De la galaxie d’images captées de la carrière de Michael Jordan, celle-ci est sans doute l’une des plus originales. « Air Jordan » vu du dessus, il fallait y penser. Il fallait aussi avoir les moyens techniques de le faire. Voler quelques mètres plus haut qu’un homme volant n’a rien d’évident. Le photographe Walter Iooss Jr. s’est pourtant lancé ce défi en juillet 1987.
Habitué à photographier des événements sportifs depuis l’âge de 15 ans, cet Américain formé dans une école de New York vient à l’époque de collaborer avec une marque boisson sportive allemande pour une publicité. « Ils avaient eu cette idée de prendre un joueur de tennis, de le mettre sur un court en terre battue rouge et de le filmer en train de servir depuis le ciel pour capturer l’ombre. Je me suis dit que c’était une sacrée idée », se souvient le photographe (qui n’a pas donné suite à nos sollicitations) pour la rubrique « My best shot » du Guardian.
Reproduire l’idée, oui. Mais pour quel support ? Par chance, peu de temps après, Sports Illustrated, avec qui il travaille, le contacte pour lui demander d’aller photographier Michael Jordan pour le magazine. Le voilà le support idoine. Direction la petite ville de Lisle, située dans la banlieue de Chicago, où la star des Bulls organise un camp pour enfants.
Le panier baissé de 15 centimètres
Le joueur de 23 ans, qui vient de s’offrir un premier titre de meilleur scoreur de la ligue (37 points de moyenne !), a également remporté quelques mois plus tôt son premier concours de dunks. Avant de réaliser le doublé l’année suivante à l’issue d’un duel de légende face à Dominique Wilkins. Sa réputation de dunkeur féroce est donc déjà bien établie.
Le jour du shooting, après une première journée à prendre des portraits de « His Airness », Walter Iooss Jr est face à un dilemme : quelle tenue le triple All-Star va-t-il porter ? « Mes assistants ont peint une zone de ce parking géant en bleu et une autre en rouge. S’il avait porté son uniforme blanc, on serait allé sur le terrain rouge et cette image aurait été appelée ‘The Red Dunk.’ » Michael Jordan se présente finalement avec le maillot rouge extérieur de son équipe. On aura droit au « Blue Dunk » donc.
L’autre difficulté est de trouver un vrai panier NBA. Avec un panier fixe, cela ne fonctionnera pas, il en faut un sur roulettes. « Mais on en n’a pas trouvé dans tout Chicago ! Je n’arrivais pas à le croire. On a dû l’expédier de St Louis (Missouri) », décrit le photographe qui s’équipe évidemment d’une nacelle pour obtenir son angle de tir. Précision importante, le panier en question est volontairement baissé de 15 centimètres. C’est l’usage pour ce genre de photos de dunk. « C’est beaucoup plus facile comme ça », remarque le spécialiste, et moins usant pour le modèle qui va tout de même sauter vers le cercle à 15 reprises pour cette photo.
Une image vertigineuse
Avec le temps, Walter Iooss Jr. va réaliser que ce nombre de dunks commandés a son importance pour la vedette des Bulls. « Je disais : ‘On a Gatorade aujourd’hui et ils ont besoin de 15 dunks.’ Et il disait : ‘Walter, je t’en donne trois.’ ‘Je ne peux pas travailler avec trois !’ On finissait par se mettre d’accord sur huit. »
Être un bon gestionnaire est clé dans ce genre d’exercice avec de telles personnalités. « L’astuce pour photographier les stars du sport est de leur parler comme un coach. Ils ont l’habitude qu’on leur dise ce qu’ils doivent faire et ils ne connaissent rien à la photographie, ils ont besoin d’être guidés. Vous n’avez pas beaucoup de temps et elles apprécient de ne pas perdre le leur », rappelle l’homme de 79 ans dont l’objectif a vu défiler Cristiano Ronaldo, Serena Williams, Kobe Bryant, Chris Evert, Joe Montana, Arnold Palmer…
La veille de la prise de vue, tout est vérifié, dans les moindres détails y compris en termes de timing. La photo ne pourra être prise qu’entre 14 heures et 15 heures, sinon l’ombre du joueur serait trop allongée. L’ombre finalement captée est parfaitement proportionnée au geste gracieux d’ « Air Jordan ». L’angle de la photo crée un effet faux miroir captivant et dédouble l’énergie et le mouvement de ce dunk. Cette ombre portée permet aussi d’occuper le vide à proximité du joueur. Car oui, cette photo a de quoi donner le vertige.
Retoucher ou non ?
« Je n’avais aucune idée de ce que j’avais capturé ce jour-là, poursuit Walter Iooss Jr. À l’origine, j’avais choisi une autre image de la séance, mais mon éditeur photos a préféré celle-ci qui était peut-être 1/100e de seconde plus tard. Elle avait juste ce petit plus de dynamisme. Dans le coin supérieur gauche de l’original, il y avait les bordures du terrain rouge, j’ai donc dû le recadrer ou le retoucher. Il y a aussi cette fissure dans le béton au milieu, aurais-je dû l’enlever ou non ? Je me suis dit au final : ‘Vous savez quoi ? Ça fait partie de l’image.’ »
Cette séquence lui a aussi permis de se familiariser avec le joueur des Bulls, avec qui il produira l’ouvrage « Rare Air », vendu à 800 000 exemplaires. Le photographe décrit une « personne formidable, très intelligente », dont l’allure, sur le plan athlétique, « a été inégalée dans l’histoire du sport ». Une superstar sans cesse sollicitée aussi. « Suivre les Chicago Bulls, c’était comme suivre les Rolling Stones. »
« Mais quand on a fait cette photo, je ne savais pas qu’il deviendrait une telle légende. Il était populaire en 1987, mais pas autant que ce qu’il est devenu. Il a dit un jour qu’il pensait que je ne pouvais pas prendre de mauvaise photo. Mais la vérité est que personne ne pouvait prendre une mauvaise photo de Michael Jordan », termine joliment Walter Iooss Jr.
Crédit photo : Walter Iooss Jr/Courtesy Bruce Silverstein Gallery
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