Si le sujet est de plus en plus médiatisé après les clichés révélés de LeBron James et Carmelo Anthony cet été, la question des régimes alimentaires des joueurs est loin d’être nouvelle dans les coulisses des salles d’entraînement et des vestiaires de la grande ligue.
Il est en effet naturel pour un sportif de haut niveau de s’astreindre à une hygiène de vie plus rigoureuse que le reste de la population. Qu’il s’agisse d’un match de basket de 48 minutes, d’un marathon ou d’un match de tennis en cinq sets, le corps nécessite des ressources importantes et pour lui fournir, l’athlète doit surveiller son alimentation.
« Si tu n’adoptes pas une alimentation décente, tu vas rapidement décliner. » Tim Grover, préparateur physique des stars
Évidemment, tous ne sont pas égaux face à l’alimentation mais il y a cependant une règle reliant tous les athlètes qui présentent une longévité de carrière importante : l’adoption, plus ou moins précoce, d’un régime alimentaire strict. Récemment, le célèbre préparateur physique Tim Grover, employé par Michael Jordan, Scottie Pippen, Hakeem Olajuwon ou encore Dwyane Wade, expliquait dans Sports Illustrated l’éthique impliquée par le très haut niveau sportif.
« Se sentir jeune à 40 ans ne commence pas à 40 ans. Cela s’acquiert dès le début, quand le corps est frais, jeune et que tout est facile, bien avant le premier indice de déclin. La longévité dans le sport n’est pas liée à ce que l’on commence à faire une fois âgé. Dans ce cas, c’est trop tard. C’est lié avec ce que l’on fait avant de prendre de l’âge, par une éthique de travail implacable et le voeu déterminé d’une chose : parvenir au top et constamment aspirer à aller encore plus haut. »
La liste de sportifs ayant rappelé à quel point le travail constituait la part la plus importante de leur réussite, au-delà du talent, est trop longue pour l’énumérer ici. La longévité est, avec le palmarès, l’obsession du sportif. Rester au top saison après saison, face à l’arrivée des jeunes talents aux dents longues, nécessite deux atouts essentiels : la force mentale et un physique d’exception.
Sans bonne hygiène de vie, les qualités individuelles ne suffisent plus, au bout de quelques années, à tenir le rythme d’une saison NBA. Entre 82 et 100 matchs (en tenant compte des playoffs), les efforts requis pour jouer dans cette ligue sont en effet exigeants. De Michael Jordan à Carmelo Anthony, en passant par Steve Nash, Kobe Bryant ou Tim Duncan, tous ont suivi un régime draconien.
Michael Jordan : des repas simples, complets, menus mais fréquents
En 1996, Michael Jordan avait perdu du poids suite aux recommandations de Phil Jackson, inquiet pour les genoux de sa star. Tim Grover, encore lui, narrait alors au Chicago Tribune le comportement alimentaire suivi par Sa Majesté.
« Michael n’est pas un gros mangeur. Il ne mange que lorsqu’il a faim, et seulement jusqu’à ce qu’il se sente bien, plutôt que plein. Je ne surveille plus son plan nutritionnel autant que les jeunes joueurs que je suis. Il a appris au fil des années ce qui marche pour lui, ce qui lui donne le plus d’énergie et d’endurance. Ce n’est pas comme si je devais m’inquiéter qu’il passe l’intersaison à manger de la junk food. Je m’inquiète plutôt qu’il ne mange pas, il perd du poids rapidement, il a un haut niveau de métabolisme. »
De fait, pour que le n°23 puisse tenir le choc de ses efforts quotidiens, Tim Grover avait concocté un programme sur-mesure, mais suffisamment souple pour laisser le contrôle du contenu au joueur. Il préconisait ainsi des repas plus petits mais plus fréquents.
« Ça aide à réguler le taux de sucre dans le sang ou le niveau d’insuline dans le corps. S’il devait manger un gros petit-déjeuner le matin, puis ne plus rien manger jusqu’à l’entraînement, disons à 15h, ses niveaux d’insuline et d’énergie seraient en pic durant la matinée avant de s’effondrer durant l’après-midi. Cela affecterait son humeur ainsi que son niveau d’activité. »
Le préparateur prescrivait ainsi cinq ou six repas par jour, avec beaucoup de liquides (eau ou Gatorade), des mélanges de glucides et de protéines, en évitant les matières grasses (fruits, blancs d’oeuf brouillés, blanc de poulet ou boeuf maigre, fruits frais, pâtes ou pommes de terre au four, etc…). Voici dans les grandes lignes le régime de celui qui incarne, pour beaucoup, le meilleur joueur de l’histoire de la balle orange.
