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Joe Fulks, l’inventeur du shoot moderne

Joe FulksIl est au basket ce que Fosbury est au saut en hauteur. Un athlète qui a révolutionné son sport en démocratisant une manière de shooter. Pionnier du tir en suspension actuel, All-Star à deux reprises et auteur de 63 points dans la NBA des années 40, Joe Fulks (1921-1976) est mort assassiné par son beau-fils dans l’anonymat le plus complet. Portrait de celui qu’on appelait « Jumpin’ Joe ».

1928. Pendant plusieurs semaines, le lycée de Birmingham est frappé par un étrange mal : les filets des paniers de basket installés dans la cour sont grossièrement découpés par un inconnu qui, tous les soirs ou presque, les réduit en charpie. Le fautif vit forcément dans le village, ce petit morceau de terre vide et pauvre du Kentucky, coincé entre le Tennessee et la rivière Cumberland, auquel on n’accède que par le ferry et où vivent à peine plus de 200 âmes. Pour tirer l’affaire au clair, un soir, le coach de l’équipe de basket de l’établissement décide d’espionner le terrain. Il s’installe dans une salle de classe. Moins d’une heure plus tard, le coupable est pris sur le fait.

Il s’agit d’un petit garçon aux yeux tristes qui jette dans le panier, en guise de balle, des boîtes de conserves abimées et des morceaux de briques, déchiquetant bien malgré lui les filets. L’enfant n’est franchement pas maladroit, même avec des projectiles si peu adaptés. Un peu impressionné et attendri par l’attitude de l’intrus, loin du voyou malintentionné qu’il espérait débusquer, l’entraîneur interpelle le jeune visiteur et l’emmène dans un vieux local où traîne le matériel inutilisé de l’école. Ce soir-là, le petit Joe Fulks rentre chez lui avec l’objet de ses rêves : une balle de basket. Une vieille balle, pleine de sciure, qui ne rebondit que s’il dribble comme un forcené, mais une balle tout de même.

Goheen, le précurseur

Garçon filiforme au visage émacié, Joe shoote sur le terrain de l’école depuis qu’il y a vu son premier match de basket, quelques semaines plus tôt. Cette découverte a été une révélation pour lui qui n’avait connu que la pêche et la chasse dans son enfance, un passe-temps qu’il affectionnait avant que son père Leonard, matelot sur les embarcations qui relient Birmingham à l’autre rive du Tennessee, ne sombre dans l’alcool. Finies, les longues après-midi au bord de la rivière avec une canne ou un fusil dans les mains : Leonard disparaît parfois des jours entiers pour épancher sa soif, même en plein hiver, quand une épaisse brume engloutit la longue enclave de Birmingham.

Joe occupe désormais ses journées en jouant au basket avec ses deux amis, les frères James et Dub Defew. Ensemble, quand ils ne s’entraînent pas, ils vont regarder jouer l’équipe du lycée de Birmingham, l’une des meilleures de la région. Lorsqu’il pleut, les trois garçons arrivent en avance et étalent de la cendre chaude sur le sol glissant afin que le terrain reste praticable. Puis ils s’installent sur le côté, à même le sol, et encouragent avec enthousiasme l’effectif du coach Basil Smith qu’ils rêvent d’intégrer un jour.

Joe ne connaît pas encore les fondamentaux du jeu. Il maîtrise à peine le dribble, n’a aucune notion tactique, possède une mécanique de tir instinctive. Mais il perçoit déjà en Robert Goheen, le meilleur joueur de Birmingham, un modèle dont il est bien décidé à s’approcher. Il admire surtout son shoot extérieur, si particulier : à deux mains, comme tous ses équipiers… mais en suspension. Joe n’a jamais vu cela chez aucun autre joueur ; personne n’a jamais vu cela à une époque où la norme était de shooter de loin les pieds dans le béton ou, au mieux, après un petit saut de cabri. Goheen, lui, ne déclenche son geste qu’après s’être élevé bien au-dessus de son défenseur, relâchant ainsi la balle à près de deux mètres du bitume.

