La NBA vit une saison 2010-11 de grande qualité. Certains rookies s’imposent déjà comme des futurs très grands. Les talents individuels et collectifs s’expriment. Les rivalités entre franchises sont là. Mais surtout, le spectacle est indubitablement au rendez-vous, pour le plus grand bonheur des fans. Partout sur la planète il est maintenant possible de suivre la NBA, qui est très clairement LA ligue de basket à diffusion internationale.
Mais tout cela pourrait bien être gâché par le lock-out qui se profile pour la saison prochaine. A tout point de vue, ce conflit nuirait à la NBA, aux joueurs comme, probablement à moyen terme, aux propriétaires.
Elrod Enchilada est rédacteur pour RealGM et accessoirement spécialiste des Celtics. Il livre dans un article très complet ses propositions pour résoudre le conflit. Certaines sont très audacieuses, d’autres simplement logiques et raisonnables.
Basket USA vous synthétise son travail et vous livre nos réactions.
Un problème réel, mais complexe
David Stern ne cesse de le répéter. La situation d’une majorité d’équipes de la ligue est intenable. Ce serait des millions de dollars qui partirait en fumée chaque saison (370 millions pour la saison 2009-10, selon les chiffres officiels). Et il arrive à la table des négociations en cherchant une réduction du salaire des joueurs comprise entre 30 et 40%.
Mais la question de fond qui se pose est la suivante : fait-on face à un problème structurel, qui nécessite de revoir les fondamentaux économiques de la ligue ? Ou assiste-t-on simplement à l’échec d’un certain nombre de propriétaires et de managers incompétents ?
Enchilada souligne un point sur lequel on a trop peu insisté jusqu’ici : il n’est pas anormal que les propriétaires perdent de l’argent. Une franchise NBA ne doit pas et ne peut pas se transformer en investissement garanti à une rentabilité élevée. D’ailleurs, ce n’est simplement pas possible. Un bon système est un système qui récompense les talents, et cela concerne autant les joueurs que les propriétaires.
Attention, ceci n’implique pas qu’il faille ne rien toucher au fonctionnement actuel. Il est probablement nécessaire d’actionner le curseur vers plus de profitabilité, mais il n’est possible qu’un seul camp sorte vainqueur au détriment de l’autre.
Car il est réel que certaines franchises perdent de l’argent. Le système actuel rend même très difficile à des équipes d’être rentables dans les petits marchés, comme le montrait notre analyse des comptes des Hornets, où nous montrions que les revenus de la franchise de New Orleans étaient liés pour les deux tiers à la taille du marché.
Il faut donc changer les choses.
Hard cap : une solution impossible
Certains propriétaires arrivent à la table des négociations avec une exigence : l’instauration d’un hard-cap, limite indépassable à la masse salariale de chaque équipe.
C’est la solution idéale pour les propriétaires : le poste « dépense joueur » devient fixe et ne supporte aucun risque. Le montant de la limite serait l’objet d’une négociation terrible, à supposer que les joueurs acceptent simplement de discuter de cette hypothèse.
Car au delà du montant de l’enveloppe, le hard-cap implique une autre modification majeure dans le système actuel : la réduction drastique, voir la suppression complète, des garanties dans les contrats.
Actuellement, si un propriétaire signe un contrat à Eddy Curry, il peut décider de « rattraper » son erreur en utilisant les exceptions pour recruter d’autres joueurs. Le contrat plombe les finances, mais les performances sportives peuvent être sauvées. Avec un hard-cap, il devient possible, si les contrats sont garantis à plusieurs années, de plomber une équipe pour plusieurs saisons, sans possibilité de s’en sortir.
Or, selon Enchilada, la garantie des contrats est un casus belli sur lequel les joueurs ne sont pas prêt à faire autre chose que des concessions mineures.
Ce serait une raison d’activer l’arme nucléaire : la dé-certification du syndicat. Cette action permettrait aux joueurs d’engager une action en justice contre le lock-out des propriétaires, mais aussi de dénoncer l’ensemble des règles de l’accord collectif : salaire maximum, limite aux durée des contrats, contraintes pour les règles de transfert, etc…
Par ailleurs, du point du vue des fans, renoncer au hard cap, c’est par exemple forcer le Thunder à choisir entre Durant et Westbrook à la fin de leur contrat rookie, et, pour les Celtic, renoncer à Rondo lors de l’arrivée de Garnett. Est-ce qu’ils veulent ? Par sûr.
Pour Enchilada, il faut donc que les propriétaires commencent par abandonner cette idée. Notons que ce n’est pas impossible, puisque cette exigence n’est pas reprise officiellement par la NBA et David Stern dans le cadre des négociations.
