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Saga Jail Blazers (#5) – Sabas au pays des malices

Pendant la période creuse de l’année, entre la fin d’une free agency de feu et la Coupe du Monde qui débute fin août, BasketUSA vous propose un panorama rétro sur le basket dans le Grand Nord-Ouest, avec un triptyque sur les trois franchises de la région : les Portland Trail Blazers, les Seattle Supersonics et les Vancouver Grizzlies.

Ça se passe entre 1995 et 2005. De l’entrée des Blazers dans leur nouvel écrin du Rose Garden, à une fin de saison en lambeaux, avec un dirigeant au poste de coach (Kevin Pritchard au relais de Mo Cheeks), une piteuse 13e place à l’Ouest et des fans en colère.

Une décennie de basket à Portland avec beaucoup de hauts mais probablement encore plus de bas. Et des bas qui blessent. Qui laissent des plaies encore douloureuses aujourd’hui, plus de vingt ans après les faits. C’est Rip City à la sauce Jail Blazers. C’est une histoire d’amour qui tourne mal entre une ville et son équipe fanion.

Malgré deux accessions consécutives à la finale de conférence à l’Ouest en 1999 et 2000, Portland n’arrivera pas à brandir le trophée tant convoité. L’infamie du dernier quart perdu au Game 7 des finales de conférence en 2000 ne sera jamais vengée, laissant donc béante la plaie profonde qui torture encore l’esprit des fans de Rip City.

Il s’agit même d’un choc culturel dans sa plus pure expression. D’un côté, des joueurs noirs américains issus de milieux défavorisés. De l’autre, une ville typiquement blanche et aisée, avec une tradition conservatrice (et des relents racistes). La collusion de ces deux éléments rendait l’ambiance forcément conflictuelle, et explosive. Comme un cri primaire du Sheed après un dunk de virtuose !

Pour comprendre ce phénomène, il faut d’abord saisir le contexte spécifique de la ville de Portland. De même, il faut bien voir le contraste qui existe entre le groupe du début des années 90, double finaliste NBA, et celui mis en place par le GM tête brûlée, Bob Whistitt, véritable architecte des Jail Blazers. Enfin, il s’agira de revenir sur le choc culturel et générationnel qui s’est opéré à l’aube de l’an 2000 à Portland, mais aussi en NBA plus largement.

BasketUSA a mené son enquête en fouillant les archives mais aussi en allant à la rencontre de nombre des acteurs principaux, dont Kerry Eggers, auteur d’un ouvrage massif de 500 pages sur le sujet, sorti en novembre dernier.

Episode #1 : Ecrire l’histoire des vaincus

Episode #2 : Portland la blanche

Episode #3 : Trader Bob

Episode #4 : Rasheed Wallace, l’ennemi public n°1

Sabas au pays des malices

On est le 17 juin 1986, jour de la Draft NBA. Le jeune et fringant David Stern s’avance sur l’estrade et balance une bombe. Avec leur 24e choix, les Blazers sélectionnent Arvydas Sabonis… de l’Union Soviétique !?

Au Felt Forum de New York où se tenait la grand-messe annuelle cette année-là, le public hurle immédiatement au scandale. À Portland, la réaction n’est pas moins véhémente pour un public passablement déçu, pour ne pas dire carrément énervé.

« Ridicule, tout simplement ridicule ! », lance une femme outrée. « Je ne peux pas l’épeler, ni le prononcer », ajoute bientôt un autre énervé.

Mais ceux qui sont si prompts à le critiquer ignorent probablement que c’est en fait la deuxième draft d’Arvydas Sabonis, choisi originellement en 1985 par les Hawks. Une sélection jugée illégale par les instances de la Ligue, car il n’avait pas encore 21 ans.

Quand bien même drafté, Arvydas Sabonis ne rappliquera pas de sitôt en NBA. De 1986 à 1995, le pivot soviétique au nom pas si imprononçable que cela va poursuivre sa carrière sur le Vieux Continent, contribuant à créer un mythe toujours plus enivrant à chacun de ses exploits balle en main.

Le mythe de la licorne balte

De ses débuts professionnels à Kaunas à l’âge de 16 ans (où il commence le basket à 13 ans) et avec l’équipe du bloc soviétique dès ses 14 ans, à une tournée aux Etats-Unis avec l’équipe soviétique en 1982 à 17 ans, Arvydas Sabonis a contribué très tôt à se bâtir un mythe à la hauteur de son imposante stature.