Les averses et l’araignée

Joe a quatorze ans lorsqu’un nouveau gymnase est construit pour remplacer le précédent, parti en fumée dans un incendie. En compagnie de ses amis James et Dub, il s’y entraîne en suivant avec attention les conseils de Sanders Watkins, le plus jeune et le plus abordable des équipiers de Robert Goheen – le seul que Joe, timide à s’en rendre malade, a osé approcher pour tenter d’imiter sa nouvelle idole. Sous ses ordres, l’adolescent s’essaye à tous les tirs imaginables : au niveau de la poitrine, de l’épaule, au-dessus de la tête, à une main, la droite, puis la gauche, puis les deux. Les résultats sont douteux et ce n’est qu’en 1936, lorsqu’il est en âge d’intégrer l’équipe du lycée, qu’il commencera à maîtriser les bases du jump shot, bien aidé par le nouvel entraîneur de l’école : Robert Goheen.

Ce dernier lui démontre que les jambes, plus puissantes, sont au moins aussi importantes que les bras dans la mécanique du shoot : il faut s’en servir afin de s’élever et de conserver son équilibre, puis se concentrer sur le poignet et le bout des doigts pour guider la balle et lui donner la bonne rotation. Joe est pressé. Il tire en suspension avant de maîtriser le geste sur la pointe des pieds, et s’essaye au tir main gauche avant d’être régulier de la main droite. Mais au fil des matches et à force de persister, ses longs bras se mettent à obéir à la petite musique censée orchestrer ses mouvements : le voilà qui tire avec des gestes fluides et coordonnées. Le public de Birmingham, qui ne voyait au début en Joe Fulks qu’une pâle contrefaçon de Robert Goheen, entrevoit désormais son successeur.

L’histoire aurait pu s’arrêter là. Un jeune élève dépasse son maître sans que sa notoriété ne dépasse les frontières d’une petite ville noyée par les averses torrentielles de 1937, et dont l’équipe de basket ne peut terminer sa saison. Piqué par une araignée, souffrant de terribles abcès cutanés, l’élève se mure dans le silence, le nez enflé comme un pêche trop mure. Mais à la rentrée suivante, l’élève a repris là où les inondations l’avaient arrêté. Son shoot a tant gagné en régularité et en élégance qu’un journaliste du quotidien local, le Paducah Sun, écrit que le Kentucky n’a « pas vu un tel joueur de basket depuis des décennies ». Ainsi, quand la construction d’un immense barrage hydroélectrique condamne le village de Birmingham (qui se retrouve définitivement englouti en 1943, sous l’actuel Kentucky Lake) et incite la famille Fulks à déménager au plus vite, toutes les écoles de la région font les yeux doux au jeune talent et à son tir magique. Le lycée de Kuttawa, à moins de cent kilomètres au nord, touche le gros lot.

« Jumpin Joe »

Joe Fulks y devient « Jumpin Joe », l’ailier qui tire comme jamais personne n’a jamais tiré auparavant, d’autant que le garçon a ajouté à sa palette un shoot en déséquilibre impossible à défendre. Les prises à deux adverses sont vaines. Joe est désormais capable de déclencher dans n’importe quelle position. Son nouveau coach, J. Holland Harvey, un professeur d’histoire à la voix de stentor, ne lui fixe aucune limite : s’il sait si bien shooter, qu’il shoote ! A la fin de sa scolarité à Kuttawa, Joe Fulks a battu tous les records de l’établissement. Une demi-douzaine d’universités convoitent le jeune homme, qui se décide finalement à rejoindre celle de Murray State en 1940. La Seconde Guerre mondiale aurait pu, là encore, faire figure d’épilogue à la carrière de Joe Fulks.

