Ancien joueur de basket aux 201 sélections en Équipe de France, double champion de France en tant qu’entraîneur, et enfin voix culte des médias, de RMC à Canal+ jusqu’à beIN Sports où il commente la NBA depuis 2013, Jacques Monclar est tombé dans la marmite du basket dès l'enfance, avec son père, Robert, qui était l'un des plus grands basketteurs d'Europe de l'après-guerre.
Dans « Bonjour, Bonsoir », écrit à quatre mains avec son collègue de beIN Sports, Rémi Reverchon et publié chez Amphora, le consultant dévoile une partie de sa vie, jamais très loin d'un parquet, avec entre autres, sa pub pour Mennen, ses titres avec Antibes, mais aussi les soirées mythiques avec Magic Johnson à Antibes avant les Jeux de Barcelone ou encore le naufrage historique des Bleus aux JO de Los Angeles en 1984…
« Un bouquin qui a vocation à être léger dans une période sombre »
Jacques, dans votre livre « Bonjour, Bonsoir », on a l'impression d'assister un peu à une discussion avec votre collègue Rémi Reverchon, était-ce un choix éditorial de prendre un ton qui est dans l'oralité ?
Oui, c'était voulu. On a voulu faire un bouquin qui se lit bien, qu'on peut lire un peu partout. On a procédé comme ça avec Rémi, c'était plus simple.
On lit souvent dans le livre : « J'en aurais d'autres des histoires »… On se demande donc s'il y a matière à faire un autre bouquin, et si vous avez pratiqué l'autocensure pour choisir les anecdotes que vous pouvez raconter.
Bien évidemment. De la même manière, je n'ai pas évoqué la relation qui a évolué avec les journalistes. On ne peut pas tout couvrir. Mais peut-être qu'on fera une suite, si on repart sur des sujets précis. Par exemple, si on prend [ma carrière] en tant que joueur, il faudrait faire du saison par saison. Il faudrait prendre par événement, par Coupe d'Europe, par Championnat d'Europe, bref. Il y a un travail d'archives à faire. Là, c'est léger. C'est un bouquin qui a vocation à être léger dans une période sombre. Bien sûr qu'on pourrait raconter d'autres anecdotes. D'abord, il y a celles du privé, qui ne regarde personne. Et puis, il y a des choses qui peuvent mettre mal à l'aise des gens. Je n'ai pas envie d'arroser qui que ce soit, même si une fois ou deux, on peut égratigner quelqu'un. On a aussi fait un récap des Finales NBA, mais on n'a pas fait dans le détail. Si on voulait le faire pour les fans de basket pur et dur, on tomberait un peu dans The Book of Basketball de Bill Simmons, qui est un pavé superbe, magnifique, mais infernal !
Est-ce que ça a pris du temps à écrire ?
Six mois. Je viens à Paris trois jours et demi par semaine, et on s'arrangeait avec Rémi pour se caler des sessions. Pas trop longues non plus, parce que c'est un peu fatigant de revenir comme ça en arrière. Il me posait la question et basta, je roulais. Ça prenait un peu de temps parce qu'on avait nos obligations, nos vacances. Mais même en vacances, je pensais à un sujet, à une histoire, je le lui mentionnais et on en parlait la fois suivante. On passe très vite sur mon adolescence, au stade Léo Lagrange des Pavillons-sous-Bois, au lycée du Raincy où on est champion, c'est la période du Racing. Le stade de l'Est, c'était quelque chose de terrible pour moi. J'avais les clés de la salle que j'avais piquées au gardien.
Vous avez des expressions très imagées, qu'on retient, d'où vous viennent-elles ? Vous évoquez votre culture cinématographique, dont Frédéric Dard ou Papy fait de la Résistance dans le livre, mais n'est-ce pas aussi le langage d'antan, de la génération de votre paternel et du basket parisien en général dans lequel vous avez grandi ?