Dès 1984, il fait forte impression au tournoi pré-olympique qui se tient en France – à Saint Quentin en l’occurrence. Le reporter de Sports Illustrated, Alexander Wolff, en garde un souvenir ému.

« Je l’ai vu jouer deux fois. À Saint Quentin pour les préliminaires et à Bercy, à Paris où ils ont écrabouillé la concurrence. Sabonis était époustouflant. Il y a trois choses qui m’ont frappé : d’abord sa qualité de passe de relance. Sans aucun effort apparent, il parvenait toujours à trouver les mains de ses arrières à mi-terrain. Sans aucun effort. Ensuite, son toucher à l’extérieur. Et finalement, il était parfaitement proportionné. Un homme normal mais simplement immense. Ah oui, il avait 19 ans à l’époque. »

Contemporain et défenseur de Sabas devant l’éternel, Bill Walton regrette carrément de ne pas avoir pu monter un coup pour soustraire le grand pivot lituanien à l’attention des autorités communistes au début des années 1980.

« La première fois que je l’ai vu jouer, il avait probablement un quadruple double à la mi-temps, et son coach, Alexander Gomelsky, ne l’a même pas titularisé en deuxième mi-temps. On aurait tout aussi bien pu réécrire les règles du jeu après cette première mi-temps ! » s’enflamme Bill Walton, depuis qu’il a croisé le jeune pivot de 19 ans aux championnats d’Europe organisé en France en 1983. « Il pouvait tout faire. Il avait les qualités techniques d’un Larry Bird et d’un Pete Maravich. Il avait les qualités athlétiques de Kareem, et il pouvait aussi tirer à 3-points. Il pouvait passer, courir en contre-attaque, dribbler. On aurait dû monter un plan au début des années 1980 pour le kidnapper et le ramener dès ce moment-là. »

Ce que Bill Walton ignore, c’est qu’un « coup » a bien été tenté. Il fut l’œuvre du coach de LSU, Dale Brown. Ce dernier n’a d’ailleurs pas lésiné sur les moyens, rédigeant des courriers directement adressés à Mikhaïl Gorbatchev et à Ronald Reagan. Il a même recruté une étudiante lituanienne en journalisme à la fac de Missouri, Rima Janulevicius, pour essayer de faire venir Arvydas Sabonis aux Etats-Unis. Celle-ci ira notamment en Argentine lors de la Coupe du Monde des Clubs en septembre 1986, et un peu plus tôt en Espagne pour rencontrer le pivot.

« Je lui ai demandé comment on pouvait faire [pour qu’il vienne à LSU]. Il m’a regardé comme si j’étais Cendrillon et m’a dit qu’il n’en savait rien », explique Rima Janulevicius dans un long format de Sports Illustrated. « Et c’est moi qui avais les larmes aux yeux. Il savait que rien ne pouvait arriver. C’était l’Union Soviétique. On ne pouvait rien faire. Surtout quand tu es Sabonis, il ne pouvait absolument rien faire. Ils le surveillaient en permanence. »

En pleine Guerre Froide, Dale Brown jouait l’argument de la diplomatie par le sport, en proposant une bourse de scolarité au pivot à LSU. Cette solution aurait en outre permis qu’Arvydas Sabonis conserve son statut amateur, indispensable dans l’optique des Jeux Olympiques de Séoul en 1988. Mais rien n’y a fait, l’URSS restant sourde.

« On est allé au Ministère des Affaires Etrangères. On est allé au siège de leur Fédération et on a parlé de compensation », rappelle Bucky Buckwalter, le directeur du personnel des Blazers, grand responsable de la draft d’Arvydas Sabonis. « On a évoqué des milliers de différentes solutions, mais aucune n’a fonctionné. »

Si Sabas était arrivé en NBA en 1989 (comme Sarunas Marciulonis a pu le faire), comme il en avait été question du simple fait qu’il était enfin libre de sortir du bloc, les Blazers auraient clairement pu viser un voire plusieurs titres, ayant été finalistes en 90 et en 92 sans leur licorne balte.