A 22 ans, au sein des Marines, il quitte prématurément le Kentucky pour participer à la reconquête du Pacifique. « Jumpin Joe » est envoyé dans plusieurs lieux stratégiques qui doivent permettre aux Etats-Unis de conquérir des bases aériennes. Il fait ainsi partie des soldats américains qui débarquent à Guam à l’été 1944, où sur l’île japonaise d’Iwo Jima en février 1945. Cette dernière bataille tuera 95% des 22.000 soldats japonais, et blessera ou tuera 25.000 des 30.000 Marines américains. On en connaît aujourd’hui l’adaptation cinématographique de Clint Eastwood (Lettres d’Iwo Jima) et l’une des plus célèbres photographies de la Seconde guerre mondiale (Raising the Flag on Iwo Jima, qui montre, dans une composition hallucinante, six Marines hisser leurs couleurs sur le monde Suribachi). Joe Fulks s’y fait remarquer pour son fort accent du Sud, qu’il s’efforce d’atténuer d’une voix douce, mais aussi pour ses tirs d’équilibristes au sein de l’équipe de basket des Marines. Discret, toujours sur la retenue, il intrigue autant qu’il suscite l’admiration.

Annonciateur de la NBA moderne

A Philadelphie, Eddie Gottlieb est le fier propriétaire des Warriors, l’une des onze premières franchises de la BAA (Basketball Association of America, prédécesseur de la NBA). C’est un petit homme en surpoids, au caractère affable, qui aime tout contrôler : jusqu’en 1955, il est à la fois coach, manager et promoteur des Warriors. Il est aperçu aux abords de la salle pour distribuer des billets ou vendre du pop-corn avant les rencontres. Plus tard, c’est lui qui gérera le calendrier de la NBA.

Mais en cette fin d’été 1946, Gottlieb occupe son temps à finaliser la composition de l’effectif des Warriors, et il et ne compte bien évidemment sur personne d’autre que lui-même pour remplir cette mission. Il a déjà tendu un contrat à plusieurs jeunes talents. L’un d’entre eux, Petey Rosenberg, le convainc de rencontrer Joe Fulks, croisé quelques années plus tôt lors d’une rencontre amicale entre Marines à Pearl Harbor. L’exubérant propriétaire n’a jamais entendu parler de celui que Rosenberg décrit, mais ce dernier le fait avec tant d’enthousiasme qu’il décide d’offrir une chance à Fulks. Une séance d’entraînement suffira à faire tomber Gottlieb sous le charme de cet objet sportif non-identité, mince, rapide, ambidextre, dont le shoot à une main et en suspension écœure d’aisance les plus solides défenseurs. Le manager lui propose un contrat annuel de 5 000 dollars, dans la moyenne haute des salaires des premiers joueurs professionnels. Fulks refuse : il exige 3 000 dollars de plus. Et une voiture. Gottlieb n’a même pas besoin d’une seconde séance pour accepter.

En une année, le gamin du Kentucky s’imposera comme celui qui a posé les standards du scoring et dont les performances deviendront des références pour les décennies à suivre. Pendant sa saison rookie, la première de l’histoire de l’Association, Joe Fulks marque ainsi plus du tiers des points de son équipe : 23,2 points de moyenne, soit 6,4 unités de plus que son dauphin, Bob Feerick des Washington Capitals ! Les Warriors remportent cette année-là le premier titre de l’histoire de la BAA en remportant quatre des cinq matches face aux Chicago Stags. Dans le Game 1, Fulks marque 21 points à lui seul dans le dernier quart-temps, soit plus que tout l’effectif adverse en première période. Il est une version précurseur et annonciatrice de la NBA moderne. Comme certaines stars d’aujourd’hui, il était admiré hier pour ses qualités d’attaquant et raillé pour sa nonchalance défensive, lent, frêle et mauvais rebondeur.

Un porte-étendard miné par l’alcool

Joe Fulks a-t-il été le premier à démocratiser le jump shot à une main, geste aujourd’hui commun à la quasi-totalité des joueurs professionnels? Le tir en suspension a été inventé autour des années 30, à l’époque où Robert Goheen émerveillait le petit Joe sur le terrain du lycée de Birmingham. Durant la saison inaugurale de la BAA, Ken Sailors des Cleveland Rebels et Bud Palmers des New York Knicks l’utilisaient déjà eux aussi.  John Adams et Dave Minor l’avaient utilisé avec succès en NCAA, dès le début des années 40. Mais aucun ne l’élèvera, parmi les pros, au même niveau que Fulks lors de son année rookie en BAA. Shoots en déséquilibre, dos au panier, en pleine course, des deux mains : les défenses désorganisées d’alors sont inefficaces face à un tel arsenal offensif.

