Depuis deux ans, Basket USA vous propose le roman de l’été (avec des extraits de l’autobiographie de Phil Jackson puis du « Michael Jordan, The Life » de Roland Lazenby), et pour vous accompagner au coin du feu, nous vous proposons désormais le roman de l’hiver. On attaque avec l’ouvrage de référence de Jack McCallum, grande plume de l’hebdomadaire US « Sports Illustrated », sur l’aventure de la « Dream Team » à Barcelone. Une formation de légende qui fêtait en 2017 ses 25 ans. Bonne lecture
Première partie
Deuxième partie
Troisième partie
Quatrième partie
Cinquième partie
Sixième partie
Septième partie
Huitième partie
En tant qu’entreprise, les Pistons ont officiellement affiché leur satisfaction concernant la nomination de Daly. La réalité a, semble-t-il, été tout autre. Les Pistons avaient à l’évidence perdu l’ascendant qu’ils avaient sur les Chicago Bulls à ce moment-là et cependant, Daly bénéficiait d’une « promotion » qui n’avait rien à voir avec « Motown » (1). Isiah Thomas souffrait d’une blessure au poignet qui l’a maintenu éloigné des parquets pendant dix semaines. Plusieurs semaines après l’officialisation de la nomination de Daly comme coach de la « Dream Team », le capitaine des Pistons s’en prenait à tout le monde. « Personne n’en a plus rien à foutre de ce qui se passe ici, même les coaches, dit Thomas après une défaite face à des Cleveland Cavaliers de seconde zone. On se complaît dans la défaite maintenant. » Peut-être que c’était le plaidoyer d’Isiah pour intégrer la « Dream Team », sa façon de montrer combien la victoire était importante pour lui. Peut-être que c’était de la colère légitime. Peut-être était-ce les deux.
USA Basketball voulait annoncer son équipe pour septembre 1991, dix mois avant le début de la compétition qualificative, et se félicitait d’avoir nommé l’homme qu’il fallait au poste de coach. Très tôt dans le processus de décision, il avait été décidé que les traditionnelles sélections olympiques – ces épreuves infantilisantes qui permettaient à des tyrans tels que Bobby Knight d’écumer, d’enrager et de tenir la scène pendant des semaines, des épreuves qui sont encore de nos jours sacro-saintes dans le monde de l’athlétisme américain – n’auraient pas lieu. « Ecoute, Michael, tu pourrais te placer là, près du panier, à 45 degrés ? On voudrait pouvoir t’évaluer. »
Chuck Daly retient quatre de ses joueurs
Il y avait beaucoup de choses à faire pour assembler l’effectif. Le comité chargea Daly de constituer une liste de joueurs qu’il souhaitait, poste par poste, une demi-douzaine de noms environ pour chaque poste. C’était une tâche aisée pour Daly. C’était « La Liste » et n’importe qui aurait pu en faire une avec les principaux suspects – Michael Jordan, Magic Johnson, Larry Bird, Charles Barkley, Karl Malone, John Stockton, Chris Mullin, Clyde Drexler, etc. Daly mit quatre de ses joueurs dans cette liste – Isiah Thomas (évidemment), Joe Dumars, Dennis Rodman (il émergeait tout juste vers ce qu’il deviendrait bientôt : l’un des plus grands rebondeurs de l’histoire) et Bill Laimbeer, qui n’avait pas l’ombre d’une chance d’intégrer l’équipe mais qui était un joueur extraordinairement intelligent – il avait été pour une large part dans les deux titres conquis par les Pistons sous Daly.
Voir tous ces noms sur la table – des joueurs comme James Worthy, Kevin McHale et Dominique Wilkins avaient tous peu de chances d’être retenus – a eu un profond impact sur les cadres universitaires du comité. Dans les conversations informelles, l’idée d’une équipe avec six joueurs NBA et six joueurs universitaires avait progressivement cédé la place à un rapport de huit pour quatre. Les représentants universitaires se préparaient à cette dernière configuration, huit pros et quatre joueurs de fac.
