Une carrière NBA tient parfois à peu de choses, y compris celle d’un Hall of Famer… Rookie dans le dur et dans le doute à Seattle, Gary Payton a dû attendre l’arrivée de George Karl chez les Sonics avant de pouvoir véritablement démarrer du bon pied en NBA.
Dans un long entretien avec Sonics Forever, le légendaire meneur de Seattle a rouvert la boîte à souvenirs pour retracer certaines grandes étapes de sa progression, toujours avec le même bagout mais aussi une certaine dose d’humilité. Il évoque notamment deux périodes très difficiles de sa carrière, à la sortie du lycée d’une part et puis lors de sa première campagne pro d’autre part.
Oregon State grâce à Maman
Avant de devenir « The Glove », Gary Payton a connu des mésaventures, et des moments de doute. Dès sa sortie du lycée, au lycée Skyline d’Oakland, il a appris à s’endurcir, notamment quand il a découvert, à quelques heures d’une conférence de presse organisée spécialement pour cette annonce, qu’il n’allait pas jouer pour St John’s.
« Quand je suis sorti du lycée, j’étais un joueur très orienté vers l’attaque. J’avais choisi St John’s University pour aller jouer avec [Coach Lou] Carnasecca et suivre les pas de Chris Mullin et Walter Berry et tous ces gars-là. Quand j’allais l’annoncer dans mon gymnase de lycée, Carnasecca m’a appelé pour me dire qu’il ne pouvait plus me prendre car il ne voulait pas perdre ses recrues de New York pour prendre un gars de la Côte Ouest. Ça m’a brisé le coeur. J’avais fait mon choix, j’allais l’annoncer avec les télés qui étaient là et au dernier moment, le coach t’appelle pour te dire que ce n’est pas possible… Greg Foster était mon coéquipier à l’époque, il avait choisi UCLA, et on devait faire notre annonce ensemble. Il a fini par faire la conférence de presse tout seul. À ce moment-là, toutes les équipes qui me suivaient étaient déjà passées à autre chose. J’étais vexé et je ne voulais plus choisir d’école. Au final, j’ai laissé ma mère choisir, et ma mère aimait bien Ralph Miller [le coach d’Oregon State]. »
Sans atomes crochus de prime abord, Gary Payton et Ralph Miller vont rapidement trouver un terrain d’entente à Corvallis, avec le trophée de rookie de la Pac-10, plus celui du meilleur défenseur de la conférence, pour un Gary Payton à 12 points, 8 passes, 4 rebonds et 2 interceptions de moyenne. Les prémices d’une grande carrière universitaire, couronnée d’une place dans la All-Consensus Team de 1990, aux côtés de Larry Johnson, Derrick Coleman ou encore Chris Jackson, futur Mahmoud Abdul-Rauf.
« Dès que je suis arrivé à Oregon State, Ralph Miller nous a fait bosser sans ballon pendant une semaine, on faisait des exercices défensifs et du foncier. Quand on a commencé à faire des vrais entraînements, je faisais beaucoup d’interceptions et j’arrivais à toucher beaucoup de ballons, bouger les pieds rapidement pour provoquer des passages en force. Il m’a pris à part et il m’a dit que, si je l’écoutais, il ferait de moi le meilleur défenseur de l’histoire car j’avais de très bonnes mains et des pieds rapides. J’ai bien sûr écouté attentivement ce qu’il me disait et j’ai commencé à jouer comme le Deion Sanders de notre équipe. J’ai commencé à vraiment m’amuser car je récupérais beaucoup d’interceptions et ça me donnait des paniers faciles. »
La retraite après un an de NBA ?
Comme entre le lycée et la fac, Gary Payton va éprouver les pires difficultés à passer le cap suivant, vers le monde pro de la NBA. Si son amitié avec Shawn Kemp va l’y aider, son intégration ne sera par contre pas arrangée par la philosophie prônée par le coach KC Jones, ancien coach des Celtics des années 1980, avec deux bagues au doigt.
Pour qualifier sa saison rookie, conclue à 7 points, 6 passes et 3 rebonds, Gary Payton n’y va pas par quatre chemins… « Merdique, on peut dire merdique ! Je n’avais aucune confiance et le coach ne me donnait pas de confiance non plus. J’étais tellement habitué à faire ce que je voulais sur le terrain. Je n’arrivais pas à m’habituer à jouer sous la contrainte de me faire remettre sur le banc si je n’étais pas performant, ou de jouer le premier quart et ensuite en troisième quart et donc en ratant les moments importants. J’étais titulaire mais c’est seulement parce que j’avais été n°2 de la Draft. C’est ce que me disait KC Jones d’ailleurs. J’ai pris le boulot de Nate McMillan, sans vraiment l’avoir mérité. Je n’aimais pas ça et je n’ai rien appris de cette situation. C’est seulement quand George [Karl] est arrivé que les choses ont changé. »
Ayant fait la Une de Sports Illustrated au moment de son trophée de meilleur défenseur universitaire, Gary Payton n’était pas du genre à cacher sa confiance en lui, se comparant à Magic Johnson dès son arrivée chez les pros. Mais tout à coup, en NBA, il n’était plus aussi bavard. À vrai dire, touché par les critiques en rapport à son haut choix de Draft, et les rumeurs de transfert, il était au bord du gouffre.
