« Tu sais quoi ? J’en ai rien à faire de la Coupe du monde de basket ».
Ce n’est pas moi qui parle, c’est mon pote Dave.
Dave est un fan de NBA depuis gamin. Pas un amateur du dimanche. Un malade du ballon orange qui est capable de justifier – avec une mauvaise foi assumée – les 645 tirs à 3 points tentés par Antoine Walker lors de sa saison 2001-2002 avec les Celtics.
Deux ou trois fois par semaine, je joue au basket avec Dave. Et puis, il m’aime bien. Je suis celui qui lui fait ses picks lorsqu’il essaie d’imiter Walker.
Après avoir donc gaspillé une trentaine de shots, Dave adore me parler basketball. Sur Twitter, il est inscrit à une quarantaine de comptes consacrés uniquement à notre sport. Cet été, Dave n’a raté aucun détail sur les transferts de l’intersaison. Et le soir, pour s’endormir, il regarde les rediffusions sur NBA TV.
Dave, est un fan. Un vrai. Il n’a pas vu un match de Team USA et aujourd’hui ratera la finale. Pourquoi ? Parce que comme tous les Américains, il n’en a rien à faire de la Coupe du monde de basket.
Des audiences ridicules
Non, je n’exagère pas, il suffit de regarder le chiffres d’audience. Malgré les communiqués triomphant de la FIBA, aux USA, les matches sont diffusés dans un quasi-complet anonymat.
Et cela ne date pas d’hier. En 2010 par exemple, les Américains sont en finale contre la Turquie. Avec au bout une médaille d’or. Audience ? 900 000 téléspectateurs. C’est deux fois moins que l’audience de France – Serbie sur France 2. Une misère, un bide pour un pays qui compte plus de 300 millions d’habitants.
Cette année, il ne faut pas croire que la finale de ce dimanche fera mieux. La preuve ? Le match est diffusé sur ESPN 2. Oui, ESPN 2 ! Pas sur une des chaînes principales du pays mais une du câble que certains Américains ne reçoivent même pas. Et même pas sur ESPN mais sa -toute- petite soeur. Et puis comme si cela ne suffisait pas, l’horaire de diffusion n’arrange rien. La finale se retrouvera face au « Sunday Football », le rendez-vous hebdomadaire de la NFL, une sorte de messe incontournable ici.
Alors je sais, la FIBA met en avant le million de téléspectateurs qui ont suivi Amérique-Turquie. En oubliant de dire que sur cette tranche horaire, en part de marché, la Coupe du monde finit en 27e position, battue par des rediffusions de Bob l’Éponge et des Simpsons.
Le contraste est fou. La NBA est à la veille de signer un contrat de droits télé énorme. La ligue a retrouvé sa popularité des années Jordan. Et pourtant l’épreuve vedette de la FIBA n’attire pas.
Les raisons de ce rejet sont multiples.
Il faut dire par exemple que le profil de l’édition 2014 de Team USA n’a rien pour attirer le téléspectateurs moyen. LeBron, Durant, Kobe.. Les stars que tout le monde connaît, qui ont une valeur fédératrice et événementielle ne sont pas là. Et sans remettre en cause les qualités de Curry, Cousins, Plumlee et les autres, leurs noms ne sont pas encore assez attractifs.
Reléguée sur une chaîne du câble
Et puis, il y a la difficulté à regarder un match. La plupart des rencontres des poules étaient diffusées sur ESPN 3. Pas ESPN, pas ESPN 2, ESPN 3 ! Je dois recevoir environ 200 chaînes. Je suis abonné à un pack sport dont la moitié couvre des disciplines dont j’ignorais l’existence. Et malgré tout ça, je n’ai pas ESPN 3 !
Pour suivre les rencontres des Bleus, j’ai dû basculer son mon Apple TV, obtenir un code d’accès via mon fournisseur de chaîne et découvrir enfin ESPN 3 ! C’est comme si en France, il fallait s’abonner à BeIN Sport Max.