Bien sûr. Même si j'étais Racing man, l'influence, c'était Bagnolet. La gouaille de Gérard Berté, de la famille Dorigo, de Franck Cazalon qui est de ma génération, qui lui était de Ménilmontant à l'origine. Il m'arrive aussi d'avoir des intonations lyonnaises sur certains mots. Dans les films, il y a beaucoup d'influence d'Audiard aussi : le Cave se rebiffe, l'Aventure c'est l'Aventure, les classiques. Et du cinéma américain. J'ai été un immense fan de films. Maintenant, la consommation se fait un peu différemment, mais je reste un fan de cinoche. Je lis aussi des bouquins comme ceux d'Harlan Coben un peu, comme ceux de Ken Follett. Les guerriers de l'hiver [d'Olivier Norek], le Mage du Kremlin [de Giuliano da Empoli]. Quand on passe du temps dans les avions, dans les trains, dans les voitures, et dans les bus à l'époque aussi, on lit. Coluche allait dans les bars pour écouter les gens. J'ai fait un peu la même chose, mais dans les salles. Il y a des gonzes qui te font mourir de rire dans leur réflexion. Je ne le prépare pas, je ne le note pas. Mais ça m'a intégré et ça ressort, pouf ! Après, dans le monde actuel, il faut faire gaffe parfois. Le truc, c'est l'échange, comme je le dis à la fin du bouquin dans les remerciements. Un mec que je ne connais pas mais qui me croise, on aura des choses à se dire.
“L'impact de Tony est considérable dans le développement de la NBA en France”
Vous racontez avoir joué avec votre idole Alain Gilles à Villeurbanne, est-ce que vous pouvez présenter un peu son jeu pour les nouvelles générations qui ne le connaissent pas forcément ?
D'abord, c'était un gros moteur physique. Pas très grand, très fin. Il faisait tout bien. Par exemple, quand le reverse est arrivé, lui en une demie séance, il avait tout transféré. L'amour de la passe, l'amour du jeu sans ballon, l'amour de la position ouverte. Gillou, il faisait tout plus vite que les autres. Il avait un temps d'avance. Il avait un côté Tony [Parker]. Il avait le sens de l'interception dans le sang aussi. Il avait le jeu dans le sang en fait. C'est un gars qui a été formé à Roanne, il avait commencé par la gym. Il est tombé dans la marmite à Roanne, il commence en 45 et Roanne, il est champion en 59 je crois. Il joue à 15 ans, rapidement chez les pros. Il a un côté George Best. Il pouvait être festif et ça faisait partie de sa culture, de la culture de l'époque aussi.
Quelle a été l'importance pour vous de jouer contre lui à ce stade de votre carrière ?
Il avait l'art de rendre les gars avec lui meilleurs. Tout simplement, il focalisait la défense adverse. Il faisait toujours le petit pas pour créer un espace, le petit décalage avec le ballon. Il avait ça dans le sang. Il y a des gens comme ça. C'était un peu notre Jerry West à nous. Il faisait tout dans l'académie. Dans les attitudes main gauche, on aurait pu avoir un logo pour la Ligue.
En parlant de la Ligue, vous avez été proche d'en devenir le président, ou du moins d'occuper une place importante dans les décisions. De même, pour l'Equipe de France, vous avez été plusieurs fois parmi les noms évoqués pour encadrer, dans le staff ou en conseiller, pourquoi n'est-ce pas arrivé ? Vous a-t-on mis des bâtons dans les roues ?
Pour l'Equipe de France, on va être très clair, il y avait des personnes qui étaient décideuses qui ne voulaient absolument pas que je sois dans les instances. Ma proximité avec l'Equipe de France a nourri des fantasmes pour pas mal de gens. Vincent [Collet] avait cette envie, mais ce n'était pas faisable. Dans nos métiers, être auprès de l'Equipe de France, c'est la plus belle chose qui soit. Il y a des choses qu'on contrôle et d'autres qu'on ne contrôle pas. On l'entend souvent mais c'est tellement vrai ! Il faut se concentrer sur ce qu'on a à faire, et le reste, on verra !
Joueur, entraîneur, commentateur, vous avez connu toutes les positions autour de la balle orange, laquelle avez-vous préféré ?
Joueur bien sûr. Parce qu'on joue. Par définition. Coacher, ce n'est plus jouer. Commenter, ce n'est pas jouer même si c'est très plaisant. Coacher, c'est le plus fascinant mais c'est le plus fatigant, mentalement et en investissement de temps. Quant à la présidence de la Ligue, pour revenir sur votre question, j'ai été président de la commission sportive, j'ai été le fondateur du syndicat des joueurs, deux fois président des coachs. J'ai toujours eu cet amour de la collégialité, de fédérer. À l'époque, l'UCPB souhaitait que je devienne président. L'idée, c'était de faire un peu comme le rugby avait fait avec Serge Blanco. Mais je me suis rendu compte que j'allais être payé par des gens à qui j'allais demander de faire de choses. Donc ce n'était pas viable. C'était aussi simple que ça.
