Les Jeux olympiques de Munich en 1972 fêtent leur 50 ans cette année. Cette édition fut surtout marquée et endeuillée par l’attentat perpétré contre les athlètes israéliens, le 5 septembre. Onze sportifs seront finalement tués après une prise d’otages de plusieurs heures.
L’autre événement marquant de ces Jeux, ce fut la finale olympique de basket entre les États-Unis et l’URSS, disputée le 9 septembre. En pleine guerre froide, un tel duel, c’était déjà un moment fort, mais c’est la fin de rencontre controversée, et le résultat, qui va faire basculer ce match dans l’histoire du sport.
Petit retour en arrière sur ces fameuses dernières secondes. Les Américains avaient été menés dans cette finale, accusant jusqu’à dix points de retard. Ensuite, grâce notamment à l’arrière Kevin Joyce, ils étaient revenus dans la partie.
Trois secondes d’éternité
En fin de rencontre, Doug Collins, qui deviendra ensuite coach des Bulls, se retrouve sur la ligne des lancers-francs. Il réussit les deux et donne ainsi un point d’avance aux siens (50-49). Il reste alors trois secondes à jouer. Les Soviétiques jouent la remise en jeu mais le jeu est arrêté au milieu du terrain, avec une seconde sur le chronomètre. La confusion commence, avec un temps-mort qui aurait été demandé par les Soviétiques. L’arbitre décide de redonner trois secondes à jouer, avec une nouvelle remise en jeu.
L’URSS effectue sa remise en jeu et la passe qui suit n’est même pas encore vraiment lancée que le buzzer retentit. C’est terminé, le score apparait sur les écrans de télévision et les Américains exultent, ils sont champions olympiques.
Sauf que l’arbitre avait redonné trois secondes à jouer aux Soviétiques et, lors de la remise en jeu, le chronomètre était toujours réglé sur la seconde qu’il restait avant la confusion du temps-mort. Il faut donc recommencer cette remise en jeu, pour la troisième fois, avec bien trois secondes au compteur.
La remise en jeu se transforme en passe très longue, qui traverse tout le terrain et arrive en direction d’Alexandar Belov. Malgré deux défenseurs américains face à lui, il capte la balle, feinte puis marque ! Pour la dernière fois de la partie, on entend le buzzer et l’URSS est championne olympique en s’imposant 51-50.
C’est historique, sur la forme, avec ces interminables trois ultimes secondes, mais aussi sur le fond. C’est tout simplement la première défaite des Américains dans les Jeux olympiques depuis l’instauration du basket, en 1936 ! La colère des joueurs US sera à la hauteur du tremblement de terre.
Refus catégorique du podium et des médailles
Le lendemain, à l’hôtel, les joueurs de l’équipe américaine confirment ce qu’ils se disent depuis quelques heures : ils refuseront tous leur médaille d’argent.
« C’était la seule façon d’exprimer nos sentiments concernant toute cette histoire. On a gagné ce match. Deux fois même », confie l’intérieur Jim Brewer à The Athletic. « On était tous d’accord pour que cette décision soit unanime », poursuit Doug Collins. « Personne n’allait accepter cette médaille. »
Ils ont tenu parole, en étant absents des cérémonies et en laissant leur place vide sur le podium. Pour la première fois de l’histoire des Jeux olympiques, une équipe refuse une médaille en signe de protestation.
Au fil du temps, les responsables olympiques feront le nécessaire pour les faire changer d’avis, en multipliant les courriers et les coups de téléphone. Mais rien n’y fait. Les arrières Kenny Davis et Tommy Henderson iront même très loin : il est inscrit dans leur testament que les membres de leur famille ne pourront pas accepter les médailles après leur décès…
« Le fait qu’ils nous envoyaient ces lettres chaque année pour nous dire que nos médailles étaient toujours à Lausanne, si on voulait les récupérer, c’était drôle pour moi qui bossait si près de là », raconte Mike Bantom, membre de l’équipe de 1972 qui a travaillé pour la NBA à New York puis à Genève. « Mais je n’en voyais toujours pas l’intérêt. »
Que faire des médailles ?
Pour s’assurer que la décision du 10 septembre 1972 soit bien irrévocable, l’ailier Tom McMillen a demandé à ce que les douze médailles soient envoyées à un avocat à Chicago, afin qu’aucun joueur ne vienne un jour réclamer la sienne au Comité international olympique (CIO). L’avocat en question, Donald Gallagher, devait alors ensuite les céder à des musées aux États-Unis.
« Cela deviendrait ainsi une sorte de souvenir permanent. Sinon, l’équipe de 1972 va quelque peu disparaitre dans l’oubli », explique McMillen, qui ne voulait tirer aucun profit financier de cette affaire de médailles. Il était même prêt à les laisser dans un coffre-fort en Suisse.
Quelle réponse du CIO, en janvier 2022, à cette demande de placement dans des musées aux États-Unis ? Non car, d’après l’avocate du CIO, Mariam Mahdavi, « cela ne respecterait en aucun cas l’esprit d’une attribution de médailles olympiques » et qu’il n’y a « aucun fondement juridique » pour satisfaire cette requête.
