream Team revient sur l’épopée historico-sportive de cette autre équipe de rêve restée dans l’ombre des grands récits. Y compris de ceux d’une région du monde où les poussées nationalistes ne sont jamais loin. « Cette histoire n’était même pas connue en Croatie », a constaté le réalisateur Jure Pavlovic, qui répond à Basket USA depuis Zagreb, selon qui « personne ne s’était vraiment penché dessus ».

Le réalisateur tombe par hasard sur l’histoire

Lui-même, seulement gamin à l’époque, n’en a eu vent, ces dernières années seulement, de cet épisode « impensable ». Presque par hasard, en feuillant un journal local. Ce fan de basket, déjà au fait des trajectoires des anciennes légendes locales, tombe alors des nues en apprenant que Serbes, Croates et Slovènes ont joué sous le même maillot « pour un pays qui n’existait plus ».Jure Pavlovic - The Lost Dream Team

Le réalisateur, auteur du drame Mère et fille sorti dans les salles françaises en 2021, décide de pousser sa curiosité. En parallèle à son travail de documentation, il prend un café avec un ancien membre de cette formation yougoslave, Velimir Perasovic, qui lui offre une première perspective sur les événements. C’est le démarrage d’une longue et ambitieuse quête d’aller chercher les points de vue des 11 autres joueurs de l’équipe, ainsi que celui du sélectionneur de l’époque, Dusan Ivkovic.

Pas simple, au-delà d’aller à la pêche aux images d’archive de la compétition (en Croatie, Slovénie, Serbie et Italie), de retrouver de retrouver tout ce petit monde dispersé dans les Balkans. Pas simple non plus de les convaincre de témoigner face caméra. Car la question demeure délicate, voire « traumatique », pour certains d’entre eux, notamment chez les Croates (Toni Kukoc, Dino Radja…).

Un sujet toujours sensible

« C’est un sujet un peu sensible parce que certaines personnes n’aiment toujours pas qu’ils aient joué pour la Yougoslavie, même si ce n’était finalement pas leur décision », assure l’auteur du film qui a beaucoup insisté auprès des protagonistes sur l’idée de raconter les choses à travers leurs yeux à tous. Et non pas à travers les siens, de réalisateur croate.

« Ces questions politiques peuvent, d’une façon ou d’une autre, blesser quelqu’un », lâche Jure Zdovc, le premier à prendre la parole dans le documentaire devant un fond noir reflétant la lourdeur des événements. Puis Toni Kukoc nous ramène en amont de la compétition européenne, sur l’état d’esprit d’une équipe – favorite du tournoi – dont chacun se fichait bien de savoir d’où venait son coéquipier. « C’était la Yougoslavie pour nous, une équipe, un pays. »

The Lost Dream Team - Vlade Divac

Un mantra fracassé sous le poids des considérations nationalistes. Entre l’image d’une formation souriante et sûre d’elle à la descende du bus vers Rome, costume cravate pour tous et lunettes de soleil, à cette montée sur la plus haute marche du podium européen presque embarrassée, quelques jours de juin 1991 seulement sont passés. Une éternité à l’échelle d’une scène politique locale en ébullition.

Un membre de l’équipe doit jeter l’éponge

Car au beau milieu de cet Euro 1991, alors que la Yougoslavie est en train de martyriser la Pologne sur le parquet, à 900 kilomètres au nord de là, Croatie et Slovénie déclarent leur indépendance. À Rome, on tente bien de créer une bulle autour des joueurs. Du basket, pas de politique. Seulement cette réalité d’une République en train de se disloquer va heurter l’équipe de plein fouet.

Quelques heures avant la demi-finale face à la France, le Slovène Jure Zdovc reçoit un coup de fil du pays, le directeur de son équipe Smelt Olimpija : on lui fait comprendre que s’il continue à mouiller le maillot yougoslave, le meneur de jeu sera considéré comme un traitre. Déchirée, la « famille » yougoslave envoyée à Rome doit poursuivre sa route à 11. « Évidemment, aucun d’entre eux ne voulait la guerre, ni que tout cela arrive. Mais au final, ils étaient impuissants », résume le réalisateur.

Malgré ce contexte, Kukoc et les autres vont finir par étriller les Français, avant de remporter le sacré européen le lendemain, de 15 points face à l’Italie. Le malaise au moment de la remise des médailles, avec un hymne national boudé par une partie de l’équipe, sera palpable. Et ce, avant un retour au « pays » dans le quasi-anonymat. Médaille d’or ou non, quelle différence : les tanks sont dans les rues. Cette victoire ne suscite pas l’euphorie fédératrice que l’on connaît si bien.

« C’est ce qui s’est passé. Et d’une certaine manière, c’est un message un peu pessimiste à la fin. Ce n’est pas typique, pas comme les histoires de héros dans un film de sport américain. Le sport aide les gens, c’est aussi ce que certains des joueurs pensaient : ‘Si on gagne pour la Yougoslavie, ça signifiera quelque chose.’ Ils ont gagné, mais cela n’a pas répondu à ces attentes », relate Jure Pavlovic qui avait aimé – quoique un peu romancé à son goût – Once Brothers, centré sur la relation entre Drazen Petrovic et Vlade Divac.

Reste que son documentaire a permis à tous les protagonistes de cette virée italienne de faire leur introspection. « Ils se souvenaient très bien de ce qu’ils ressentaient. C’était en quelque sorte un tournant dans leur vie, un tournant émotionnel, parce qu’avant le championnat, ce n’étaient que de jeunes hommes d’une vingtaine d’années qui ne pensaient qu’au sport et à certaines choses typiques des jeunes. Du coup, les émotions étaient très présentes, et je pense que ça a vraiment transparaît sur le tournage », juge le réalisateur pour qui chacun a pu se faire une meilleure idée de ce que son coéquipier a ressenti en 1991.

Une coproduction symbolique

Ainsi, selon lui, Vlade Divac et les autres ont apprécié le film « parce qu’il est très équilibré ». Les critiques aussi ont été bonnes après sa première projection au festival du film de Pula (Croatie), puis sa diffusion dans la région de l’ex-Yougoslavie. Après le festival du film de Sarajevo (Bosnie-Herzégovine), le documentaire va tourner à celui du film Nuits noires de Tallinn (Estonie).

Une distribution internationale encore plus large est prévue pour les mois à venir, via la société de production française Goodfellas. Le documentaire devrait être disponible pour le public français, en VOD ou en streaming, l’an prochain. The Lost Dream Team est une co-production entre la Croatie, la Serbie, la Slovénie et l’Italie. Une association qualifiée de « naturelle » par le réalisateur qui contraste avec le message final qui se dégage des images.

« Il raconte comment le nationalisme et tous ces événements se sont produits, comment les guerres ont éclaté, mais à travers leur perspective. C’est très, très pertinent par rapport à ce qui se passe aujourd’hui dans le monde et en Europe. On peut percevoir, même avec des petits signes, que l’on se prépare peut-être à une nouvelle ère de conflits. Le film montre aussi comment gérer les amitiés dans ce genre de situation. C’est aussi assez universel », termine-t-il.

Photos fournies par Fabio Ramadi

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