Alors que le dernier Mondial Basket vient tout juste de sortir (#204), nous vous proposons de lire l’entretien réalisé dans le précédent numéro avec le nouvel homme fort de la raquette d’Oklahoma City, Serge Ibaka. Il y raconte Kevin Durant et le Thunder de l’intérieur.
MONDIAL BASKET : Serge, il y a un an d’écart entre Kevin Durant et toi. Etant de la même génération, vous êtes de bons potes ?
Serge IBAKA : Oui. C’est plus facile quand on a à peu près le même âge. On a les mêmes loisirs. On va au ciné ensemble, on sort en boîte ensemble, on va dans les mêmes restos, on a une vie identique. On s’entend bien mais c’est facile avec un gars comme Kevin. Il est d’une simplicité incroyable !
MB : Tu es celui avec lequel il a le plus d’affinités ?
S.I. : Non, je ne suis pas le seul. On est un groupe de joueurs entre 21 et 23 ans. Avec Russell (Westbrook), Cole (Aldrich), James (Harden) et Thabo (Sefolosha), qui est un peu plus âgé, on prend plaisir à se retrouver en dehors du terrain avec Kevin. Quand on n’a pas de match, on a envie de se défouler un peu. On est jeunes et on aime s’amuser, comme tous les mecs de notre génération.
MB : Tu te souviens de ta première rencontre avec Kevin ?
S.I. : C’était le jour de ma draft à New York, en 2008. Il était là pour voir des potes et je l’avais aperçu. On ne s’était pas parlé. Quelques semaines plus tard, on s’est retrouvé sur les summer leagues, à Orlando et Las Vegas. Je jouais avec Oklahoma City. Là, on avait discuté car il suivait nos matches. J’ai senti rapidement le gars véritablement concerné par sa franchise. Il aurait pu être en vacances n’importe où et se reposer mais non, il préférait venir nous voir jouer en ligue d’été, histoire de voir ce qu’on valait. Il y avait Russell (Westbrook) et D.J. White (ndlr : désormais à Charlotte), qui jouaient eux aussi. On a parlé basket tous ensemble avec lui.
MB : Quel est le trait de caractère principal de Kevin ?
S.I. : L’humilité. Ça n’a pas changé ces deux dernières saisons. Il a été All-Star, meilleur scoreur de la Ligue et champion du monde mais il est resté le même. Rien n’a changé dans son quotidien au sein de la franchise. C’est un mec cool, très sympa. Quand il est rentré de Turquie l’été dernier, il s’est remis rapidement au travail et il n’en a pas rajouté. Il aurait pu se la raconter après avoir été élu MVP du tournoi… Mais non, il s’est tout de suite projeté sur le Thunder, sans faire le fanfaron.
« Kevin ne veut pas de gars arrogants au Thunder »
MB : A l’entraînement, il se comporte comment ?
S.I. : S’il est relax en dehors du terrain, au practice, c’est tout le contraire. C’est une bête de travail. James (Harden), qui défend sur lui, peut en témoigner. Quand tu le vois scorer 30 points, tu peux être sûr qu’il sera toujours à bloc le lendemain à l’entraînement. S’il peut scorer 30 ou 40 points, il le fera. Ce n’est pas pour humilier le gars en face, c’est pour se prouver à lui-même qu’il est bien, performant. Une nuit, on est rentré d’un match qu’on avait perdu. On n’avait pas du tout été performant aux shoots. On a atterri en pleine nuit à Oklahoma City. Au moment de se quitter pour aller dormir, il nous a dit : « Ceux qui le souhaitent, je les attends à 8h au gymnase ». Le coach avait fixé l’entraînement en fin d’après-midi. Le message est clair. Il te donne envie de te défoncer. Lui-même montre l’exemple. C’est grâce à Kevin qu’il y a une telle émulation dans l’équipe. Il t’entraîne naturellement dans son sillage. Là, tu comprends qu’il veut aller loin avec le Thunder. Il ne parle jamais de récompenses individuelles ou d’awards, il pense toujours à l’équipe dans sa globalité. Mais il veut qu’on réussisse proprement. C’est une caractéristique chez lui.
MB : Que veux-tu dire par là ?