1ère solution : un changement radical
La première solution proposée par Elrod Enchilida est la plus novatrice et la plus radicale. Elle repose sur une constatation : la NBA paye de nombreux joueurs à ne rien faire. Certains joueurs bénéficient de très gros contrats qui ne sont pas justifiés par leurs performances sur le terrain. En conséquence, arrêter l’hémorragie de ce côté là permettrait des économies substantielles.
De fait, nos calculs montrent que si les joueurs tels que Eddy Curry, Joe Alexander ou autre Bobby Simmons n’avaient pas été payés pour la saison 2009-10, l’économie générée aurait approché les 250 millions de dollars, soit une diminution de la masse salariale totale de 12%. Significatif.
Comment obtenir ces résultats ? En changeant complètement la manière dont sont payés les joueurs. L’idée serait simplement de lier directement performance sur le terrain et rémunération. Plus précisément, les propriétaires reverseraient, toutes les saisons, un pourcentage des revenus au syndicat des joueurs. Celui-ci aurait la charge de reverser l’argent aux joueurs selon un mécanisme prédéterminé, lié aux performances.
Dans son exemple, Enchilada propose ainsi de lier salaire et minutes jouées. Plus un joueur foulerait le parquet, plus il serait payé. Evidemment, de nombreuses autres solutions, plus complexes, pourraient être envisagées.
L’impact serait majeur :
- Les négociations entre un club et un joueur liées au salaire seraient quasiment supprimées, remplaçées par une discussion sur le temps de jeu.
- À minute de jeu égal, le salaire d’un joueur ne dépendrait plus du club auquel il est rattaché. Il n’y aurait donc pas de concurrence possible à la hausse, sauf, à nouveau, à promettre plus de temps de jeu.
- L’égalité des salaires échangés ne pourrait plus être imposées dans le cadre des transferts, laissant beaucoup plus de liberté au club.
Pour aller un peu plus loin, le système proposerait un système de « bonus » pour les 100 meilleurs joueurs de chaque conférence, ainsi qu’un mécanisme pour lier les performances de l’équipe avec la rémunération. Les joueurs des équipes de haut de tableau seraient ainsi mieux payés.
En l’état, chaque joueur se retrouverait agent libre à chaque fin de saison. Pour maintenir un lien dans la durée entre une franchise et les joueurs, Enchilida propose que tous les contrats soient signés pour une durée de 4 ans, avec chaque année une possibilité pour l’équipe d’y mettre fin (team-option). A chaque fin de contrat, une équipe pourrait proposer une prime à un joueur pour l’inciter à rester, prime dont ne disposerait pas les autres franchises.
Comme tout système radicalement nouveau, la proposition provoquerait des effets de bord potentiellement dévastateurs, comme par exemple :
- Les choix des entraîneurs seraient naturellement beaucoup plus contestés par des joueurs qui risqueraient de perdre des milliers de dollars en descendant dans la rotation de l’équipe. Alternativement, les minutes seraient garanties par contrat, ce qui probablement pas souhaitable.
- L’ensemble des mécanismes de bonus liés aux performances seraient extrêmement restreints. Il serait quasi impossible d’instaurer des clauses « anti kilogrammes » pour les gros mangeurs.
- Au delà du salaire, le lien entre la franchise et les joueurs serait fortement affaibli. L’employeur des joueurs, de facto, serait le syndicat des joueurs. Ceci pourrait jouer globalement sur la mentalité des joueurs, et l’attachement à une franchise probablement moins fort. L’effet « mercenaire » risquerait d’être plus important, même avec le système de contrat de 4 ans.
- Pour arrêter de payer un joueur trop cher, ou simplement diminuer son salaire, il suffirait de le mettre sur le banc. Notamment en fin de saison, le risque est fort. On se souvient que les Celtics avaient arrêter de faire jouer Nate Robinson la saison dernière juste avant que la prime associée au nombre de matchs joués dans la saison ne se déclenche. On risquerait une généralisation de ce type de comportement, et il est certain que cet effet de bord priverait cette proposition du soutien des joueurs.
- La mise en place de ce système implique une transition extrêmement complexe, puisqu’une mise en oeuvre progressive est a priori hors de question.
Parfois, il est intéressant de penser en faisant table rase du passé. C’est ce qui est proposé ici. Les protagonistes de ce conflit iront-ils aussi loin ? On peut en douter. Mais cela donne des pistes : introduire une liaison plus forte, par exemple sur un fraction du salaire, entre performance et rémunération serait probablement une bonne idée.
2ème solution : un changement progressif
Conscient de ces limites, Elrod Enchilada propose des solutions plus applicables et acceptables par les deux parties.
Qui dit acceptable dit que chacun devra nécessairement faire des concessions, pour obtenir des concessions de l’autre. A ce petit jeu, l’auteur de l’article parvient à un échange équilibré.
Concessions faites par les joueurs :
- Diminution de la masse salariale globale, de 57% des revenus actuellement à 54%.
