S’il représente encore quelques joueurs en NBA (Otto Porter Jr…), David Falk n’est plus l’homme qui terrorisait les dirigeants de la ligue. Dans les années 1980 et 1990, l’ancien agent de Michael Jordan, Patrick Ewing et Allen Iverson était ainsi considéré comme le deuxième homme le plus puissant de la ligue, juste derrière David Stern.
Féroce négociateur, il pouvait changer l’équilibre financier de la NBA à lui seul, comme lors de cette période de six jours, à l’été 1996, où il a négocié pour plus de 400 millions de dollars de contrats…
Aujourd’hui âgé de 70 ans, le « super agent » s’est assis pour discuter avec Rich Kleiman, le manager de Kevin Durant, pour une interview extrêmement intéressante, où il explique dans une première partie que le plus beau compliment que lui ai fait Michael Jordan, c’est de « l’avoir aidé à comprendre le business ».
Les méthodes du tennis importées en NBA
David Falk raconte ainsi que le métier d’agent, dans les années 1970 et 1980, était « totalement différent », un peu « comme si on revenait à l’époque où on disait que la Terre est plate ». Il détaille ainsi que c’est en 1977 qu’il a commencé à vraiment taper dans l’œil des coachs des principales universités, qui conseillait leurs joueurs sur le choix de leur agent. « À l’époque, on pouvait négocier les contrats des rookies. Par exemple, en 1977, on avait un joueur qui s’appelait Marques Johnson, joueur de l’année en NCAA, qui avait été choisi en 3e position de la Draft par Milwaukee. Et son contrat était 30% supérieur à celui du joueur choisi en 1ère position, par Milwaukee, un certain Kent Benson. Après ça, Coach Smith (coach de North Carolina de 1961 à 1997), qui était diplômé en mathématiques, nous a offert tous ses joueurs. Nous avions tous les gars de North Carolina ».
C’est à partir de là que la carrière de David Falk décolle vraiment en NBA, notamment en représentant James Worthy, premier choix de la Draft en 1982. Un rookie qu’il va aider à décrocher le premier contrat à plus d’un million de dollars de la part d’un équipementier, avec New Balance.
« De 1974 à 1984, j’étais assistant pour la gestion de deux tennismen de premier plan, qui avaient leurs propres chaussures, leurs propres raquettes, leurs propres vêtements : Arthur Ashe et Stan Smith. On représentait (au sein de ProServ, l’agence qui l’avait engagé) aussi Jimmy Connors, Ivan Lendl et Tracy Austin. Pour tous les joueurs de tennis, c’était classique d’avoir leurs propres produits. Personne ne faisait ça dans le basket et le contrat de James Worthy a tout changé. Dean Smith m’a dit : ‘On n’a pas besoin de vous pour les chaussures, Puma lui offre 55 000 dollars.’ Je lui ai dit : ‘Coach, laissez-moi essayer, on pourra peut-être obtenir plus.’ Il m’a dit : ‘Vous pouvez obtenir plus que 55 000 dollars pour un rookie ?’ Je lui ai dit de me laisser essayer et on a obtenu 155 000 dollars par an (pendant huit ans) ».
De la créativité dans les contrats
Avec sa formation d’avocat, David Falk explique également comment il a créé beaucoup de termes qui sont devenus classiques dans le langage actuel des contrats NBA, les règles étant beaucoup plus floues à l’époque.
« J’ai créé beaucoup de choses (comme l’Early Termination Option, qui permet de casser son contrat avant la fin de celui-ci) durant ma carrière parce que je représentais des superstars et il fallait être créatif. Une des choses frustrantes sur le fait d’être agent à l’heure actuelle, c’est qu’il n’y a aucune créativité dans la structure des contrats. Si vous représentez LeBron, Kobe ou Kevin, vous allez obtenir le max et vous allez simplement décider si vous voulez que le salaire soit payé sur six ou douze mois, si vous voulez de l’argent en avance, et si vous voulez quatre ou cinq ans de contrat. Il n’y a rien à faire, ça se résume à trois phrases ».
C’était forcément bien différent à la fin des années 1970, quand David Falk a commencé sa carrière, et qu’il ajoutait un addendum de vingt pages pour détailler tous les termes de l’accord avec les équipes.