Et alors, la dure réalité est entrée en jeu. « Je n’oublierai jamais ce jour où nous avons inscrit ces noms dans nos tablettes, m’a dit C.M. Newton, l’un des membres universitaires du comité. A ce moment-là, on envisageait de prendre huit pros et quatre universitaires. Et puis on a jeté un œil sur les noms des pros… On ne pouvait pratiquement en enlever aucun. On a tous pris conscience à cet instant – et c’était très tôt avant la décision finale – que c’en était presque terminé des joueurs universitaires en équipe nationale. »
Chris Mullin préféré à Reggie Miller
Malgré tout, la liste la plus intéressante qu’ait fournie Daly était celle de ses souhaits personnels. Elle incluait les noms des joueurs qu’il pensait les plus essentiels pour réussir. Je n’ai jamais vu cette liste et autant que je sache, Chuck ne l’a jamais dévoilée au public jusqu’à sa mort, d’un cancer, en 2009. Peut-être n’y a-t-il jamais écrit les noms des joueurs. Ou peut-être qu’il existe dans les archives de Chuck un bout de papier restant à exhumer. Les souvenirs des membres du comité ne concordent pas sur ces noms mais après quelques investigations, je confirme les noms que j’ai écrits dans « Sports Illustrated » à l’époque : Michael Jordan, Magic Johnson, Scottie Pippen, David Robinson, Chris Mullin, Karl Malone et Patrick Ewing.
L’ordre est intentionnel. Michael et Magic sont les numéros 1 et 2 évidents. Daly voulait Scottie Pippen pour l’efficacité de ses longs bras en défense et pour sa polyvalence en attaque. Il est vrai qu’il avait vu sa propre équipe étouffer complètement Pippen de nombreuses fois mais le lieutenant de Jordan chez les Bulls avait considérablement élevé son niveau de jeu en 1991, lors de la conquête du titre. Les joueurs sont souvent critiqués sous le couvert de la « complémentarité » mais Pippen était sans doute unique sous cet aspect : c’était la superstar des joueurs complémentaires.
Daly adorait les contres de David Robinson et l’adresse de Chris Mullin. Le nom de Reggie Miller s’est présenté assez vite mais Daly voyait plus Mullin comme le typique briseur de zones. Le coach n’était pas complètement entiché de Karl Malone mais il considérait le « Mailman » indispensable, comme scoreur poste bas et comme assurance pour les fins de possession problématiques. Idem pour Patrick Ewing, bien que Daly eût beaucoup plus d’affection pour le style de Robinson que pour celui d’Ewing.
Isiah Thomas, le grand absent
Le nom d’Isiah Thomas ne figurait pas sur la liste de Daly. La raison exacte de cette absence sera examinée plus tard (au chapitre 14) mais Daly s’est constamment rangé derrière l’argument qu’il n’était que le coach. « Le comité choisit les joueurs », disait-il, comparant la situation à celle qui avait cours en NBA – les general managers recrutent des joueurs et les coaches les coachent. C’était techniquement vrai mais complètement irréaliste en pratique. Si Daly avait débarqué au comité en disant « Je veux Isiah Thomas dans cette équipe », le comité aurait eu beaucoup plus de problèmes avec le processus de sélection. Je n’ai pas exprimé cette opinion à l’époque, ni personne autant que je sache. Je m’en excuse en partie car il n’y avait pas Internet. Le site SI.com n’existait pas et donc, il n’y avait pas un gros volume d’articles sur la sélection de l’équipe olympique. L’autre raison pour laquelle je n’ai rien écrit là-dessus, c’était mon respect pour la position délicate de Daly. « Chuck est le seul qui ait vraiment surfé sur le cas Isiah, m’a dit Jan Hubbard qui écrivit dans « Newsday » les articles les plus agressifs sur le processus de sélection olympique.