Pour passer à votre transition des parquets au micro, pouvez-vous évoquer la différence que vous voyez entre vos premières Finales NBA en 1995, un peu à l'improviste, et quasi trente ans plus tard au sein de l'armada de beIN Sports, diffuseur officiel en France depuis 2012 ?
Il y a plus de médias, oui, dans le sens où il y a plus de médias du même pays. À l'époque, c'était peut-être plus diffus, plus confidentiel. Il y avait un entre-soi dans les salles de presse et de restauration presse. On avait des accès vestiaires plus faciles, des contacts plus faciles avec tout le monde. Mais c'est normal, la société a évolué. C'était différent. Un des grands facteurs, c'est qu'il y a eu le fait que Tony a eu la carrière qu'il a eue. Il a beaucoup aidé à mettre en valeur le basket. L'impact de Tony est considérable dans le développement de la NBA en France.
“Je sais que Michael Jordan est le GOAT”
Vous avez participé à l'émission Canal NBA, une émission de grande qualité. Est-ce un des meilleurs souvenirs en télé pour vous ?
C'était avec Vincent Radureau à la présentation. Il y avait Xavier [Vaution] et Rémi [Reverchon] qui faisaient leurs reportages, oui, c'était très cool. On a fait 18 mois, c'était une émission de 80 minutes. Dans un beau décor, un ton nouveau, c'était Canal. On pense à ça avec Rémi, à faire un truc comme ça, dans l'esprit Barbershop. Mais plutôt sur le net. On s'inspire de Zach Lowe, de Bill Simmons.
Il y avait même une rubrique dans le magazine BAM, où George Eddy et vous débattiez des questions d'actu…
Oui, ça n'a pas duré longtemps. Dans mes activités presse, un truc dont je suis très content, c'est de participer aux Mooks de Reverse, depuis le début, j'ai ma rubrique et j'adore ça, avec Théo Haumesser et toute la bande.
Pour revenir au terrain, vous avez eu l'honneur de jouer contre Michael Jordan aux JO de Los Angeles, vous vous doutez de la question à venir, est-ce le GOAT selon vous ?
Oui ! Je sais que c'est le GOAT. On ne le savait pas à l'époque. Voilà, c'était aux Jeux donc c'est un souvenir où on regrette de ne pas avoir gagné des matchs et d'avoir été mauvais, mais quand on y réfléchit, jouer aux Jeux Olympiques en représentant ton pays, contre Michael Jordan, c'est sympa quand même.
Plus généralement, comment vous situez-vous sur les débats interminables qui tirent des comparaisons entre les générations ?
C'est générationnel justement. Ce type de préférence dépend de ta génération. C'est bien gentil de comparer mais Jordan a dû affronter des défenses qui étaient bien plus violentes. A l'inverse, LeBron affronte une NBA qui est beaucoup plus large en talents. Il y a un plus grand nombre de joueurs capables de dominer des matchs maintenant, donc il faut mettre les choses en perspective. Je n'ai jamais fait partie de la Team ‘C'était mieux avant' mais il y a des choses, avant, qui étaient mieux faites. Avant, l'académie, le Spurs Basketball qui fait référence, on cherchait le tir ouvert, le décalage. Maintenant, les gonzes sont capables de monter sur l'homme, que ce soit en Euroleague ou en NBA et ça fait partie des choses dans le nouveau basket car ils sont quand même capable de tourner à 40% aux tirs en jouant comme ça. Comparer, c'est difficile. Zidane ou Maradona, Cruyff ou Platini, qui sait ? J'ai une caractéristique, bien sûr que c'est beau d'être le meilleur à la passe, aux points, aux rebonds, le MVP… mais ce qui compte, c'est gagner !
En termes de jeu, on constate tout de même qu'il y n'y a plus trop de point de fixation à l'intérieur et que ça dégaine beaucoup de loin, avec une fascination pour le tir à 3-points parfois disproportionnée (comme pour les Bleus à l'Euro par exemple), quel type de jeu préférez-vous voir sur un terrain ?
L'efficacité. Quand je vois une équipe qui utilise tous ses joueurs au maximum, dans tous les sports co, j'adore ça ! Par exemple, ce qui arrive au PSG en ce moment, c'est du pur bonheur. La période du Spurs basketball, c'était une monstruosité aussi. Quand une alchimie se déclenche, l'état de grâce de Steph Curry qui amène tout le monde vers le titre en 2022, c'est fantastique. J'avais l'impression en commentant LeBron, entre 2015 et 2019, de voir un mec qui battait le record du monde à chaque fois, façon Mondo Duplantis.