Le CIO a même glissé un petit tacle à Tom McMillen et à ses coéquipiers, en leur précisant que l’organisme olympique « apprécie les efforts pour transformer en quelque chose de positif l’impression laissée par votre refus du prix il y a près de 50 ans ».
Retour à la case départ : que faire des médailles, cinquante ans après ces Jeux olympiques et alors que les joueurs sont soit décédés, soit toujours enfermés dans leur décision de 1972 ? La question principale est ailleurs d’après l’enquête menée par The Athletic : avant toute chose, où sont ces douze médailles ?
Cinq médailles dans la nature…
Car le CIO pouvait bien demander aux joueurs américains de venir chercher les médailles, il aurait été bien en peine de les fournir si les médaillés d’argent 1972 avaient tous changé d’avis un jour ou l’autre. En effet, d’après nos confrères, il manque cinq médailles d’argent. Comment est-ce possible ?
Il faut revenir à la journée de remise des médailles. On l’a dit, les Américains n’étaient pas présents. Ce boycott a poussé les organisateurs a changé le programme puisque, initialement, cette cérémonie devait avoir lieu dans le stade olympique. Sans la délégation américaine, c’est finalement l’Olympiahalle qui accueille l’événement, à la fin du tournoi de handball masculin.
La cérémonie se termine et personne, comme prévu, n’est venu réclamer les breloques en argent, ni les papiers officiels – une sorte de diplôme – qui confirment les résultats du tournoi. Deux fonctionnaires repartent donc avec ce butin.
« J’ai pris les diplômes, que je dois encore avoir quelque part, mais pas les médailles », se souvenait Walther Tröger en 2019, avant son décès, maire du village olympique en 1972 et membre du CIO. « C’est Ernst Knoesel qui a pris les médailles et je pense qu’elles ont disparu là-bas. »
Puis, vingt ans après cette journée de septembre 1972, le Comité olympique allemand, présidé par Willi Daume et où Walther Tröger officie également, propose de remettre sept des douze médailles au CIO en Suisse. Voilà pourquoi Mike Bantom recevait des lettres dans les années 1990 lui disant qu’il pouvait se rendre à Lausanne pour aller chercher sa médaille.
Si sept médailles sont conservées en Suisse, quid des cinq autres ? « Une huitième médaille sera remise par M. Daume, quatre autres sont encore avec M. Ernst Knoesel, l’ancien directeur sportif du comité d’organisation de Munich », avait écrit Tröger en 1992, dans une lettre en anglais, sur un papier à en-tête olympique allemand.
… dont une dans les mains d’un ancien membre du parti nazi
Le CIO a confirmé à The Athletic que les cinq médailles restantes n’ont jamais été remises par Willi Daume et Ernst Knoesel. « Le CIO a reçu sept médailles du comité d’organisation. D’après nos informations, à l’époque, les autres médailles restaient au comité d’organisation. Nous n’avons pas plus d’informations sur les autres médailles. »
Les deux protagonistes sont aujourd’hui décédés et leurs fils n’ont pas pu apporter d’éléments concrets sur la destinée de ces cinq morceaux d’histoire de l’olympisme.
« J’ignorais que mon père avait une des médailles et je ne sais pas où elle se trouve », répond Kay Daume quand on lui pose la question. « Mon père n’avait pas de dernière volonté et n’a fait aucun testament, donc je n’ai rien reçu après sa mort. »
Pour rendre cette histoire encore plus romanesque, il faut savoir que la petite histoire du sport se confond avec la grande Histoire chez Willi Daume. Ce personnage, décédé en 1996, fut chargé de convaincre le CIO, dont il était membre, de confier les Jeux olympiques de 1972 à Munich, 36 ans après les tristement célèbres Jeux organisés par l’Allemagne nazie en 1936 à Berlin.
Une Allemagne alors dirigée par Adolf Hitler et par son parti politique, le NSDAP, dont Daume fut membre. D’après des recherches publiées en 2010, on apprendra également qu’il fut un délateur durant la Seconde Guerre mondiale et que dans l’usine familiale, dont il avait hérité à la mort de son père, à Dortmund, on recensait 65 travailleurs forcés.
Cinquante ans après ce match historique et cette rocambolesque histoire de médailles, la colère n’a jamais faibli chez les Américains. La douleur et l’aigreur irriguent toujours les réponses des joueurs.
« Qu’elles soient dans un coffre-fort en Suisse ou dans le sous-sol de quelqu’un, cela n’a vraiment pas d’importance pour moi », conclut Mike Bantom. « Si j’avais remporté une médaille d’argent aux Jeux olympiques, j’en serais très fier et je voudrais évidemment l’avoir et l’exposer quelque part chez moi, et chérir le fait que j’ai gagné une médaille parce que ce n’est pas une honte tout de même. Sauf que nous n’avions vraiment pas l’impression d’avoir perdu. Donc je me fous de savoir où sont ces médailles. »