« J’ai pensé à prendre ma retraite car je me disais que le basket n’était pas fait pour moi. Après ma première année, Seattle commençait à parler de m’échanger et j’ai sérieusement pensé à tout arrêter. Je me suis dit que le basket n’était pas fait pour moi. Je suis drafté en n°2 et tout le monde commence à parler de moi comme un bust. Et puis, tout à coup, George débarque et il ramène avec lui Tim Grgurich. »
L’arrivée de George Karl, et dans ses valises du druide « Grg », a tout changé pour Gary Payton. Mais pour le jeune noyau dur des Sonics en général, avec Shawn Kemp, Nate McMillan et bientôt Detlef Schrempf, Kendall Gill et autres. Le joug posé par KC Jones a valsé et le Sonic Boom pouvait démarrer.
« Tim est arrivé et il nous a pris à part, Shawn et moi, pour nous dire qu’il voulait qu’on fasse la Ligue d’été ensemble. On va repartir de zéro. La première chose qu’il a fait pour moi, c’est qu’il est venu dans ma chambre d’hôtel et il m’a fait visionner mes matchs en université. Il m’a dit que c’est ce Gary Payton-là qu’il voulait retrouver, celui qui dominait. Je ne veux pas du Gary Payton de Seattle qui hésite à attaquer et qui a peur de prendre ses tirs. Et on s’est mis à bosser ! Shawn a tourné à 30 points et moi à 29 en ligue d’été [à la Rocky Mountain Revue d’Utah en 1991, ndlr]. C’était parti. J’ai été All-Star la saison suivante [en 1994 en fait, ndlr]. »
Le Glove et le druide
Forte tête comme son coach, Gary Payton a plusieurs fois eu maille à partir avec George Karl mais les deux hommes ont toujours réussi à garder leur équilibre. L’entraîneur a certes dû s’arracher quelque cheveux, en plus d’un pauvre évier, mais la relation de confiance avec son meneur n’a jamais été trop gravement endommagée. Les deux compères se retrouveront même dans le Wisconsin plus tard, pour un bout de saison en 2003.
En gros, il s’agissait de s’adapter à la façon de faire de Gary Payton, de lui laisser suffisamment de largesse, par rapport aux entraînements, aux exercices quotidiens et au mode de vie en général, tant que l’effort était irréprochable sur le terrain. Comme Gary Payton a toujours donné satisfaction de ce côté-là…
« S’il n’était pas venu à Seattle, je ne sais pas ce que je serais devenu, je ne suis pas sûr que j’aurais été un Hall of Famer. George m’a tout donné, il m’a permis de me relancer et de renaître dans une culture qui me parlait. Il a amené Tim Grgurich qui connaissait les joueurs comme moi à UNLV. Si tu bosses bien, tu peux faire ce que tu veux. On avait tous les deux notre égo, et il y a eu des clashs mais quand on se disputait, on pouvait aussi se retrouver après le match dans son bureau pour boire une bière, se dire les choses en face avec beaucoup de jurons mais le lendemain, j’étais prêt à traverser un mur pour lui. On disait souvent : pourquoi Gary n’est-il pas avec l’équipe pendant les temps morts ? George disait : ne t’inquiète pas pour lui, il entend tout ce que je dis. C’était vrai, je n’avais pas besoin de l’écouter car je sais ce qu’on avait à faire. Il avait tellement confiance en moi, et moi en lui, que je savais que je devais être performant pour lui chaque soir. »
Pionnier du « player development », Tim Grgurich avait été chargé des dossiers Kemp et Payton à son arrivée à Seattle. En l’occurrence, comme l’explique le meneur, « Grg » était le parfait complément à la relation Payton – Karl. Il jouait les intermédiaires, souvent pris entre deux feux. Et ça partait en rafales verbales…
« Tim Grgurich était le pare-choc. Quand on se disputait, il était au milieu. Il venait me dire : détends-toi, pense à ce qui est en train de se passer. Quand George était à son tour énervé, Grgurich allait d’abord lui parler et quand j’en avais fini, après la douche, il venait me chercher et me disait : OK, il faut y aller. Et on discutait. Chacun son tour. On vidait notre sac, peu importe comment ça sortait, il fallait que ça sorte ! C’était comme ça entre nous. En cela, on avait la même mentalité : il fallait accepter de prendre une rafale car c’est seulement comme ça que ça pouvait marcher. Il pouvait me dire tout ce qu’il voulait, je pouvais lui dire tout ce que je voulais, et on passait à autre chose. »
Le gant et les guns
Evidemment adepte du « trashtalking », Gary Payton appréciait déstabiliser ses adversaires, peu importe leur statut dans la Ligue. La remarque de Michael Jordan quant à leurs duels lors des finales 1996 ne l’a d’ailleurs pas atteint. Gary Payton rétorque qu’il ne s’attendait à rien de moins de la part de « His Airness », dans « son » documentaire en plus.
