En juillet dernier, pendant que les jeunes pousses de la grande ligue s’affrontaient en Summer League pour décrocher un contrat pro, une vingtaine de joueurs NBA les suivaient à Las Vegas. Mais ces derniers, bien que basketteurs professionnels, ne faisaient pas le déplacement pour taper la balle. S’ils se rendaient dans le Nevada, cela n’était pas non plus pour convaincre leurs dirigeants… mais pour en devenir un.
Actuellement sous contrat en NBA, tous les membres de ce petit groupe ont en effet suivi un séminaire de trois jours à l’Université de Las Vegas (UNLV) pour découvrir le merveilleux monde du plafond salarial, des transferts et du « CBA ». En bref, tout ce qui se passe en coulisses, dans les bureaux des hommes forts des franchises NBA : les General Managers et leurs assistants, les présidents des opérations basket ou encore les directeurs du scouting. Autant de postes que tentent de briguer un certain nombre de basketteurs tout juste retraités, désireux de continuer à baigner dans l’univers de l’Association sans basculer dans celui des médias.
Seulement voilà, au cours de ces trois jours, les joueurs-élèves, amenés à scouter des joueurs de ligue d’été en suivant les conseils avisés de plusieurs GM (Sam Presti, Ryan McDonough notamment) ont eu l’occasion de réaliser à quel point ces postes sont éloignés des réalités purement sportives de la NBA.
Une ligue complexifiée
En effet, à moins qu’il ne soit amené à conseiller ou assister ses dirigeants durant sa carrière, ou bien qu’il dispose de sérieuses facultés en termes d’analyse statistique et économique, un joueur NBA, même après 20 saisons dans la ligue, sera tout simplement sous-qualifié pour occuper un poste-clé au sein d’une franchise.
« Nous sommes des joueurs de basket », résume Shaun Livingston à Sam Amick d’USA Today, auteur d’une analyse passionnante sur ce sujet. « Nous essayons de comprendre nos contrats [lorsque nous les signons]. Le reste, on l’apprend au fur et à mesure ».
Le constat de base est évident : les qualités nécessaires pour participer à la (re)construction d’une franchise ne sont pas du tout les mêmes que celles requises pour produire du beau jeu. Si l’on prend les joueurs les mieux formés a priori – les cérébraux du jeu – combien seront capables de saisir toutes les subtilités du CBA pour assurer l’avenir économique d’une équipe tout en flairant les bons coups sur le marché des transferts ?
Parmi eux, combien auront engrangé suffisamment d’expérience pour repérer les stars de demain sur deux ou trois rencontres ? Enfin, quel joueur saura extrapoler les données statistiques mises à sa disposition pour piocher le bon coup et se débarrasser du mauvais, tout en conservant une certaine cohésion du groupe ?
West, Riley, Ainge : un passé révolu ?
Certains y sont parvenus. Pat Riley, champion NBA en 1972 avec les Lakers, a ajouté deux bagues à son palmarès en tant que président du Heat. Danny Ferry, très mauvais drafté (deuxième choix de la draft 1989), s’est avéré être un excellent « drafteur » à Cleveland, puis San Antonio. Joe Dumars a marqué Detroit de ses qualités défensives à l’époque Bad Boy, puis de son intelligence en tant que président des opérations basket dans les années 2000.
Dirigeant de l’année 2008 pour avoir organisé les arrivées de la paire Kevin Garnett / Ray Allen à Boston, Danny Ainge est aussi l’une des figures de la franchise dans les années 80. Et que dire de l’immense Jerry West, seul MVP d’une série de finales perdue (en 1969), élu deux fois « executive of the Year » (1995, 2004) et à l’origine du transfert de Kobe Bryant à Los Angeles. Oui, des joueurs NBA ont réussi de superbes transitions. Mais ça, c’était avant.
Désormais, la tendance s’inverse. Les grands joueurs NBA, auparavant recherchés pour remplir les plus hautes fonctions au sein des franchises, ne parviennent plus à intégrer ces sphères. Sur les quinze derniers nouveaux venus à la tête d’une franchise, seules deux sont des anciens joueurs NBA. Par contre, ces douze derniers mois, Lance Blanks (Phoenix) et Otis Smith (Orlando) ont perdu leur poste de GM, tandis que Geoff Petrie a lâché la présidence des Kings. Trois ex-joueurs, trois échecs depuis le dernier lock-out.
Les nouveaux profils
En réalité, les récentes évolutions de la grande ligue – explosion de la valeur des franchises, importance accrue des analyses statistiques, toujours plus précises et sophistiquées – ont considérablement réduit la marge de manœuvre des dirigeants de franchises. Un bon preneur de décisions en NBA n’aura pas du tout le même profil aujourd’hui qu’il y a 20 ans. Avoir une bonne connaissance de l’histoire du club, vouloir respecter son héritage, ne revêt en 2013 qu’une importance secondaire. Les qualités sollicitées sont désormais davantage celles du mathématicien, du tacticien ou de l’expert financier.