De toute manière, ainsi que les réactions de la Draft 86 le laissaient penser, le comité d’accueil aurait pu être mouvementé. Dans le Baton Rouge State Times, un sondage questionnait la population locale sur la possible venue d’un « Soviet » en échange universitaire à LSU – il faut bien avouer ici que la sémantique choisie ne laissait que peu de chances à la réponse. 18% des sondés n’avaient aucune opinion, un autre 18% y était favorable… ce qui laisse effectivement une grande majorité (63%) qui s’y montrait hostile !

Auteur pour le coup de 12 points, 11 rebonds, 2 contres et 2 passes de moyenne pour l’URSS, médaillée d’or olympique en 1988, Arvydas Sabonis continuait de tout écraser (ou presque) sur son passage. Mais c’était un homme résigné. Il savait que son destin avait été scellé par les instances communistes, dans les bureaux du Kremlin.

« C’était la dernière cartouche ! »

Son gourou Alexander Gomelsky savait pertinemment que la présence d’Arvydas Sabonis était indispensable au succès soviétique. Et pour cause, ce dernier a tout de même réalisé une sacrée razzia dans le jeu FIBA.

Avec l’URSS, il a déjà raflé six breloques. Trois médailles d’or aux trois grands championnats (Jeux Olympiques 1988, Monde 1982, et l’Euro en 1985), une médaille d’argent (Monde 1986) et deux médailles de bronze (Euros 1983 et 1989). Il a complété sa collection de la plus belle des manières : avec sa Lituanie chérie enfin indépendante, avec deux médailles de bronze olympique à Barcelone en 1992 et à Atlanta en 1996. Et une médaille d’argent à l’Euro 1995, défait en finale par la Yougoslavie (un autre empire du basket bientôt éparpillé « façon puzzle »).

Avant d’arriver tout cabossé chez les Blazers, Arvydas Sabonis était le Shaq. C’est lui qui faisait régner la terreur dans les raquettes du Vieux Continent et qui y cassait les panneaux. Comme sur ce dunk violent avec la chasuble communiste sur le dos, et un énorme pétard sur la truffe d’un Espagnol.

« Je l’ai vu à son meilleur niveau », précise la légende des Spurs, Sean Elliott, adversaire victorieux de Sabonis en finale du Mondial 1986. « S’il était venu à Portland quand il a été drafté, les fans NBA auraient compris et il serait considéré comme un des meilleurs intérieurs de l’histoire. C’était David Robinson avec un tir de loin et meilleur passeur. Il a sauté par-dessus Charles Smith et Robinson pour un des meilleurs dunks que j’ai jamais vus. […] S’il était venu plus tôt, [Portland] aurait eu de grandes chances de remporter plusieurs titres. »

Malheureusement, Arvydas Sabonis n’a pas eu le loisir de bénéficier des soins « high tech » de l’ère moderne. Encore moins de se la jouer Kawhi Leonard : pas de « load management » pour Sabas avec les autorités soviétiques en permanence sur le dos !

À l’inverse, tout est allé de travers après sa première blessure au tendon d’Achille en 1986, à 22 ans seulement, à cause d’une surcharge d’entraînement avec l’équipe soviétique. Blessé gravement mais poussé à revenir à la compétition avec le Championnat du Monde de 1986, il a ensuite dû jongler avec des douleurs et des problèmes chroniques au dos, aux genoux et aux chevilles, conséquences toutes liées à cette blessure initiale.

C’est précisément pour retrouver plus de mobilité et travailler davantage son corps qu’il signe à Madrid à l’été 1992. Le pivot était de nouveau sollicité par la franchise de l’Oregon, mais encore en manque de confiance dans ses capacités physiques, il avait préféré procéder étape par étape en passant d’abord par Valladolid en 1989, puis au Real de Madrid.

Mais en 1995, Bob Whitsitt se déplace en personne à Madrid pour venir voir Arvydas Sabonis. Le discours du GM des Blazers est sans détour. Et ça marche !

« [Whitsitt] m’a dit que si je ne venais pas maintenant, je n’aurais pas la chance de venir, du tout. Que je ne pourrais jamais savoir ce que c’est que de jouer en NBA. C’était la dernière cartouche ! »

Avant de venir aux Etats-Unis pour de bon, Arvydas Sabonis subit toute une batterie de tests insensés à la conclusion mythique :

« D’après ses radios, Arvydas pourrait obtenir une place de parking handicapé », explique alors le Dr. Robert Cook, le chirurgien des Blazers.