Isiah avait un autre allié supposé au comité en la personne du general manager Jack McCloskey, une voix respectée de la NBA. Si Isiah ne se sentait pas très à l’aise pour faire du lobbying auprès de Daly afin d’obtenir une place dans l’équipe – et c’est la vérité – il pouvait certainement en parler à McCloskey. « Isiah sentait qu’il ne pouvait pas faire pression sur Chuck mais il a mis une grosse pression à Jack », m’expliqua Dave Gavitt. Thomas a eu pendant un temps un capital politique au sein de la Ligue, à l’époque où il était tout jeune et que son crossover de tueur n’avait d’égal que son sourire ravageur. Mais ce capital était déclinant – il y eut la mise à l’écart de Michael Jordan, l’insulte à Larry Bird, le jeu physique des Pistons. Comme le disait Gavitt, « il est rapidement devenu évident qu’Isiah n’était pas le gars le plus populaire ».
« En ce moment particulier, nous représentions le passé, me raconta Laimbeer, le meilleur ami de Thomas aux Pistons et le « Bad Boy » le moins susceptible de minorer ses propos. Il aurait été intéressant de voir ce qui se serait passé si les Jeux avaient eu lieu deux ans plus tôt, quand nous étions en plein milieu de notre épopée. L’équipe olympique a été une bataille politique. S’il y avait une équipe et une personne qui n’allaient pas la gagner, c’était les Detroit Pistons et Isiah Thomas. »
Deux noms remarquables ne figuraient pas sur la liste des souhaits de Daly : ceux de Larry Bird et Charles Barkley. Bird s’était déjà manifesté en disant qu’il était trop vieux et trop diminué par des problèmes de dos. Et Charles… Eh bien, Charles, c’était une autre paire de manches, même pour quelqu’un comme Daly qui avait coaché plus souvent qu’à son tour son lot de jeunes joueurs indisciplinés évoluant dans leur bulle.
Chapitre 13 – Le Fanfaron
« Sir Charles » se veut olympien mais ne se comporte pas toujours comme tel
Le soir du 26 mars 1991, tandis que le comité de sélection olympique d’USA Basketball se penchait sérieusement sur les athlètes à retenir dans l’équipe, Charles Barkley, des Philadelphia 76ers, s’énervait dans un match contre les New Jersey Nets. Même les détracteurs de Barkley devaient lui reconnaître le mérite d’être surmotivé au New Jersey, dans une salle dépourvue d’ambiance et d’énergie. Barkley rapporta plus tard qu’un fan plutôt âgé lui hurlait des choses comme « Gros cul ! » et « Trou du cul ! » ; dans certains articles de presse, ces insultes étaient décrites comme raciales. Cette dernière hypothèse n’a jamais été prouvée mais il faut dire qu’à l’époque, les épithètes raciales volaient pendant les matches. Elles ne m’étaient pas adressées, bien évidemment, mais je les entendais.
Quoi qu’il en soit, Barkley s’est retourné pour cracher sur l’individu. Il a déclaré plus tard dans un long exposé mémorable sur l’incident : « Je n’avais pas assez de salive. » Son crachat a atterri sur une petite fille de 8 ans qui était venue au match avec ses parents. Elle s’appelait Lauren Rose. Dès qu’il a réalisé ce qu’il avait fait, Barkley en a été profondément gêné, s’en est très sincèrement et longuement excusé et, dans le style qui était et qui demeure le sien, est même devenu ami avec la jeune fille et sa famille. Mais cracher sur un spectateur ? Une jeune fille ? C’était considéré par de nombreuses personnes comme le faux pas médiatique qui mettrait Barkley au ban de l’équipe olympique qu’il voulait désespérément intégrer. Quelques semaines plus tôt, à l’occasion du All-Star Game de Charlotte, il avait croisé C.M. Newton, qui faisait partie du comité de sélection d’USA Basketball et qui avait été le coach assistant de l’équipe de Bob Knight médaillée d’or aux Jeux olympiques en 1984. Barkley n’avait pas été retenu dans cette équipe, en partie parce que Knight ne l’aimait pas, pour sûr, mais en partie aussi parce que Barkley avait perdu patience au cours des interminables et ennuyeux tests de sélection. Il avait ainsi, en quelque sorte, tendu la perche à Knight pour se faire écarter. « Ne retenez pas 1984 contre moi, a dit Barkley à Newton. Je veux vraiment faire partie de cette équipe ! » C’était le week-end du All-Star Game, week-end au cours duquel, en réponse à l’invasion irakienne du Koweït, il arborait une casquette portant la mention « J’emmerde l’Irak ».