A son premier anniversaire, la ligue fait de Joe Fulks son porte-étendard : il est la promesse d’un avenir radieux, d’un basket imprévisible et spectaculaire qui démarquera la BAA d’une NBL en désuétude. Mais le formidable attaquant ne tiendra pas le rythme. Début 1947, quand des amis d’enfance de Birmingham assistent à l’un de ses matches, à Saint Louis, Fulks n’est même pas  capable d’enfiler son maillot. Il les rejoindra à la mi-temps dans les tribunes avec une haleine empestant le whisky. Personnage lunatique, renfermé, il souffrait comme son père d’une forte dépendance à l’alcool et passait ses journées d’été loin de tout, à se saouler sur un bateau-maison dans son Kentucky natal, avec quelques comparses ivrognes. Son adresse dégringole à 26% lors de son année sophomore, et il ne marque plus que 14 points par match lors de sa quatrième saison, éclipsé par les performances de George Mikan à Minneapolis et surtout par l’arrivée à Philadelphie de Paul Arizin, qui prend avec brio le flambeau du jump shot en marquant plus de 25 points de moyenne en 1952.

63 points avant les 24 secondes

Deux ans plus tard, Fulks met un terme à sa carrière. Il a 32 ans, n’a pas joué 500 matches, mais est déjà lassé par la compétition et marque à peine plus de deux points par match. Un constat à peine supportable pour établi qui a fixé les premiers records individuels au scoring : 37 points lors de son 8e match pro, 41 points un mois plus tard, 47 points fin 1948.

L’insatiable soliste réussira son chef d’œuvre le 30 janvier 1949, onze jours seulement après l’exploit inédit de Mikan (48 points). En ce soir de grève des transports en commun à Philadelphie, 1500 fans seulement font le déplacement pour voir Fulks pulvériser le total du géant de Minneapolis. A une époque où peu d’équipes marquent plus de 70 points en moyenne, l’ailier score à lui seul 63 points, réalisant la plus grande performance offensive de l’ère pré-24 secondes, taillée dans la même pierre que les 69 points de Michael Jordan ou les 81 points de Kobe Bryant. Dix années, et les 64 points d’Elgin Baylor en novembre 1959, seront nécessaires pour que ce record soit effacé des tablettes.

Comme son père, Joe Fulks devient gardien de prison à l’issue de sa carrière de basketteur. En 1976, sa vue déclinante l’oblige à porter des fines lunettes, ses cheveux grisonnent, son alcoolisme tenace lui donne 60 ans alors qu’il n’en a que 48. Une nuit de mars, dans un accès de colère soutenu par un litre de vodka, il s’emporte contre son beau-fils Greg Bannister, lequel n’accepte pas la relation entre sa mère et l’ex-basketteur déchu. Cette dispute est pour lui celle de trop : sérieusement imbibé lui aussi, Bannister récupère une carabine dans le coffre de sa voiture, et la retourne contre Fulks. Il atteint sa cible au niveau du cou.

Dans les médias, l’assassinat de la première star de l’histoire de la ligue sera à peine couvert. Déjà, Joe Fulks avait été oublié. Bannister passera deux ans en détention avant d’être mis en liberté conditionnelle.

Le trophée de MVP n’existant pas encore lors de la saison inaugurale, celui que The Sporting News avait sacré athlète de l’année en 1948 n’apparait aujourd’hui dans aucun palmarès. Sa tombe indique sobrement « Joseph Franklin Fulks, Corporal, US Marine Corps ». La NBA, à son cinquantième anniversaire, avait négligé de l’intégrer dans la liste des 50 joueurs les plus marquants de son histoire. C’était pourtant un joueur en avance sur son temps, un précurseur ; l’un des pères du basket moderne si l’on en croit le magazine Saturday Evening Post qui avait surnommé Fulks « le Babe Ruth de la balle orange ». Un mythe tristement dépassé qui n’a pas résisté à l’évolution du jeu, ni à l’alcool, et encore moins au temps.

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