Le « rêve américain » de Sabas le Soviet

On est le 6 avril 2001, à l’Oracle Arena d’Oakland. Les Blazers sont en visite, et ce soir là, c’est Arvydas Sabonis qui va faire des siennes. Ce n’est plus le Sabonis des années vertes de Kaunas mais celui plus « truck » des Blazers.

« Je ne suis plus une locomotive, seulement un petit wagonnet », s’amuse alors à dire le pivot.

N’empêche, Sabas passe ce soir là la bagatelle de 32 points, 10 rebonds et 6 contres à des Warriors pulvérisés par les Blazers surpuissants. Il leur fait la crêpe complète, et dans l’ordre. À un petit point seulement de son record en carrière en NBA (établi le 4 janvier 1997 face à Dallas : 33 points à 11/14 aux tirs et 3/3 à trois points)

D’abord du jeu à l’ancienne, au poste bas, avec son toucher de velours. Puis ensuite à la passe. Et dans le petit périmètre avec sa précision diabolique. Et il laisse ensuite parler ses instincts. Le gros nounours balte envoie son « sky hook », soyeux.

C’est l’époque glorieuse des Jail Blazers, avec des All-Stars en pagaille. Il suffit de regarder cette vidéo pour s’en rendre compte. Portland peut se permettre d’aligner Rasheed Wallace, Damon Stoudamire, Scottie Pippen et Steve Smith en plus d’Arvydas Sabonis.

Quand une option offensive ne fonctionne pas, les Blazers en trouvent rapidement une de secours grâce à leur effectif à rallonge. Il y a toujours un duel avantageux, il suffit juste de le trouver !

Elu dans la deuxième meilleure équipe rookie avant de devenir titulaire à temps plein à partir de sa deuxième saison – et ce, pendant cinq saisons, Arvydas Sabonis n’a pas vraiment subi de choc culturel sur les planches. Notre rookie de 31 balais a été très solide à 14 points et 8 rebonds, mais il fera encore mieux en 1997-98, avec sa meilleure saison à 16 points, 10 rebonds et 3 passes de moyenne.

Rapidement parmi les chouchous des fans, Arvydas Sabonis a pour le coup reçu les faveurs de la Une du Guide de la saison 1996-97 (ce qui n’aurait pas plu à Cliff Robinson notamment). Fan de western, les Blazers l’ont accueilli avec un cadeau adéquat : un chapeau de cowboy, des Levi’s et des chaps (des jambières en cuir).

« C’était le cowboy le plus sauvage jamais vu », se marre Bucky Buckwalter, le directeur du personnel pour les joueurs à Portland. « Il avait un petit côté : homme le plus intéressant du monde », ajoute Mike Dunleavy.

Assistant GM de 1995 à 1998, Jim Paxson (le frangin de John des Bulls) a eu une relation privilégiée avec le grand Sabas. Il était le représentant en mission pour accueillir le Lituanien à son arrivée aux Etats-Unis. Et par la suite de l’accompagner dans les nombreuses démarches associées à un emménagement…

« On était proche. Il m’invitait à dîner quand des membres de sa famille venaient lui rendre visite. J’ai une très haute estime pour Arvydas. C’était un grand joueur mais aussi un homme attentionné et très généreux. Il appréciait ses coéquipiers et ces derniers l’aimaient aussi beaucoup. Il était intelligent. Quand Domantas est né à Portland, il a dit : maintenant, j’ai un garçon américain », sourit Jim Paxson. « Il était très fier que son fils soit né en Amérique. » 

Apprécié pour son jeu et sa vista, Arvydas Sabonis est cependant passé en NBA comme un fantôme. Se cachant derrière la barrière de la langue, la montagne de 2m22 a su esquiver les foules de journalistes durant ses sept saisons NBA.

« Il faisait genre : je ne parle pas anglais », se souvient Brian Grant. « Mais je lui parlais et il a commencé à s’ouvrir un peu : « ce gars-là est un trou du cul ». Donc, il connaît un peu d’anglais quand même ! »

Réservé de nature, Arvydas Sabonis a parfaitement su prendre soin de son anglais balbutiant – en public du moins – pour rester très furtif et plus qu’évasif avec les médias. Mais, en privé, ainsi que l’ont prouvé plusieurs anecdotes, il savait prendre du bon temps. La plus fameuse est cette nuit olympique de Barcelone après le match remporté pour la médaille de bronze… et Sabas incapable de monter dignement sur le podium puis retrouvé ivre dans le dortoir de l’équipe féminine russe tard dans la nuit catalane.

