Même si sur le plan du jeu, la qualité laisse à désirer, la Big3 est intéressante par la myriade de noms qu’elle remet en lumière : Baron Davis, Chris Andersen, Amar’e Stoudemire, Josh Childress ou encore Brian Scalabrine. Parmi eux, un joueur est d’une toute autre génération et s’illustre pourtant comme l’un des meilleurs éléments de la ligue, Mahmoud Abdul-Rauf.
Arrivé en NBA en 1991 sous le nom de Chris Jackson, Mahmoud Abdul-Rauf est en quelque sorte une légende oubliée. Il fut un temps l’un des meilleurs meneurs scoreurs de la ligue, l’une de ses plus grandes gueules aussi, et non seulement en raison du syndrome de La Tourette qui le tourmente depuis toujours mais surtout par son engagement. Son fait d’armes le plus connu ? Son refus d’écouter l’hymne américain avant les matchs. Une posture qui lui valut un match de suspension et a parfois fait oublier le formidable basketteur qu’il était, à mi-chemin entre un Steve Nash et un Steph Curry.
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« Quand je perds, je dis que j’apprends »
Âgé de 49 ans, il continue de tourmenter des chevilles dans la ligue de trois-contre-trois. Dans une superbe interview que lui consacre SB Nation, il revient sur son addiction au basket qui l’amena à jouer en Turquie, Russie, Italie, Grèce, Arabie Saoudite et même… au Japon.
« J’imagine que j’aime vraiment le jeu mais je suis juste compétitif. Je comprends que perdre fait partie de la vie, » confie-t-il. « J’imagine que tout dépend de comment on voit la défaite (…) Quand je perds, je dis : ‘Je n’ai pas perdu, j’ai appris’. Je déteste que les gens ne comptent pas sur moi et m’excluent. On discrimine énormément, parfois on se discrimine soi-même : ‘Parce que je suis vieux, je ne suis pas capable de, etc…’ Non, non, non. Nous avons la capacité de nous adapter et d’accomplir de grandes choses. C’est tout ça qui me fait continuer… »
Atteint du syndrome de La Tourette, Mahmoud Abdul-Rauf fut considéré fou lorsqu’il était enfant. Plus tard, ce sont ses coéquipiers ou ses coachs qui se montraient exaspérés par ses gestes incontrôlés, quand ce n’était pas les arbitres qui le sanctionnaient pour ses invectives sorties de nulle part. Le meneur explique que le basket constitue pour lui l’un des meilleurs moyens pour fuir un temps ce trouble.
« Mon ex-femme me demandait souvent pourquoi j’allais autant m’entraîner. Un jour, j’ai dû lui expliquer : ‘Quand je m’entraîne, j’en arrive parfois littéralement au point où je suis proche de la mort.’ Je respire tellement fort mais par la suite, quand vous arrêtez et que votre respiration commence à ralentir, il y a un moment où vous rentrez dans une zone. Vous êtes assis. Vous regardez dans le vide. Cela peut durer dix secondes, une ou deux minutes mais à ce moment, vous êtes en pleine quiétude. »
« Les athlètes ne devraient pas choisir entre leur conscience et perdre leur boulot »
Car le syndrome de La Tourette suit ses victimes partout et se rappelle à elles quand il le désire, souvent, au plus mauvais moment.
« Quand je me réveille, j’essaye constamment de contrôler ma voix, mon intonation, la tension, les mouvements, » détaille Abdul-Rauf. « On bouge constamment. Les gens pensent que je m’échauffe mais la plupart du temps, c’est Tourette. On apprend comment le camoufler. Ces moments de quiétude n’ont pas de prix. Certains l’ont toute la journée. Ils prennent ça pour acquis. »
L’ancien joueur des Nuggets s’exprime aussi sur le rôle social des athlètes, en particulier les joueurs NBA. Lui n’a jamais rechigné à prendre la parole et s’il regrette que les joueurs actuels ne profitent pas davantage de leur position pour tenir une place dans le débat public, ils pointent aussi du doigt les pressions des propriétaires ou des sponsors, en faisant référence à Colin Kaepernick, ce footballeur américain qui s’était agenouillé pendant l’hymne et se retrouve aujourd’hui sans emploi et en conflit avec la NFL.
« Les gars ne devraient pas se sentir obligés d’avoir à faire un choix entre leur conscience et perdre leur boulot (…) Il y a de la violence policière, de l’inégalité raciale. Et [Colin Kaepernick] perd son travail à cause de ça ?, » rétorque-t-il. « Les politiciens en parlent constamment, les gens aussi. Pourquoi un athlète ne le pourrait-il pas ? Nous sommes avant tout des humains. Ce n’est qu’ensuite que nous avons décidé de devenir sportifs. On ne perd pas notre humanité une fois sportif. Quand la caméra est allumée, on a l’impression de devoir être cette autre personne, de dire ce qui sonne bien, même si c’est faux pour vous. C’est triste. »