- Diminution du salary cap de 51% aujourd’hui à 49%.
- Diminution du salaire maximum de 30% du salary cap aujourd’hui à 27,5%
- Diminution de la limite de la « luxury tax », à 110% du salary cap.
- Instauration d’un deuxième niveau de « luxury tax », à 120% du salary cap, au dessus duquel chaque dollar payé à un joueur donnerait lieu à 2 dollars de taxe.
- Augmentation de la restitution aux équipes « vertueuses » du montant de la luxury tax. Actuellement, seule une fraction leur est rendue.
- Diminution du montant de la Mid-Level Exception à 4 millions de dollars.
Il est important de savoir que les joueurs ne sont pas par principe opposés à une baisse des salaires. Tout dépend de son ampleur, ainsi que des concessions faites par les propriétaires à leurs demandes. Ces premiers points ne semblent donc pas impossibles à obtenir. Certaines des concessions suivantes sont plus critiques.
- Ajout d’un choix de draft « bonus » pour les équipes sous le salary cap pendant deux saisons supplémentaires. Ce choix serait situé après les « lottery pick », et ne pourrait être attribué deux saisons de suite. L’impact naturel serait que chaque tour de draft comprendrait plus de 30 joueurs…
- Suppression des augmentations annuelles. Cette concession est plutôt énorme en terme de « pouvoir d’achat », et pourrait mener à une impasse. D’autant plus qu’il inciterait naturellement les joueurs à réduire la durée de leurs contrats (pour pouvoir être augmenté entre chaque), ce qui revient à jouer sur la durée garantie des contrats.
- Introduction d’une dernière année en team option obligatoire pour tous les contrats supérieurs à deux ans.
Globalement, ces concessions sont très importantes, mais elles maintiennent à la fois le soft cap actuel, l’incitation à la fidélité à une franchise, ainsi que les contrats longue durée, ce qui en ferait une base de négotiation acceptable pour les joueurs, à mettre en regard évidemment des concessions réalisées par les propriétaires.
Concessions faites par les propriétaires :
- Augmentation du salaire minimum à au moins 750 000 dollars.
- Augmentation de la taille du roster de 15 à 19, avec obligation d’avoir 19 joueurs sous contrat. Seuls 15 appartiendraient au roster NBA, les 4 autres étant affectés en D-League, gagnant un salaire de 200 000 dollars, qui ne compterait pas dans le salary cap. On parle là de la création de 120 nouveaux « postes » de joueurs.
- Suppression de la Bi-Annual Exception, mais introduction d’une deuxième Mid-Level Exception à 4 millions de dollars. Les joueurs « moyens » seraient ainsi favorisés.
- Autorisation pour les joueurs de 18 ans et sortant du lycée de s’inscrire à la draft. C’est une concession facile à faire pour les propriétaires et cela correspond à une exigence des joueurs. De notre côté, nous pensons que c’est un élément que les propriétaires vont accepter, mais qu’ils gardent comme arme à utiliser dans le dur de la négociation.
- Relâchement des règles sur le salaire pour les trades, autorisant une différence de 50% entre les salaires reçus et les salaires envoyés.
- Introduction d’une nouvelle exception pour les joueurs de plus de 31 ans, qui leur permette d’être signés jusqu’au salaire maximum pour une durée maximum de deux ans dans n’importe quel équipe. Cette exception sera disponible pour une équipe tous les 2 ans. Cette proposition est une concession à destination des vétérans, qui pourraient rejoindre un club sans être génés par le salary cap (mais, logiquement, la « double » luxury tax devrait être prise en compte).
Ainsi, les concessions des propriétaires sont elles aussi importantes : plus de joueurs en NBA, des joueurs « moyens » favorisés par une deuxième MLE, des joueurs arrivant plus tôt et des vétérans trouvant plus facilement un club.
Conclusion
La proposition de Elrod Enchilada nous semble intéressante.
Elle maintient les systèmes en faveur de la fidélité à une franchise, qu’il est important de ne pas abandonner, sous peine de nuire à l’attractivité de la ligue pour des fans qui ont naturellement besoin d’identifier des joueurs phares aux équipes. On pourrait dire que la fidélité est en déclin, mais ce n’est pas en supprimant les règles qui la favorisent qu’on va régler le problème.
Elle propose des concessions majeures de part et d’autres, mais qui, au regard de ce qui est proposé en échange, semblent acceptables. Diminution de la masse salariale globale, compression des salaires, en échange d’une augmentation des salaires moyens, et d’efforts en faveur des jeunes et des vétérans.
Nul doute que ces propositions ont besoin d’être retravaillées. Mais, d’une certaine manière, elles démontrent par l’exemple qu’il est possible de dessiner de manière réaliste le système de demain. Et c’est une bonne nouvelle.