Kobe Bryant, un mauvais exemple ?
Jeune, Kobe Bryant n’était guère connu pour ses bonnes pratiques alimentaires. Au lycée, l’arrière de Lower Merion passait son temps dans les fast-foods.
« J’avais fait de la musculation durant mes trois premières années, donc mon année senior était assez simple. Chaque jour était comme un jour off. » racontait-il dans l’émission « When I Was 17 » de MTV. « Donc à chaque pause, on se posait toujours cette question : « T’as faim ? Ouais, j’ai faim. Ok, on y va. J’étais affamé, vous savez. J’avais même pas 20 ans. Je devais manger. La pizza de la cafétéria ne calait pas. C’était comme de la bouffe de prison. Alors, on allait au McDonald’s, au Taco Bell. »
Une pratique que le joueur a prolongé pendant les dix années suivant son arrivée aux Lakers.
« Je suis un mauvais exemple. Je mange de la junk food et je cours tous les jours » disait-il à Inside Socal en 2007.
Kobe Bryant consomma notamment une pizza pepperoni quelques heures avant d’inscrire 81 points.
Du hamburger au paléo
Depuis, sous l’influence de la préparatrice de l’équipe Cate Shanahan, également auteure du livre « Deep Nutrition: Why Your Genes Need Traditional Food », le Laker est devenu autrement plus rigoureux, et notamment un adepte du régime paléo, le même que Ray Allen.
« En vieillissant notre métabolisme ralentit, on devient lentement un peu plus lourd. » expliquait-il à Lakers Nation pour justifier sa perte de poids.
Les régimes de ce type se différencient de celui de Michael Jordan, loin d’être aussi drastique en matière de glucide. Il y a plusieurs types de diètes de ce genre : parmi les plus suivis, le régime Paléo et le régime pauvre en glucides. Les spécificités entre les deux sont minces mais suffisantes pour les dépareiller. Au contraire du Paléo, beaucoup de régimes pauvres en glucides n’abordent pas la question de la qualité des calories et des graisses ingérées.
Comme son nom l’indique, le régime Paléo s’inspire de ce qui constituerait l’alimentation de nos ancêtres du paléothique avec une nourriture presqu’exclusivement à base de sources naturelles : exclusion des produits nés de la révolution agricole, donc de la culture et de l’élevage (céréales, laitages, amidon, sucre, légumineuses puis aliments transformés) et nutrition à base de viandes maigres, poissons, produits de la mer, légumes et végétaux. La question des huiles fait débat, certains acceptant les huiles d’olive ou de noix par commodité, d’autres préconisant plutôt de consommer les olives et noix avant transformation.
Ainsi, Bryant est un consommateur important de fruits, de viandes maigres, de légumes et de poissons, même s’il s’autorise de temps en temps une gourmandise.
« J’apprécie bien plus les légumes depuis que je sais que de manger un cookie de temps en temps n’est pas un échec. » affirmait-il à iVillage.
Sans les cookies, les fondamentaux sont les mêmes pour Ray Allen qui, à 39 ans, a atteint l’an passé son poids le plus bas depuis ses années universitaires (90 kilos).
« Les trois premiers jours, j’avais des maux de têtes, mon corps était mou puis j’ai commencé à m’habituer aux salades, fruits, protéines, saumon et poulet et j’ai arrêté les sodas, le Gatorade. Juste du thé glacé non sucré, de l’eau et c’est tout, » a t-il raconté au Miami Herald.
Un régime qu’il ponctue de goûters, à base de noix de pécan, cajou et de chips de banane plantain.
Steve Nash, l’obsessionnel
Parmi les joueurs NBA, Steve Nash est sans doute l’un des joueurs les plus rigoureux avec son alimentation. Toujours très pédagogue et accessible, le meneur des Lakers décrivait lui-même, dans un article posté sur Facebook à l’époque où il jouait aux Suns, l’origine et le contenu de son régime alimentaire.
« Beaucoup de mes coéquipiers, dont le Shaq, m’ont demandé ce que je mangeais et c’est devenu un sujet de conversation important dans le vestiaire, dans le bus ou l’avion (…). Je n’ai jamais interprété mon alimentation comme un régime particulier , il s’agit juste d’une évolution naturelle liée à mon souhait d’être le meilleur athlète possible, d’être une personne saine qui prévient les blessures et les maladies, à même de jouer au plus haut niveau. J’ai réalisé un jour à la fac que je ne pouvais plus manger tout ce que je voulais et rester mince. »
Chris Kaman : « 85 à 90% des joueurs sont minces et sautent haut. Ils s’en foutent de la nutrition »
Cette question, Steve Nash la pose à juste titre pour dévoiler l’une des raisons qui l’ont poussé, jeune, à adopter des habitudes alimentaires saines.