Une équipe sans vedettes « mainstream » et la difficulté à regarder les rencontres… Ce sont les seules circonstances atténuantes de l’insuccès de la FIBA.
Le décalage horaire ? L’argument est démoli par l’énorme succès cet été de la Coupe du monde de foot dont les parties étaient aussi diffusés dans le milieu de la journée.
Par contre, le succès d’audience grandissant, édition après édition, de la Coupe du monde de foot contient un des éléments de réponse du rejet de celle de la FIBA.
Si le pays qui pratique un football avec un ballon ovale succombe peu à peu aux talents des Messi, Ronaldo, Benzema et autres, c’est parce que le Mondial permet de voir une compétition d’un plus haut niveau que celui du MLS, le faiblard championnat américain.
Et justement la Coupe du monde de basket est exactement l’inverse.
Le raisonnement du fan Américain est simple : pourquoi perdre du temps à regarder une compétition où la qualité et la vitesse du jeu ne peuvent pas rivaliser avec la NBA ? Où la plupart des joueurs sont des inconnus qui n’auraient pas leur place dans équipe universitaire (je sais, le trait est exagéré mais la comparaison a été évoquée sur les antennes des talk show de sport) ?
Et puis, encore plus profond, il y a une raison culturelle.
Les Etats-Unis n’ont pas la culture de la sélection nationale
Aux États-Unis, hormis peut-être pendant les Jeux Olympiques, il n’y a aucune culture de l’équipe nationale. On supporte un club, on glorifie surtout les joueurs. Mais pas l’équipe nationale. Surtout dans les sports les plus populaires. Ainsi, il n’y a pas d’équipe américaine de baseball ou d’équipe nationale de football américain…
C’est une situation à laquelle tous les joueurs d’origines européennes ont été confrontés lorsqu’ils signent en NBA. Dirk Nowitzki s’est souvent exprimé sur les difficultés qu’il a eues à convaincre Mark Cuban de le laisser partir jouer pour la sélection allemande. Tony Parker et Manu Ginobili ont eu les mêmes problèmes aux Spurs. Essentiellement pour des raisons d’assurance, mais aussi de fatigue accumulée à chaque compétition.
Mais si le cas de Cuban est intéressant, c’est parce qu’il est l’un des seuls propriétaires à exprimer son opposition à ce que les joueurs de la NBA aillent jouer pour une équipe nationale.
Pendant des années, Mark Cuban a mis en avant le risque de blessure de l’un de ses « employés ». Le terme n’est pas péjoratif. Il est au coeur de la théorie du propriétaire des Mavs. Ainsi, en toute logique, une blessure lors d’un match FIBA à des conséquences sportives et surtout économiques sur le club qui emploie un joueur. Et la blessure cet été de Paul George ne fait que renforcer cette logique là.
La dernière Coupe du monde avec des NBAers ?
Depuis cette année Cuban met en avant un autre argument. La NBA, dit-il, est une marque avec ses produits vedettes (les joueurs) qui les met gratuitement à disposition d’une marque différente (la FIBA) qui va engranger des revenus grâce à des joueurs dont elle ne supporte pas le développement.
La solution de Cuban ? Que la NBA propose un produit concurrent. Sans le dire ouvertement, Cuban préfèrerait voir une sorte de modèle inspiré par la Ligue des Champions en foot que de prêter ses « actifs » à la FIBA.
En attendant, sous la pression des propriétaires et le peu d’intérêt des joueurs préférant privilégier leurs carrières, il n’est pas impossible que l’édition 2014 soit la dernière constituée de cadres de la NBA.
Aujourd’hui, très vraisemblablement, les États-Unis remporteront une nouvelle médaille d’or. La nouvelle ne fera pas la une, elle n’ouvrira certainement pas le fameux SportCenter sur ESPN qui préférera revenir sur les résultats de la deuxième semaine de la saison de la NFL.
Mais peu importe.
Dans quelques semaines, la NBA reprendra sa place et, demain, mon pote Dave continuera à imaginer qu’il est la réincarnation d’Antoine Walker. Ball is life…