« La plupart des agents ne comprenaient pas l’accord collectif. Ils ne savaient pas ce qu’était un contrat garanti. Dans mes contrats, je définissais ce qu’était un contrat garanti. Je disais que l’obligation par l’équipe de payer le joueur, lorsqu’elle a signé le contrat, est absolue et qu’elle ne dépend pas de la performance et de la disponibilité du joueur. En fait, on a mis en place des contrats qui n’étaient pas seulement garantis, mais qui étaient aussi impossibles à couper. En 1977, on a fait un contrat pour Kermit Washington à mon bureau et Red Auerbach m’a dit : ‘Ça veut dire quoi impossible à couper ? Je ne peux pas le couper ?’ Je lui ai dit que non. Il m’a dit : ‘Si je garantis l’argent, pourquoi est-ce que je ne peux pas le couper ?’ Je lui ai répondu que parce que s’il le coupait, il perdait le financement pour le régime de retraite (lié à la présence dans un effectif) et qu’il devait donc le garder dans l’effectif. Donc il m’a demandé si on pouvait annuler cette clause s’il finançait son régime de retraite, je lui ai dit que c’était d’accord et ce fut le premier changement majeur. Mais les contrats étaient alors très compliqués. »
À la base de l’image de Michael Jordan
Aujourd’hui, la NBA a intégré ces règles, ce qui fait que les négociations sont beaucoup plus simples sur le plan technique. Mais David Falk n’a pas seulement innové au niveau des contrats, il a aussi été l’un des grands artisans du marketing autour des athlètes, et forcément autour de Michael Jordan.
« Mon plan était très simple. Je me suis assis avec lui et ses parents à Chapel Hill et je lui ai dit qu’on allait le vendre comme le « héros américain », le voisin qui a ses deux parents, qui vient de Caroline du Nord et qui a brillé aux Jeux olympiques (de 1984). Donc les trois premiers contrats que je voulais signer, c’était avec Coca-Cola, Chevrolet et McDonald’s. Pas besoin de plus que ça. Nike a été le premier contrat mais le fait amusant, avec l’histoire entre Michael et Nike, c’est que Mike ne voulait pas de Nike. Il ne connaissait pas la marque, il n’aimait pas la chaussure, qui n’était pas terrible à l’époque. Converse était la marque dominante, ils avaient Dr. J, Larry Bird, Magic Johnson, Bernard King et Isaiah Thomas, c’était la marque officielle de l’équipe olympique, et adidas avait tous les autres joueurs d’importance. Mais j’ai pensé que Nike était la marque qui voulait le plus Michael, qui avait le plus besoin de lui et qui en ferait le plus pour lui. »
Et ça collait parfaitement au plan de l’agent autour du « héros américain ».
« Mon plan marketing, c’était trois ou quatre compagnies, toutes américaines, qui allaient mettre en avant son image de gendre idéal, avec ses parents qui étaient impliqués dans les publicités. McDonald’s est le premier vendeur de Coca-Cola dans le monde. Ils sont intrinsèquement liés et il faut des contrats liés, des contrats qui collent. On pensait que l’image générale était cohérente avec ces trois compagnies : Coca-Cola, McDonald’s et Chevrolet. Pour Chevrolet, c’était juste un contrat local à Chicago, comme McDonald’s. Le premier accord n’était pas national. On est allé voir McDonald’s et on leur a dit qu’on voulait un contrat pour Michael, en expliquant qu’ils étaient basés à Oak Brook, dans l’Illinois, et que lui était à Northbrook, dans l’Illinois (soit à quelques kilomètres de distance). Ils m’ont dit : ‘Mince, comment on va pouvoir utiliser un basketteur afro-américain ?’ Je leur ai répondu que j’allais chez McDonald’s et qu’ils avaient des tas de clients afro-américains. On a donc signé un contrat dans deux marchés, Chicago et la Caroline du Nord. C’était 25 000 dollars chacun par an et à la fin de la deuxième année, il y avait une option pour faire une campagne nationale. La femme qui gérait la publicité en Caroline du Nord n’a pas voulu renouveler l’accord après la deuxième année parce qu’elle ne savait pas comment utiliser l’image de Michael Jordan en Caroline du Nord. Je pense qu’elle a été mutée en Afghanistan. »