« Disons que la pièce n’est pas tombée du bon côté… », formule Antoine Eito en balayant l’idée d’une frustration qui aurait germé chez ses coéquipiers et lui. Fin juin dernier à Anvers (Belgique), l’équipe de France 3×3, dont le meneur de l’Elan Chalon est membre, a échoué d’un rien en demi-finale de la Coupe du monde face à la Lituanie. Tout ne s’est évidemment pas joué là-dessus, mais un simple lancer-franc, en prolongation, aurait permis l’accession à la finale.
« Il a vite fallu passer à autre chose pour rebondir », confie Karim Souchu, le sélectionneur de l’équipe nationale, rencontré cette semaine par BasketUSA lors d’un rassemblement à Nort-sur-Erdre, au nord de Nantes (Loire-Atlantique), où se tenait également le stage de Nando de Colo. Ses joueurs l’ont très bien fait en s’imposant face à la Belgique, toujours en prolongation, lors de la petite finale pour repartir avec une très belle médaille de bronze autour du cou. « On n’était pas du tout attendu, on était la 10e nation », rappelle Antoine Eito, qui s’est blessé en demi, pour donner une idée de la performance des Bleus.
Dans le même temps, leurs homologues féminines faisaient sensation en remportant la première médaille d’or de leur histoire dans ce contexte, face au Canada. C’est dire si la France a rayonné sur la septième édition, déjà, de ce rendez-vous international. Dans le même temps, comme pour mieux confirmer la dynamique en cours de la pratique, la FFBB annonçait la création de sa première équipe professionnelle, « 3×3 Paris ».
But de cette opération unique, car une Fédération accompagnant une équipe professionnelle est « un concept qui n’existe pas en sport collectif en France » : « Encourager des joueurs à se spécialiser », affiche dans un communiqué Alain Contensoux, le directeur technique national de la FFBB. Ce dernier a les JO de Paris 2024 en tête. Contrairement au 5×5, dont les deux équipes de France sont qualifiées en tant que pays hôte, seul un des deux genres est qualifié d’office au 3×3, à savoir l’équipe la mieux classée au 1er novembre 2023.
Double qualification pour Paris 2024
Pour l’heure, les filles sont en meilleure position que les garçons au ranking 3×3 mondial. Ce classement, qui comprend des volets individuel, collectif et selon les fédérations, évolue en fonction des points accumulés par les 25 meilleurs joueurs de chaque pays. D’où cette idée de miser sur cette équipe de six joueurs pros pour les faire évoluer au plus haut niveau international toute l’année, sur le circuit World Tour, et ainsi tenter de progresser dans la hiérarchie mondiale. À terme, cette équipe, dont la création était très attendue, pourra d’ailleurs servir de « réservoir » à l’équipe de France, imagine Karim Souchu, qui va également encadrer cette formation.
Ce dernier précise que « 3×3 Paris », qui disputait ce week-end à Nort-sur-Erdre un tournoi qualificatif pour le « FIBA 3×3 Challenger Liptik », s’est constituée sur la base du volontariat de joueurs, majoritairement de niveau N1 ou Pro B. « Des profils Jeep Elite s’étaient également positionnés mais financièrement, on ne peut pas s’aligner », formule l’ancien international français, en 5×5. Avant d’ajouter : « Si un joueur ne veut pas faire de 3×3, on ne va pas aller le chercher pour le convaincre. Généralement, ils viennent d’eux mêmes nous solliciter, poser des questions. On donne les infos et derrière, à eux de faire leur choix. Je pense que c’est mieux dans ce sens-là. »
Paul Djoko a été de ceux qu’il n’a pas été difficile de recruter. Celui-ci connaît très bien Karim Souchu qui était son coach à l’Euro U18 de 2016 terminé par une médaille d’or. Après cinq ans en NCAA (Northern Kentucky et UT Tyler), il est revenu en Europe dans l’optique d’y décrocher un contrat pro. « Dix jours après ma fin de saison, on me propose le projet, je n’ai même pas eu le temps de chercher », raconte le joueur de 24 ans qui ne cache que son contrat de deux ans est « super intéressant financièrement, par rapport à ce que j’allais peut-être trouver en Pro B » : un salaire fixe de 4 000 €, en plus de « prize money » possibles sur les tournois.
Selon la FFBB, l’équipe Serbe de Novi Sad a ainsi engrangé un total de 279 000 dollars en 2021. Dans le même temps, toujours selon la Fédération, le coût de fonctionnement de l’équipe professionnelle française est estimé à 1 million d’euros annuel, une somme assumée par la FFBB et l’Agence Nationale du Sport.
Un joueur NBA ?