S.I. : Il veut qu’on produise du jeu tous ensemble. Il tient aussi à ce que l’on garde notre fraîcheur et surtout une certaine humilité. Il ne veut pas de gars arrogants au Thunder.
MB : En janvier, il a traité Chris Bosh de « faux dur ». Une déclaration surprenante venant de lui, non ?
S.I. : On reste des êtres humains… C’était une réaction spontanée. Il ne va pas se laisser faire. Chris avait dérapé avec James (Harden), Kevin a défendu son coéquipier. C’est là qu’on voit qu’il a du caractère. On entend souvent que c’est un garçon trop lisse, trop gentil. Sur ce coup, il a démontré qu’il était capable de répondre à un joueur confirmé. Je l’encourage à s’affirmer plus souvent comme il l’a fait face à Chris. Kevin a besoin qu’on le pousse par moments.
« Il a besoin d’être plus dur, dans son attitude comme dans le jeu »
MB : Quel est son défaut principal ?
S.I. : C’est dur d’en trouver un… Dans la vie en dehors du terrain, je n’en vois pas. On sort souvent ensemble, comme je le disais, et on rigole bien. Sur le terrain, son excès d’humilité peut devenir un inconvénient. Il a besoin d’être plus dur, dans son attitude comme dans le jeu. Mais bon, ce ne sera pas facile car c’est quelqu’un de vraiment gentil. C’est sa mentalité qui dicte son comportement au quotidien.
MB : C’est lui qui parle le plus au vestiaire ?
S.I. : West (Westbrook) prend souvent la parole. Moi aussi. Dans les moments importants, c’est Kevin qui parle le premier. Chez nous, il n’y a pas de hiérarchie parce qu’il n’y a pas d’ancien incontournable. On ne fait jamais de longs discours, le groupe reste uni. Notre jeu est spontané à l’image du roster et du franchise player, qui aime profondément le basket. On veut prendre et donner du plaisir aux gens qui nous regardent.
MB : Sa générosité se traduit comment ?
S.I. : C’est quelqu’un d’attentionné avec les autres, les enfants particulièrement. Comme tout le monde en NBA, il est engagé dans des œuvres caritatives. Quand il était revenu du All-Star Game de Dallas l’an dernier, il avait offert un casque audio à chacun, en nous remerciant de l’avoir aidé à devenir une Etoile. Quand on fête un anniversaire, il offre des petits cadeaux. Il partage ce qu’il a sans problème.
MB : Est-ce qu’il donne des conseils ?
S.I. : Oui, bien sûr. C’est quelqu’un qui communique sans arrêt. Il a une bonne lecture du jeu et c’est un joueur complet, il connaît bien les différentes positions sur le terrain. Il aime aider les autres en général. A l’entraînement ou en match, il est toujours solidaire d’un coéquipier.
« Quand il est de mauvaise humeur, tu n’y crois pas vraiment… »
MB : Comment expliques-tu son style ? Tout paraît facile, il ne force pas ses tirs…
S.I. : C’est naturel chez lui. Il n’a pas à forcer son talent. Il est toujours là. Chaque soir, tu le vois capable de coller 30 points. Il ne laisse rien paraître. C’est sa force. C’est vrai qu’il se singularise par rapport à d’autres joueurs peut-être plus flashy mais à l’arrivée, il est plus efficace. Kevin joue d’abord pour son équipe. C’est toute la différence avec certaines stars. C’est tout à son honneur.
MB : Comment est-il lorsqu’il est de mauvaise humeur ?
S.I. : C’est très drôle, en fait, parce que tu n’y crois pas vraiment… On a du mal à imaginer Kevin grognon ou l’air renfrogné. Tu vois le gars dans un mauvais jour mais tu sais que ce n’est pas dans ses habitudes et que ça cloche… Ça ne colle pas avec le personnage qu’il est en réalité. En général, ça ne dure pas. Ce n’est pas le Kevin que l’on connaît au quotidien, celui qui aime rigoler, faire des blagues dans le vestiaire et en dehors du terrain.
MB : Il lui arrive de s’emporter et de gueuler ?