Pendant les playoffs 1994, et la fameuse défaite au premier tour face à Denver, Gary Payton a aussi reconnu sa part de responsabilité. Il n’a pas été au niveau de l’événement, à 16 points et 5 passes de moyenne, mais en revanche, il minimise l’importance de son différend musclé avec son propre coéquipier, Ricky Pierce, dans les moments tendus de cette désillusion en playoffs. Les deux hommes en seraient venus aux mains, des armes à feu ayant été évoquées…
« Ricky pensait qu’il pouvait me parler sur tous les tons parce que j’étais plus jeune que lui. Je peux garder du respect pour autrui jusqu’à un certain point. Mais si on me parle de manière un peu trop inconsidérée, on va passer au niveau supérieur. Et c’est ce qui s’est passé. Je lui ai dit que j’allais lui tirer dessus ! Que je m’en fichais. Il m’a répondu qu’on allait être deux à tirer alors ! J’ai rigolé en disant qu’il n’était pas vraiment du genre à faire ça de toutes manières… On s’est bien pris la tête mais après ça, on n’en a plus reparlé. On peut me parler comme ça, assez crûment, si on se connait bien et qu’on a déjà une relation particulière. Mais là, ça n’était pas le cas ! »
Tête de série numéro un à l’Ouest, et à vrai dire meilleur bilan de la Ligue, les Sonics se sont fait sortir dès le premier tour par les Nuggets. Un acte manqué pour Gary Payton et sa bande de Seattle, qui en tireront finalement les leçons au printemps 1996.
« On a arrêté de jouer. Quand on était à 2-0, on a eu l’occasion de plier la série mais Shawn a raté deux lancers. Ils sont revenus et Robert Pack a rentré un 3-points très important, la dynamique a changé de camp. On s’est planté. On n’a pas réussi à bien jouer par la suite et j’accepte une part de cette responsabilité car je n’ai pas bien joué sur cette série. Je n’ai vraiment pas bien joué… On a raté une occasion en or, après avoir été le meilleur bilan de toute la Ligue. Le tour suivant, ils se sont fait balayer par le Jazz. Ça s’est passé comme ça mais on a appris de nos erreurs… »
Le Glove et les entraînements
Personnalité à part dans le paysage NBA, profondément gravée du fait de sa longévité à travers les années 1990 mais aussi une bonne partie des 2000, avec des aventures en playoffs chez les Lakers en 2004 (finale perdue face à Detroit) et la récompense avec le titre de 2006 avec le Heat (dont un tir décisif au match 5), Gary Payton a des tonnes d’anecdotes à raconter. Et le bagout qui va avec.
En l’occurrence, quand il évoque ses rituels de jour de match, c’est assez épique. D’abord, ses choix alimentaires : « J’arrivais dans les vestiaires avec mon Big Mac, mes frites et mes nuggets. J’allais m’installer dans la piscine à bulles et je mangeais ça tranquillement jusqu’à ce que je doive aller faire mes étirements. À chaque match. »
Puis, la sieste… et le devoir conjugal, qui étaient tous intégrés dans la routine également. Gary Payton se marre en se souvenant qu’il suivait une voiture de police pour éviter les bouchons lors des travaux de la Key Arena et leur saison au Tacoma Dome, dans la banlieue sud de Seattle. « Oui, ça faisait partie du rituel. Ma femme [ex-femme] me réveillait et on faisait nos affaires. Et puis, quand il fallait que je me lève, il y avait toujours du monde sur les routes. On essayait toujours de trouver un policier qui gérait le trafic de nous faire passer en urgence pour être à l’heure à Tacoma pour le match. »
Si ce ne sont donc pas la diététique ou l’hygiène de vie en général qui ont permis au Glove de durer si longtemps en NBA, il faut alors se tourner vers une autre piste. Celle qui mène tout droit au jacuzzi, « le meilleur ami de GP » !
« Je n’aimais pas les entraînements parce que je sacrifiais mon corps pendant 46 minutes à chaque match, j’étais fatigué et mon corps me faisait mal, mais je n’allais pas lâcher, je voulais continuer à jouer toutes ces minutes en match, tout le monde savait que je jouais blessé avec mon dos et d’autres problèmes. Je ne disais rien aux autres mais George le savait. Je ne pouvais tout simplement pas te donner 100% à l’entraînement si je donnais 100% en match. Je ne peux pas m’entraîner tous les jours, je ne peux tout simplement pas le faire ! Je veux jouer comme je sais le faire, c’est-à-dire en plongeant et alors qu’on me rentre dedans. Je ne pouvais pas assurer comme ça en match, sortir après le match pour boire des coups et m’enivrer et faire ça tous les jours [rires] ! C’est impossible à tenir. Il a compris ça et il m’a demandé d’assurer au moins une heure d’entraînement tout en laissant les autres joueurs comprendre que tu seras là pour une heure à fond. Après ça, j’allais faire ma musculation, mes massages et mon jacuzzi. Parce que tout le monde savait que le jacuzzi était mon meilleur ami. »