Barkley, joueur inclassable
A l’époque, le débat sur la sélection ou non de Charles était l’un des plus chauds au sein des membres du comité. Concernant son niveau de jeu, il n’y avait pas photo. Pour Mike Krzyzewski, l’un des membres du comité, Barkley était « l’un des trois meilleurs joueurs du monde (à l’époque) ». Il pouvait marquer, couvrir tout le terrain par sa vitesse de déplacement et tirer avec suffisamment d’efficacité pour faire éclater les zones (si nécessaire) ; plus important, il prenait des rebonds. Il n’est sans doute pas le meilleur rebondeur de tous les temps mais il n’en est certainement pas loin. Ses stats aux rebonds, à deux chiffres par match, sont entendues mais ce qui était extraordinaire, c’était le nombre de rebonds offensifs qu’il prenait – 4 par match sur l’ensemble de sa carrière et presque 5 par match durant une période de cinq saisons au début de sa carrière. Oui, Dennis Rodman prenait plus de rebonds offensifs mais « le Ver » scorait moins de 10 points par match, tandis que Barkley était à 25.
Barkley était moins facile à classer que n’importe quelle autre superstar dominante de l’époque. Le talent de Jordan n’avait pas d’équivalent mais on pouvait au moins l’expliquer : il était conçu pour réussir, talentueux et tenace, doté d’un corps à la fois puissant et souple. Magic était un géant à son poste. David Robinson était un seven-footer avec des facultés de gymnaste, Isiah Thomas était un véritable ressort insaisissable avec des réflexes aussi rapides que l’éclair, Karl Malone était une bête de muscles avec un tir et un toucher de balle d’une grande finesse. Mais qu’en était-il de Barkley ?
Il mesurait 1,93 m et pourtant, il jouait presqu’exclusivement sous le panier. Il était rondouillard mais il décollait comme un missile. Il prenait des rebonds de folie et pourtant, il ne faisait jamais d’écrans retards ; Roger Banks, un coach assistant du temps où Charles était en fac à Auburn, lui disait : « Va vers le ballon » et donc, c’est comme ça qu’il est allé au rebond, du premier au dernier jour de sa carrière en NBA. On avait l’impression qu’il n’aurait même pas pu battre un ramasseur de balles à la course mais peu de gens le rattrapaient quand il partait en coast to coast (2) balle en main.
Chris Mullin épaté par le phénomène « CB »
Chris Mullin m’a relaté la première fois qu’il a rencontré Barkley. C’était l’été 1982, ils étaient camarades de chambrée avant une tournée de l’équipe des Etats-Unis juniors. Ils étaient tous les deux dans leur deuxième année de fac. Mullin était à l’université St. John’s à New York et Barkley à Auburn, en Alabama. Mullin, dont l’esprit et le cœur ne voyaient que par le basketball pratiqué à l’Est, n’avait jamais entendu parler de Barkley. « Il était assis sur son lit chemise ouverte, me raconta Mullin. Et je ne l’oublierai jamais. Il était vraiment… étrange. Il me posait des questions sur New York. Il était vraiment intéressé par le fait que je sois originaire de là. C’était comme si – j’hésite à le dire – il était fan. Je le jure devant Dieu, je pensais qu’il bossait pour la fédération ou un truc dans le genre, une sorte d’assistant. Je ne savais pas que c’était un joueur. Le lendemain, le premier jour d’entraînement, on se divise en deux groupes et Charles est dans mon équipe. Je n’arrivais pas à y croire. On commence à jouer, je vois ce gros gars qui rebondit comme un ouf et je me dis : “Putain, j’ai jamais vu un truc pareil !” La seule chose à laquelle je peux comparer ce phénomène, c’est quand j’ai vu Manute Bol [2,31 m] pour la première fois, des années plus tard. Ce « physique » extrême. Deux choses restent gravées dans ma mémoire. Combien ce gars était sacrément bon. Et comment pouvait-il se récupérer vu comment il se donnait, avec une telle puissance et de tout son poids sur ses dunks ? »
Je compare Barkley à Bird du strict point de vue du cours du jeu. C’est étrange en un sens car la faculté de s’élever, l’une des clés du jeu de Barkley, n’avait rien à voir avec la réussite de Bird. Mais ils étaient tous les deux capables de vivacité dans les sauts, à différentes altitudes bien entendu, et ils avaient tous les deux des mains puissantes quand ils se saisissaient d’un rebond. Bird étudiait le jeu de Barkley et adorait l’analyser. « Charles saute de côté, pas seulement tout droit en l’air », me détailla Bird un jour. Bird sautait de côté lui aussi, se créant ainsi un passage sans presque jamais se faire siffler pour ça.