« Heureusement pour moi, j’ai toujours aimé les fruits et les légumes, » poursuit-il. « En fait, j’ai toujours tout aimé et j’ai pu, de fait, laisser tomber les mauvais produits en ayant recours à ceux que j’adore : fruits, légumes, poisson grillé et poulet. J’avais coutume de manger beaucoup de pâtes et de riz, mais désormais je ne mange que du riz brun et de temps en temps, des pâtes bio à base de composants naturels. Pour faire simple, j’essaye de couper tous les mauvais sucres, les graisses et les produits industriels de mon alimentation. »
Mais Dame Nature a décidé de compliquer la vie du sportif, et ce dernier présente de plus quelques intolérances.
« Le blé, le gluten, le lait et même deux de mes légumes favoris, la tomate et l’oignon. »
Comme Kobe Bryant ou Michael Jordan, le Canadien multiplie les collations, environ six par jour, en incluant les goûters à base d’amandes et de noix de cajou entières, de fruits sec, de carottes ou de céleri.
Le régime sans gras toujours en vogue
Son exemple, et celui de Grant Hill avec lequel il partage beaucoup d’habitudes, illustre bien à quel point ces athlètes d’élite prennent soin de leur corps comme un outil de travail. Si cela parait une évidence, cela n’est pas si fréquent dans une ligue où des Shawn Kemp, Eddy Curry, Dennis Scott, Baron Davis Raymond Felton ou feu Robert Traylor se sont tous illustrés par leurs variations de poids, souvent du mauvais côté de la balance.
« Je pense que 85 à 90% des joueurs NBA ne se soucient pas de leurs corps, » expliquait Chris Kaman, farouche adversaire des glucides, à CBS Sports. « Ils s’en fichent car ils ont déjà un corps qui leur semble beau. Mais ce sont des bêtes de foires, ils sont minces et peuvent sauter haut, donc ils s’en foutent. Je suis de l’autre côté du spectre. »
La généralisation des régimes alimentaires est en cours en NBA : Derrick Rose a cessé les bonbons dont il était accro ; Blake Griffin a cessé le gluten, Luis Scola s’est lancé dans la diète anti-inflammatoire (baisse des oméga-6, alimentation méditerranéenne).
Malgré la mode anti-glucides, la graisse reste encore le vilain petit canard. À juste titre ? Les amateurs des régimes pauvres en glucides la favorisent, mais elle garde ses détracteurs, comme l’atteste ce guide proposé à ses joueurs par New Orleans, à l’époque où le club s’appelait encore Hornets. On y parle toujours de l’importance de préserver les glucides, si possible complexes, et des protéines. La graisse est décrite comme une mauvaise source d’énergie.
L’avis d’un nutritionniste
Au sujet du contenu de ces régimes et de leur fiabilité, nous avons interrogé Jean-Paul Blanc, diététicien-nutritionniste diplômé de l’université Lyon-1, membre de la Société Française de Nutrition du Sport, chargé de cours au DU de nutrition du sportif à Paris 6 et auteur, entre autres, de « Diététique du sportif » aux éditions Amphora.
Recommanderiez-vous un régime sans glucides pour le sport de haut niveau ?
– Jamais, car le muscle a besoin de glucides. Un régime sans carbohydrates peut faire perdre la masse grasse assez vite, alors oui, à la limite, c’est un régime que l’on peut suivre quelques jours pour sécher. Mais sur du long terme, chez les sportifs, on peut avoir des contre-performances incroyables. On peut avoir des moments d’euphorie, en raison de la cétose. Une fois qu’on a plus de réserve glycogène, le muscle commence à puiser dans les ressources de graisse mais cela ne suffit pas à répondre à la demande énergétique. Il faut savoir que le cerveau a besoin d’environ 120 de glucose par jour pour son bon fonctionnement.
Hormis la perte de masse graisseuse, c’est donc un régime incompatible avec la pratique du sport ?
Chez un sportif, il faut fournir autour de 55% de glucides, le ratio en lipides ne doit pas dépasser 30% des calories. On recommande environ un ratio de 15% de protéines. Du moment, que l’on supprime les glucides, on va assister à un régime hyper-protéiné, cela donne un PH acide, qui favorise l’inflammation. On se bat pour alcaliniser le corps, en disant aux gens de manger des fruits, des légumes, du pain. C’est très important.