Pas le dernier pour se mettre un petit shot de vodka derrière les oreilles, le pivot a partagé un peu de sa culture balte avec Brian Grant, plutôt reggae et Bob Marley d’habitude.

« S’il vous appréciait, il venait vous parler en coulisses. Une fois, en déplacement dans le New Jersey, il vient me dire : ‘tu viens dîner avec moi ce soir.’ On est sorti ensemble dans un restaurant Applebees ou je ne sais quoi. Sarunas Marciulonis était là aussi. On a commencé à boire. Il a pris de la vodka et a commencé à verser les shots. Il m’a foutu une baffe en travers du visage. ‘Mais qu’est-ce qui ne va pas chez toi ?’ Et lui me répond : ‘regarde moi dans les yeux pendant le toast. Toujours.’ Et j’ai commencé à rigoler. C’était une sacrée soirée ! Tout ce dont je me souviens, c’est que ses copains m’ont porté pour sortir de là. »

« Je sais qu’ils auraient fait de moi un bon joueur »

11 mai 2000. Le Game 3 de la demi-finale de conférence va bientôt débuter à Salt Lake City. Mais c’est la crise en coulisses côté Blazers. Leur pivot titulaire n’arrive plus à bouger. Sa cheville est bloquée. À quelques minutes de l’entre-deux !

Les préparateurs continuent de s’affairer autour du gentil géant. Et tout à coup, le déclic. Littéralement.

« Il y a eu un bruit sourd qui est sorti de sa cheville. Il a dit : OK, c’est bon. Et il est allé jouer. Il y a eu un clic et ce qui était mal mis s’est remis en place », explique Jay Jensen dans l’Oregonian. « Il jouait avec de la douleur en permanence, avec différents degrés de douleurs en fait. Mais c’est un guerrier. Un incroyable compétiteur. Il était incroyable, aussi bien par la taille que par le talent. »

Au final, Arvydas Sabonis claquera 22 points et 8 rebonds, à un exquis 10/13 aux tirs pour mettre un bon coup de bambou au Jazz, alors au bord de l’élimination à 0-3. Dans cette série, il tournera à 13 points et 8 rebonds de moyenne, à 35 ans et son corps de plus en plus grinçant… Mais, pour le bien de son équipe, il était capable de tous les sacrifices.

Autre lieu, autre moment. 15 avril 2001. Arvydas Sabonis doit se coltiner sa bête noire : Shaq – et on parle du Shaq en pleine force de l’âge qui surdomine avec 29 points, 13 rebonds, 4 passes et 3 contres par match cette saison là – et sur un de ses nombreux flops, le Blazer heurte Rasheed Wallace avec son coude. Une première fois. Le Sheed lui aboie dessus une première fois, calmé par Scottie Pippen. Bousculé à nouveau, Rasheed Wallace n’y tient plus et lui lance alors sa serviette au visage lors d’un temps mort conséquent.

« Pour le bien de l’équipe », aurait dit Arvydas Sabonis a posteriori, il n’a pas répliqué sur le champ. La scène aurait été des plus gênantes, à bien des égards. Une baston sur un banc NBA. Entre deux coéquipiers ! Des (Jail) Blazers ? Entre Arvydas Sabonis et Rasheed Wallace ?!

« En temps normal, il lui aurait probablement explosé la tête », pense Eddie Doucette, le commentateur télé de l’époque. « Chercher des noises à Arvydas n’est pas malin. Mais il a gardé son sang-froid car il savait que s’il ne le faisait pas, l’équipe aurait explosé immédiatement. Il a été fantastique pour rester de marbre. »

Et c’est un peu l’histoire d’Arvydas Sabonis à Portland. Arrivé sur le tard, avec des chevilles et des genoux en vrac, la légende balte n’a non seulement pas pu montrer son véritable talent à cause de ses pépins physiques chroniques, mais il a également dû avaler bien des couleuvres dans le contexte décadent des Jail Blazers. On ne peut qu’imaginer sa frustration à force de voir ses coéquipiers dans la rubrique des faits divers alors que lui mène sa vie pépère de papa ours.