Le jeu de Barkley avait aussi la ruse de la rue, une âpreté fondamentale dans le style de Bird. J’étais à un match, pendant la saison 1988-89, où Barkley se trouvait près de Mark Bryant, des Portland Trail Blazers, qui avait la balle ligne de fond. « Yo ! », lui cria soudain Barkley. Et il avait été apparemment très convaincant puisque Bryant lui passa la balle. Barkley traversa le terrain pour aller planter un dunk. Bird vola des ballons sur des arnaques de rue similaires une douzaine de fois dans sa carrière.
Crachat, insultes et déclarations incendiaires
Mais pour ce qui était des messieurs responsables du choix des joueurs de l’équipe olympique, Barkley trimballait un bagage bien trop lourd pour ce qui était toléré dans la soute. Après tout, ce n’était pas comme si Barkley avait perdu sa virginité après l’incident du crachat. Avant d’être drafté, il était considéré par certains comme un point d’interrogation en NBA, ce qui ne l’avait pas dissuadé de se mettre à manger comme quatre pour décourager les 76ers de le drafter (le propriétaire des 76ers, Howard Katz, voulait que Charles descende de 128 à 125 kg ; au lieu de cela, Charles est monté à 132).
Un jour, il a gifflé un spectateur qui l’avait insulté. Il a dit : « La ferme, salope ! » à une dame âgée à Boston. Il s’est attiré des ennuis avec le bureau de la Ligue pour avoir fait semblant de parier pendant un match avec Mark Jackson, des New York Knicks. En août 1988, Barkley a été arrêté pour détention illégale d’arme à feu après s’être fait verbaliser pour excès de vitesse. Il avait un permis de port d’arme valide pour la Pennsylvanie mais pas pour le New Jersey. Quand je lui ai demandé si son arme était chargée, Barkley m’a répondu : « Bien sûr qu’elle l’était, idiot ! Quel intérêt d’avoir une arme si elle n’est pas chargée ? »
Il incendiait ses coéquipiers, insultait les arbitres, échangeait des coups de poing avec ses adversaires et rendait fous de rage tous les groupes minoritaires possibles, ce qui était pondéré par le fait qu’il rendait également fous de rages les groupes majoritaires. En fait, il est impossible de trouver un autre joueur qui était apprécié pour son honnêteté et qui générait en même temps autant de jugements contradictoires. Ce qu’il disait le mardi pouvait contredire ce qu’il avait dit le lundi mais ce n’était pas si gênant car il disait une chose différente le mercredi. « Vous ne savez jamais ce que va déclarer Charles parce qu’il ne le sait pas lui-même », me dit David Stern. Barkley pouvait parler de cohésion d’équipe, par exemple, puis éreinter ses coéquipiers, comme il l’a fait dans « Outrageous ! » qui est sorti en décembre 1991. Ensuite, il a fait publier un article où il affirmait que ses propos avaient été mal « retranscrits » dans son autobiographie et qu’il ne voulait pas vraiment critiquer ses coéquipiers Armen Gilliam, Manute Bol et Charles Shackleford. De même pour Katz, le propriétaire des 76ers.