S.I. : Oui. Il déteste nos pertes de balle. C’est comme si on gâchait des munitions en attaque et ça, il ne le supporte pas. C’est normal, c’est un scoreur. Là, tu l’entends gueuler…
« Le départ de Jeff (Green) lui a clairement fichu un coup »
MB : Est-ce que tu l’as déjà vu très triste, pas bien dans sa peau ?
S.I. : Une fois et c’est récent. Au lendemain de la deadline des transferts. Jeff (Green), Nenad (Krstic) et Morris (Peterson) étaient partis. On lisait sur son visage qu’il n’était pas heureux. Il entretenait des liens très forts avec Jeff. Ils s’étaient connus à Washington tout gamins. Ils étaient arrivés en même temps dans la Ligue et dans la même franchise. Le départ de Jeff lui a clairement fichu un coup… Mais c’est là que j’ai vu qu’il avait aussi des ressources et des valeurs. Il a bien accueilli Perk (Kendrick Perkins). Il a positivé en pensant à l’équipe. Perk a dû sentir qu’il était le bienvenu. Même si « KD » perdait un très bon pote. En tout cas, je ne l’avais jamais vu comme ça avant.
MB : Y a-t-il une pression particulière sur Kevin à Oklahoma City ?
S.I. : Evidemment. C’est un scoreur dans l’âme et chaque soir, on attend qu’il marque 25 points minimum. Il les met mais comme c’est un joueur très complet, il fait aussi jouer les autres. C’est un basketteur du calibre de Kobe Bryant. On attend beaucoup de lui. Il le sait mais il assume totalement. Il sait prendre ses responsabilités. C’est la marque des très grands joueurs.
MB : Quand il ne score pas, tu le sens abattu ?
S.I. : Pas abattu mais touché. Surtout si on a perdu. Il cherche à comprendre pourquoi ça n’a pas fonctionné. Tu sais que le lendemain, il travaillera encore plus dur à l’entraînement pour oublier sa mauvaise soirée. Il sait se remettre en question et réagir rapidement. C’est une autre de ses qualités. Et puis il a intégré le fait qu’il ne pouvait pas scorer 30 ou 35 points à chaque match.
MB : Dans quel domaine peut-il encore s’améliorer et de quelle manière ?
S.I. : Au niveau mental, il a besoin de se blinder un peu plus. Mais il n’a que 22 ans. Ça va venir avec le temps, j’en suis convaincu.
« Il a besoin de travailler en salle de musculation mais il est réticent »
MB : Si tu devais changer une chose chez lui, ce serait quoi et pour quelle raison ?
S.I. : Son physique. Il n’est pas assez costaud. En playoffs où ça joue toujours plus dur, il y a des fautes qu’il devrait obtenir et qu’il n’obtient pas. Il a besoin de travailler en salle de musculation mais il est très réticent. Il soulève de la fonte parce qu’il est obligé mais on sent que ce n’est pas du tout son truc.
MB : Tout le contraire de toi ! Tu le chambres ?
S.I. : On ne se gêne pas dans l’équipe ! On va parfois en salle de muscu pour des séances de 30 minutes. Au bout d’un quart d’heure, Kevin nous sort : « Bon, j’ai fini les gars ! » Dwight, le préparateur physique, lui dit que c’est OK. Là, on le reprend : « Tu n’es pas sérieux, Kevin, tu dois soulever ça et puis ça… » On rigole bien dans ces moments-là. Il me voit soulever des haltères de 50 kg à une main alors que lui plafonne à 20 kg. Il dit que je dois prendre des produits dopants… N’importe quoi ! On en rigole. En tout cas, il déteste la musculation.
MB : Il est meilleur avec un ballon dans les mains…
S.I. : C’est moins lourd, ouais… (Il se marre)
MB : C’est quelqu’un qui fait attention à son hygiène alimentaire ?
S.I. : Il est assez attentif à l’équilibre des repas, oui. Il est privé de sodas, comme tout le monde dans l’équipe. Le préparateur physique ne veut pas. On se rattrape autrement…
MB : Quel est le geste de « Durantula » que tu aimerais posséder ?
S.I. : Peut-être pas sa facilité de tir mais au moins sa façon de déclencher son shoot. Moi, je tire en force. Avec lui, tu sens le toucher de balle. C’est très beau à voir.