La preuve par l’exemple avec, les CV de quelques-uns des meilleurs dirigeants NBA en 2013 :
. Daryl Morey, General Manager des Rockets, est un fou des chiffres diplômé en informatique. Avant de rejoindre Houston en 2006, il a passé trois années à offrir ses services aux Celtics, où il a développé de nouvelles méthodes d’analyses statistiques. Son objectif ? Utiliser des données chiffrées et objectives afin de transformer les prédictions, les suppositions, en promesses. Morey a ensuite appliqué ses méthodes au sein de l’effectif texan, qu’il gère quasiment comme une équipe de Fantasy League. Il est également le fondateur de la MIT Sloan Sports Analytics Conference, qui se tient chaque année à Boston, et qui vise à étudier l’analyse de nouvelles données dans le sport.
. Bras droit de Daryl Morey pendant six ans, le nouveau GM des 76ers Sam Hinkie a suivi les pas de son ex-supérieur. Possesseur d’une maîtrise en administration des affaires, l’objectif de ce trentenaire est de trouver sans cesse de nouveaux outils d’études et de rentabiliser au maximum les nouvelles technologies mises à sa disposition, comme les caméras SportVU, pour en tirer des données statistiques de plus en plus poussées.
. Engagé à la tête des Mavericks en juillet dernier, Gersson Rosas (35 ans) a lui débuté à Houston, où il a progressivement grimpé les échelons en touchant à tous les secteurs : stagiaire au département vidéo puis coordinateur vidéo, directeur du scouting, responsable des joueurs, Rosas s’est hissé jusqu’à la vice-présidence des opérations basket de la franchise.
. Avant d’accepter le poste de GM des Suns en mai dernier, Ryan McDonough (33 ans) a passé dix années à Boston, où il s’est imposé comme un observateur pointilleux et un analyste hors-pair. Brillant à de diverses responsabilités (assistant spécial des opérations basket, directeur du scouting, assistant du General Manager), il suit aujourd’hui près de 1 000 jeunes joueurs dans le monde entier. On vous laisse imaginer sa base de données et son carnet d’adresses.
. Pete D’Alessandro (45 ans) n’a pas quitté son poste de vice-président des opérations basket des Nuggets par hasard. Diplômé en droit, ex-agent de joueur, il est avant tout l’un des plus grands experts économiques de la ligue, spécialiste du « salary cap ». C’est donc en toute logique qu’il a été choisi cet été pour remplir le poste de GM des Kings de Sacramento. Une franchise rachetée en avril dernier pour un record de 535 millions de dollars par un homme d’affaires indien, Vivek Ranadive.
L’exception Shareef Abdur-Rahim
Malgré tous ces exemples de dirigeants « modernes », qui ne comprennent pas le jeu par la pratique au plus au niveau, mais par l’observation et l’utilisation optimale d’analyses chiffrées, il demeure quelques rares exceptions. Shareed Abdur-Rahim, douze ans de carrière NBA dans les pattes, est l’une d’entre elles.
Retraité en 2008, l’ex-star des Grizzlies et des Hawks a rapidement intégré le staff des Kings en tant qu’assistant coach. Convaincant, il est ensuite devenu le General Manager assistant de la franchise, puis le responsable des joueurs. Le 29 août dernier, il a même accepté de devenir le GM des Reno Bighorns, l’équipe de D-League affiliée aux Kings. Son secret ? Avoir fait ses preuves alors qu’il n’était encore qu’un joueur.
« Les gens se font une opinion de vous en se rappelant du joueur, donc si tu étais un gars digne de confiance – pas forcément le meilleur, mais quelqu’un de fiable – sur lequel on pouvait compter tous les soirs, si on savait que tu travaillais dur, que tu arrivais à l’heure, que tu étais responsable, c’est déjà un grand pas de réalisé dans ta vie après la NBA », éclaire-t-il. « Mon conseil ? Ne crois pas [qu’être un dirigeant], c’est comme être un joueur. Les règles ne sont pas du tout les mêmes. L’environnement est différent. C’est comme tout le reste : il faut bosser ».
« Un processus éducatif »
Et bien que la frontière entre le monde des joueurs et celui des dirigeants soit de plus en plus difficile à franchir, ce type de séminaire organisé à Vegas vise à rassurer les NBAers et à leur montrer qu’une telle carrière, même dans dix ans, reste envisageable. Shaun Livingston y pense depuis bien longtemps, lui qui croyait son parcours de joueur terminé à 21 ans, après une grave blessure au genou.
« Les règles salariales, c’est un peu comme un algorithme », explique-t-il comme un élève qui a bien appris sa leçon. « Une fois que tu as bien compris cela, tu peux même essayer de monter une équipe, de la structurer. Tu regardes ce que tu as le droit de faire, de quelles économies du disposes, tu fais attention à la luxury tax, tu étudies les exceptions et comment tu peux les utiliser… ».
Mais le chemin est encore long.
« Il y a un truc… j’ai oublié le terme, mais ça te permet d’être à 4 millions de dollars au-delà du plafond salarial tout en conservant une exception… »
Présent aux côtés des joueurs en formation, l’assistant-GM des Hawks Wes Wilcox, qui s’est exprimé sur le scouting et le nouveau CBA, reste convaincu que ce genre d’initiative, répétée, peut faire la différence.
« C’est un processus éducatif », explique-t-il. « Plus les joueurs NBA comprendront les mécanismes de la ligue, la façon dont les transferts sont décidés, plus ils comprendront leur métier, la réalité de la NBA. Ils doivent penser à leur vie après le basket. Leur carrière se termine quand la nôtre débute. C’est vraiment cool de voir un tel groupe de joueurs y penser, de pouvoir leur offrir une opportunité, écouter leur avis et partager notre expérience ».