« Sabonis aimait ses coéquipiers en général. Mais je pense aussi qu’il a commencé à devenir de plus en plus frustré au fur et à mesure des saisons », confirme Kerry Eggers. « On ne lui parlait pas beaucoup. Il aimait jouer à faire semblant de ne pas comprendre. Mais il comprenait plus qu’il ne voulait bien le dire. J’allais toujours lui parler un peu. La goutte d’eau qui a fait déborder le vase, c’est quand Rasheed Wallace lui a lancé la serviette au visage. Il reste parmi les joueurs les plus populaires des Blazers. »

Dans le registre de la frustration, l’histoire d’Arvydas Sabonis et celle des Blazers se ressemblent. Pour les deux, on est rapidement enclin à évoquer les « what if », les rendez-vous manqués avec l’histoire, les blessures qui changent tout, les coups du sort… En l’occurrence, si les Blazers n’avaient pas complètement craqué en dernier quart de finale de conférence en 2000, il aurait remporté le titre NBA qui manque à son CV de Hall of Famer.

« Quand j’avais 18 ans, je ne savais quasiment rien de la NBA », commentait Sabas dans l’intimité d’une interview fleuve du magazine Rip City en avril 1997. « À ce moment-là, il n’y avait pas de livre ou de reportages sur les sports internationaux en Lituanie. On a appris ce qu’était la NBA en allant jouer des matchs à l’étranger. C’est comme ça que j’ai su qu’elle avait les meilleurs joueurs du monde. À l’époque, si le sort avait fait que je puisse venir aux Etats-Unis pour jouer en NBA, je sais qu’ils auraient fait de moi un bon joueur. Tous les joueurs qui viennent en NBA peuvent devenir d’excellents joueurs. Aujourd’hui encore, j’apprends encore des choses, et ma compréhension du jeu s’améliore encore. Le basket est le type de sport où on ne voit jamais le même match deux fois. »

Arvydas Sabonis le sait. Sans la charge de travail excessive qu’il a dû endurer pour la gloire de l’empire soviétique, il aurait certainement connu une autre carrière en NBA. Plutôt qu’aux restes d’un Sabas usé physiquement, Portland aurait pu avoir, certes abîmé, un joueur encore capable de progresser.

La sagesse des grands

Homme aux plaisirs simples, Arvydas Sabonis se révèle plus que jamais dans cette interview de 1997 menée par un de ses compatriotes lituaniens. Ce dernier est reçu chez Sabas dans la banlieue aisée de Portland après un match des Blazers, avec un petit plat préparé par sa femme Ingrida, alors au lit avec les enfants (Zygimantas, Tautvydas et Domantas).

Sabas y évoque son enfance passée près du lac Dubuklis – que les voisins ont affectueusement renommé Lac Sabonis, et ses antécédents familiaux… Ceci expliquant cela.

« Mon grand-père est mort à 91 ans. Mon arrière grand-père était très grand, environ 2m13. Comme ses pieds étaient trop grands, il devait coudre ses propres chaussures. »

Arvydas Sabonis explique avoir récemment fait des gros travaux dans la maison de sa grand-mère qui vit dans une très vieille maison, où il passait visiblement l’essentiel de ses vacances. Au grand air donc, mais à la dure !

« Pendant mes vacances d’été, je devais transporter chaque jour quatre seaux d’eau du puits », souligne Sabas. « J’adore pêcher, plonger et passer des nuits au lac. C’est un superbe lac, pas trop grand, pas trop profond. Mais il y a moins de poissons que quand j’étais gamin. »

Non content d’avoir amené l’eau courante et tout le confort moderne dans la demeure familiale, le colosse des parquets NBA est resté le gentil garçon qui ramène des bonbons à sa grand-mère… qui s’en vante auprès de ses copines !

« Elle a 90 ans », souriait alors Arvydas Sabonis. « Sur le plan de la santé, tout va bien. Si elle vivait à la ville, elle serait morte. Les gens qui vivent à la campagne vivent plus longtemps. Par le passé, mes parents l’accueillaient à la ville mais cette année, elle voulait rentrer chez elle car elle a enfin l’eau courante et le gaz. Quand on a fait les travaux, on lui a fait une belle maison. »

Reconnaissant et bienveillant avec ses aïeux, Arvydas Sabonis l’est également avec sa progéniture. Le mastodonte balte est même un papa poule en galère durant ses années Blazers. Il explique ainsi que ses enfants sont rapidement devenus fans de karaté à force de regarder les nombreux films d’actions des années 90. Papa Arvydas éprouve cependant les pires difficultés à ranger sa propre maison avec ses trois marmots plus bordéliques les uns que les autres…

Sur le terrain par contre, tout est fluide pour Sabas. Génie du jeu, le pivot des Blazers ressent le basket au plus profond de son âme. Dès lors, tout est naturel, rien n’est forcé.