Faut-il faire un distinguo entre les sucres raffinés et les sucres lents ?
Alors en revanche, oui, si c’est la question. Chez un sportif, on limite les sucres raffinés pour donner des glucides complexes. On conseille jusqu’à 15% de sucres rapides mais le reste doit être des sucres à libération lente. Finalement, le meilleur des régimes, c’est peut-être celui du diabétique. À l’heure actuelle, on travaille sur le contexte de la prise alimentaire. Une glace, par exemple, ou un autre produit sucré, on la favorise plutôt dans le cadre d’un repas que dans un cadre isolé, on va favoriser la mixité au sein du repas car l’index glycémique n’est pas du tout le même.
Qu’en est-il du régime sans gluten ? Certains sportifs l’ont adopté et c’est un régime qui se popularise, même chez les individus n’ayant pas d’intolérance.
On vit dans un monde occidental à l’abri de famines. Quand vous allez dans un campus aux États-Unis ou au Canada, on assiste à des gens qui mangent sans gluten ou encore sans protéine de vache. Ce sont des maladies de pays riches. Chez les sportifs, on se pose certes la question de potentielle inflammation des muqueuses de l’intestin lors d’un effort prolongé, en raison de la protéine de la gluten. Mais en dehors des cas d’allergies qui existent, il n’y aucune preuve scientifique de l’amélioration de performances grâce à un régime sans gluten.
Enfin, il y a t-il des spécificités propres à chaque sport ?
L’alimentation, c’est du sur-mesure. Lorsque nous sommes invités dans des infrastructures sportives, on fait des audits pour déterminer ce qui est bon ou non. On ne s’alimente pas de la même manière lorsqu’on va courir un marathon, ou lorsqu’on fait un tennis. Mais dans les grandes lignes, l’idée est de limiter l’apport en sucres rapides et en graisses.
Comme l’évoque Jean-Paul Blanc, la notion de sur-mesure est importante car les constitutions de Steve Nash ou de Shaquille O’Neal ne requièrent pas les mêmes habitudes, ou du moins les mêmes proportions alimentaires.
L’assiette, intimement liée à la tête ?
Et puis, il y a également des contextes sociétaux : ainsi, Bill Walton, Robert Parish, John Salley étaient végétariens, Salim Stoudamire végétalien. Le végétarisme implique de refuser de se nourrir de toute chair animale, en acceptant les produits issus du monde animal (oeuf, laitages) tandis que le végétalisme proscrit tout produit issu du monde animal, et donc tout produit dérivé de celui-ci (oeufs, laitages, gélatine, miel), des particularismes alimentaires compatibles avec le sport de haut niveau, à condition qu’ils soient suivis convenablement. Avec 21 saisons à son actif, dont neuf en tant que all-star, Robert Parish est la preuve que la consommation de produits carnassiers n’est pas une condition sine qua non à la pratique du sport de haut niveau.
On comprend vite qu’il existe pléthore de méthodes, souvent divergentes, et que chaque joueur adopte celle qu’il pense lui convenir. Il est également impossible de définir à quel point elles peuvent avoir un effet placebo sur l’athlète et de fait, aider quand bien même elles ne résultent parfois d’aucune recommandation scientifique prouvée.
L’exemple de Roy Hibbert illustre cet aspect, lui qui, par superstition, mangeait de la junk-food chaque jour de match universitaire car il avait un jour bien joué après avoir avalé une pizza…
Des programmes sous suivi médical
Au final, quelque soit le régime ou la diète choisie, la méthode n’est rien si elle ne se double pas d’entraînements intenses, répétés et rigoureux.
À l’heure où les salles de sport, les coachs, les méthodes de gymnastique se sont multipliés, bien aidés par les messages préventifs institutionnels, la notion d’hygiène de vie alimentaire est de plus en plus en vogue. Cela dit, ces programmes de sportifs de haut niveau ne conviennent pas à tout le monde et il est important de garder à l’esprit de ne pas les répéter, sans recommandation ou suivi médical.
« Je ne suis en aucun cas un médecin. » expliquait Scola à CBS. « Je ne veux pas que les gens me lisent et me prennent au mot. J’ai juste trouvé un régime, je l’ai essayé et cela a marché tellement bien que je m’y tiens. »
Sources
– La société française de nutrition du sport
– NBA Fit