Avec de tels montants, les acteurs de la discipline sont conscients qu’il faudra encore patienter un moment avant de voir de grands noms du basket s’essayer au 3×3. « Un joueur NBA ? Rien n’est impossible mais le jour où on aura des contrats à 100 millions de dollars en 3×3, on sera très, très loin ! », en rigole Karim Souchu, toutefois témoin de l’évolution des moyens avec ces fameux « prize money », depuis qu’il a découvert le 3×3 en 2012. L’année où l’ancien joueur de Pro A a remporté une médaille d’argent au tout premier Championnat du monde en Grèce.
Le technicien considère que la pratique a quand même de quoi attirer des pratiquants de haut niveau : « Après le centre de formation, certains peuvent se dire : ‘Je suis peut-être un peu barré au niveau du 5×5, pourquoi ne pas aller vers le 3×3 ?’ Cela peut être un axe de réflexion. » Paul Djoko par exemple ne ferme pas la porte à un retour au 5×5. Mais « si ma carrière doit être dans le 3×3, ce sera le 3×3 parce que je suis fan de la discipline et j’aimerais en devenir un ambassadeur parce que je crois que ça doit avancer, que les gens vont beaucoup aimer. »
Encore sous contrat avec Chalon, en 5×5 donc, Antoine Eito avait fait la démarche il y a quelques années de contacter Richard Billant, le prédécesseur de Karim Souchu, pour tester cette autre forme de basket. « Le premier truc, c’était le maillot, confie le meneur qui ne quitte plus les Bleus depuis. Pour X ou Y raison, je n’ai jamais porté le maillot de la grosse équipe de France en 5×5. C’était important pour moi. J’ai kiffé direct, ça correspond à ma façon de penser, de vivre, de jouer. Derrière, on a eu des résultats avec cette médaille extraordinaire. »
Le joueur de 34 ans apprécie le côté street de ce basket, sa liberté, le fait de ne pas avoir de coach à proximité. « On est une famille, quatre joueurs sur le terrain et c’est nous qui devons nous démerder. C’est un état d’esprit de fou que j’aimerais bien réussir à répercuter sur le 5×5. Au-delà de ça, sur demi-terrain, il y a beaucoup plus d’espace donc si tu arrives à tenir ton gars, c’est plus facile en 5×5. Ça te fait travailler ton cardio, ton instinct, le fait de passer vite à autre chose. »
« Tout va plus vite et t’as pas l’occasion de te cacher, c’est vraiment deux autres gars et toi. Il faut être performant à tous les moments », complète Paul Djoko, qui dit apprécier le fait d’avoir davantage « la balle dans les mains. Moi de base, je suis un joueur de un contre un, donc c’est ça que j’aime. En 5×5, à un certain niveau, si t’es pas le top 1 ou 2 joueur, tu es dans un rôle. On te demande de faire des choses spécifiques que tu as moins besoin de faire au 3×3 parce que tu as forcément plus de responsabilités. »
C’est la raison pour laquelle Karim Souchu et les autres cadres du 3×3 sont à la recherche de joueurs « physiques, endurants et adroits », et surtout hyper complets car cette dimension « renforce le côté polyvalent de certains joueurs qui repassent sur le 5×5 derrière. » Il ajoute : « C’est un format dynamique, avec des possessions en 12 secondes, un match 10 minutes ou 21 points. Un format qui plaît car c’est court mais intense, au niveau du rythme et du cardio, ça n’a rien à voir le 5×5. On compare souvent avec les collègues avec le tennis et le squash. »
Une évolution prévisible
Le sélectionneur n’est pas surpris par le développement relativement fulgurant de cette discipline, qui a fait sa première apparition sur la scène internationale en 2010, devenue olympique en quelques années. « C’est la logique des choses, c’était prévisible. »
Quid de ceux qui verraient d’un mauvais œil cette dynamique pour l’avenir du 5×5 ? « Je pense que les deux sont complémentaires. En termes de fondamentaux, de dureté, le 3×3 peut apporter au 5×5. Il ne faut pas les comparer constamment car plein de choses diffèrent. C’est un peu comme le rugby à 7 ou à 15. Libre à chacun d’aimer la discipline. Il n’y a pas de concurrence à voir. Le 3×3 n’est pas là pour cannibaliser le 5×5. Au final, le basket sortira gagnant. »
On demande alors au technicien son sentiment pour l’avenir. « Dans dix ans ? J’aimerais qu’il ait une ligue professionnelle en France. Avec Paris 2024, on va pouvoir montrer le 3×3 chez nous en France, ça va être un tournant je pense. » « Les gros résultats des équipes de France depuis quelques années sont une bonne vitrine. Tous les gens qui s’y sont un peu intéressés sont fans. Je pense que la discipline a tout pour péter en France ! », termine avec enthousiasme Paul Djoko.