« PJ [Carlesimo] me dit de faire la passe seulement quand je sais que quelqu’un peut l’attraper », explicite alors le pivot. « Mais pour moi, c’est difficile parfois car si je suis en bonne position, ma main bouge d’elle-même et fait la passe. Je n’ai pas le temps de savoir si mon coéquipier pourra l’attraper. »

Ce qui est fantastique chez Sabonis durant sa période Blazers, c’est qu’il est encore capable d’influencer un match comme s’il n’avait jamais subi toutes ses multiples opérations lourdes. Prenez-en pour exemple la finale de conférence 1999.

Même si elle s’est soldée par un coup de balai des Spurs en route vers leur tout premier titre, avec leur Twin Towers, cette finale a été très disputée, surtout lors des deux premières rencontres à San Antonio. Défaits les deux fois, les Blazers ont pourtant été l’équipe dominatrice, du propre aveu de Sean Elliott.

À 17 points, 7 rebonds et 4 passes lors du Game 2, Arvydas Sabonis est énorme à la manœuvre. C’est lui qui met en lumière Brian Grant, Isaiah Rider, Damon Stoudamire et Rasheed Wallace avec ses passes lumineuses.

« Dans le feu de l’action, un joueur n’est pas toujours capable de voir tous les joueurs et de pouvoir passer à celui qui est ouvert. Ça dépend aussi depuis quand on joue ensemble. Il faut des heures d’entraînement avant de pouvoir deviner ce que vont faire les autres joueurs sur le terrain. Prenez par exemple Stockton et Malone. À chaque fois que Malone est ouvert, Stockton le trouve. C’est le résultat de beaucoup d’années d’entraînement et de confiance. Si tu penses comme ton coéquipier, ça rend le jeu deux fois plus facile. »

Joueur collectif s’il en est, Arvydas Sabonis a pour le coup fait de ce slogan une véritable philosophie. Notamment avec la sélection lituanienne de 1992 lors des JO de Barcelone, la première compétition officielle de ce pays depuis son indépendance.

Vêtu de leur mythique T-Shirt Grateful Dead en l’honneur du groupe de rock américain qui a aidé leur sélection à payer ses frais, le pivot et ses copains ont été héroïques en récupérant la première médaille olympique de leur pays… et en battant symboliquement l’équipe unifiée, les « restes » de la Russie Soviétique.

Incapable de sauter au-dessus d’un dico, Sabonis pouvait néanmoins dominer par son savoir-faire… Malgré ses mensurations colossales, le Sabas des Blazers était un joueur à qui le joueur du dimanche pouvait s’identifier.

À défaut d’avoir pu obtenir sa revanche en NBA au sein de Blazers clairement sur le déclin à partir de 2001-02, Arvydas Sabonis aura tout de même pu exorciser un paquet de démons en savourant trois médailles internationales avec sa Lituanie sur le torse. Humble comme toujours, Sabas s’estime chanceux d’avoir pu fouler les parquets NBA.

« Je suis très heureux de pouvoir encore jouer au basket, après de telles blessures, et surtout ici en NBA », concluait-il en 1997. « Juste avant d’arriver aux Etats-Unis, plusieurs spécialistes ont essayé de me convaincre que je n’étais plus un joueur à 100% de mes capacités à cause de mes blessures passées. Ils m’ont conseillé de ne pas venir aux Etats-Unis. Mais c’était un de mes rêves. Après tout, la NBA est la Mecque du basket. Maintenant, j’ai encore plus de choses à raconter aux jeunes joueurs de mon académie. »

Il n’y a pas remporté le titre NBA qui manque à son palmarès, mais Arvydas Sabonis a tout de même filé tout droit vers le Hall of Fame de Springfield, intronisé en 2011. La même année, à Portland, il est décrété que chaque 18 août serait dorénavant “Arvydas Sabonis Day”. Bon jour du Sabas donc (en avance) !

Prochain épisode : Les Jail Blazers, 20 ans après

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