Un trublion à la Allen Iverson
Il évoquait constamment les leçons de leadership qu’il avait apprises de Julius Erving, Maurice Cheeks et Bobby Jones, les vétérans des 76ers qui dirigeaient l’équipe quand il y était arrivé en 1984 ; et il se disait nostalgique du temps où on lui demandait de livrer le journal à Erving à 7h du matin et d’apporter un verre de lait chaud le soir à Andrew Toney. Pourtant, son propre style de leadership ne s’est jamais approché de celui de ces brillants modèles de diplomatie. Il ne se donnait pas toujours à fond à l’entraînement et s’y présentait parfois en retard, précurseur en cela d’un autre Sixer, Allen Iverson, qui fit une tirade mémorable dans une interview à propos de l’entraînement, convaincu, comme Charles Barkley l’était également, que la seule évaluation d’un joueur était la façon dont il se défonçait le cul pendant les seules 48 minutes qui comptaient vraiment.
Mais – car il y a toujours un « mais » avec Barkley (sans parler des « merdes ») – j’adorais venir le voir. Il n’y a pas un autre athlète dans l’histoire du sport qui ait pu faire les choses que Barkley faisait tout en restant adoré par une bonne partie de la population. Après l’incident du crachat, Rod Thorn, en tant que vice-président, lui infligea une amende de 10 000 dollars (ce serait bien davantage aujourd’hui, sans parler d’une longue suspension) et fit une déclaration sans surprise pour exprimer tout le mécontentement que ressentait la Ligue envers Barkley. Mais dans le même temps, Thorn, de sa position influente en tant que membre du comité d’USA Basketball chargé de bâtir la sélection olympique, faisait du lobbying pour y inclure Barkley.
Chaque fois que j’allais voir Charles, je me promettais de lui mettre le nez dans la fange de ses contradictions et de le faire répondre à certains de ses doubles langages. Il était coutumier des coups de gueule contre les médias qui, d’après lui, avaient commencé à le traiter de manière injuste après l’incident de l’arme à feu. Les charges retenues contre lui dans cette affaire ont finalement été abandonnées après qu’un juge eut statué que la voiture avait été fouillée illégalement. Mais à l’époque, Barkley avait doctement annoncé que l’incident l’avait profondément fait changer, déclarant que les médias avaient surréagi à propos de cette affaire. Je suppose que cela a dû être le cas dans une certaine mesure mais pour une large part, les médias étaient du côté de Barkley. S’ils ne l’avaient pas été, personne n’aurait pu s’en sortir avec ce qu’il avait fait et demeurer une personnalité populaire.
Peu importe la peine qu’il méritait, ce gars vous désarmait par son charme enfantin. Tous les joueurs de la « Dream Team » étaient courtois et polis quand ils rencontraient ma famille mais Charles était le seul qui prenait mes fils dans ses bras pour les embrasser comme des ours en peluche et qui demandait à ma femme, d’un air innocent : « Vous semblez être une femme sensée. C’est quoi le problème avec votre jugement ? » Il était comme le Capitaine Louis Renault, joué par Claude Rains dans « Casablanca », un personnage qui tournait autour des suspects présumés et qui, pourtant, restait sympathique.
A suivre…
1. Motown, contraction de « motor » et de « town », est le surnom de la ville de Detroit, appelée aussi « Motor City ».
2. Le coast to coast est le fait de prendre un rebond défensif puis de traverser tout le terrain en dribble jusqu’à l’autre panier pour marquer.
– Jack McCallum, « Dream Team », éditions Talent Sport, sorti le 8 juin 2016, 396 pages, 22 euros et 13,99 en format numérique (Kindle)
A lire aussi, chez le même éditeur
– Phil Jackson, « Un coach, onze titres NBA », sorti le 14 mai 2014, 352 pages, 22 euros et 13,99 en format numérique (Kindle)
– Roland Lazenby, « Michael Jordan, The Life », sorti le 17 juin 2015, 726 pages, 24 euros et 13,99 en format numérique (Kindle)
– Kent Babb, « Allen Iverson, not a game », sorti le 9 novembre 2016, 322 pages, 22 euros et 13,99 en format numérique (Kindle)
– Jackie MacMullan, « Magic-Bird, quand le jeu était à nous », sorti le 31 mai 2017, 352 pages, 22 euros et 13,99 en format numérique (Kindle)
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