Au tir aux pigeons
Thé ou Café ? Café
Fromage ou dessert ? Je suis gourmand des deux, mais ce sera l'un sans l'autre. J'adore le fromage.
Radio ou télé ? Tellement cool la radio, mais télé quand même. Parce que Bein, parce que Canal, parce que j'ai eu du bol. Et même TF1 au début, je n'ai pas eu à me plaindre.
Canal ou Bein ? Bein, c'est notre aventure. J'ai commencé à collaborer à Canal en 2000 et j'ai fini en 2012. Mais jusqu'à 2007, j'étais encore coach, donc j'étais moins investi dans la rédac'.
Celtics ou Lakers ? C's. Je vous renvoie à la série documentaire Celtics City. Neuf épisodes de rêve. Une ville difficile, de paradoxes. C'est la Mecque du basket. Vous savez que je suis fan des Knicks, mais il y a une émotion particulière dans le TD Garden qui reprend les bannières, le public, le parquet, et tout. Cette année, on les annonce à 35 victoires mais je les vois bien faire un sur deux, ça c'est sûr.
Jordan ou LeBron ? Jojo.
Jordan ou Kobe ? [long silence] Le père et le fils. Ou le frère aîné et le petit frère. Pour le respect et pour le souvenir, pour tout ce qu'il a fait en FIBA et pour le basket féminin. Kobe. Et puis son cheminement, on ne le dit pas souvent. Kobe est sorti de lycée et il a été en NBA. Il était individualiste au début, mais son évolution est incroyable. Si ce garçon avait fait deux ans de fac, peut-être qu'il aurait été encore plus fort. Il a dû affronter des trucs, il avait Shaq, qui était un état dans l'état, les deux ne se sont pas ratés d'ailleurs. Le cheminement de Kobe.
Kobe ou LeBron ? J'aurais tant aimé qu'ils jouent en finale. Je n'en sais rien, je n'ai pas envie. C'est un what if.
Paris ou Antibes ? [rires] On parle de quoi ? Je vis à Agde, je suis parmi les Occitans. Mon père était biterrois, ma mère toulousaine. On est de là-bas, j'y vis la plupart du temps, l'autre moitié à Paris. Je suis parisien de naissance, à 1 an, on m'a emmené à Lyon, à 9 ans, on m'a amené à Paris, et à 20 ans, je suis retourné à Lyon pendant 7-8 ans. Je suis vraiment un produit des deux. Antibes m'a permis d'avancer dans la vie. Mais moi, c'est Paris – Lyon. Je suis un banlieusard, d'où les expressions. Tu allais au marché à la Bazoche, aux Pavillons-sous-Bois, tu te fendais la gueule.
Boris ou TP ? ça dépend. J'apprécie les deux, j'ai eu des moments avec les deux. ça m'emmerde de répondre à ça. J'ai passé plus de temps avec Boris. Allez, on va dire Boris pour la gamelle [rires] !
Alain Gilles ou Magic ? Le joueur qui m'aura le plus fait rêver, c'est Magic. Mais Gillou forever ! C'est juste avant les Jeux de 1992, c'est après qu'il ait annoncé sa séropositivité. C'est un truc de fou. Je me pinçais. J'étais son chaperon azuréen. Quand on se croise, c'est toujours des sourires, un hug, et comment ça va ? Quand il y avait Michael Ray et Lee Johnson [à Antibes], il venait nous saluer. C'est une belle histoire antiboise.
Merci Jacques pour votre disponibilité, toujours un plaisir de parler basket avec vous…
Juste un truc avant de partir, ça me fait penser au label du basket français, j'en parle dans le dernier Reverse. J'explique en gros qu'on n'en a pas. Que Tony a été un label. Que l'Equipe de France l'a été. Que Hervé Dubuisson un peu, Alain Gilles un peu aussi. Mais pourquoi Alain Gilles n'est pas devenu le Bob Cousy français ? Parce que le basket n'est pas diffusé à la hauteur de son nombre de licenciés. On est 750 000, on est une vraie force. Le BHV [basket, hand, volley], on est plus d'1,5 millions. Mais, hormis la presse spécialisée, on souffre d'exposition. Ce n'est pas un coup de gueule, c'est un constat. On ne changera pas ça en un an, ou par une diffusion de ci ou de ça. Il y a des habitudes depuis cinquante ans, et je crois que ce sera compliqué de changer les choses…
[Propos recueillis par téléphone]